Rapport du GIEC : l’être humain est responsable de la crise climatique, mais certains le sont plus que d’autres
7 septembre 2021
Lecture
5min
Le dernier rapport du Groupe d’expert·e·s intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié il y a quelques semaines, stipule que l’être humain a un effet « sans équivoque » sur la planète. Si ce n’était pas déjà évident, il est maintenant indéniable que nos actions sont la cause principale du réchauffement climatique, qui s’effectue quant à lui plus rapidement et de façon plus prononcée que prévu. Toutefois, cette lecture de la situation ne tient pas compte des grandes inégalités au cœur de la crise climatique, qui représentent pourtant la clé pour bien la comprendre, voire en sortir.
À lui seul, le rapport du GIEC semble donner raison à l’idée que l’être humain est devenu maître du monde naturel. En effet, plusieurs études ont démontré que les activités humaines affectent maintenant la totalité des écosystèmes planétaires. Pire, les dommages causés à ces écosystèmes seraient tels que l’holocène, l’époque géologique dans laquelle nous nous trouvions depuis plus de 12 000 ans, serait désormais révolu. Ainsi, certains scientifiques estiment qu’une nouvelle époque aurait débuté autour du 18e siècle, soit à la suite de la révolution industrielle. Cette période historique est marquée par une hausse colossale des émissions de GES (voir graphique 1) et du degré d’intensité de l’exploitation des ressources naturelles. Depuis, nous serions entrés dans l’anthropocène, « l’ère de l’humain ».
Graphique 1 : Concentration atmosphérique de CO2, 0-2018
Source : NOAA, World in Data, 2018.
Cet argument n’est que partiellement exact. D’un côté, l’attention qu’il dirige vers les effets destructeurs des activités humaines sur la planète est louable, d’autant plus que certains doutent toujours de leur ampleur. De l’autre, si les humains étaient la cause principale du réchauffement climatique, il serait possible de voir une forte corrélation entre la croissance de la population humaine et la hausse des émissions de GES – ce qui est loin d’être le cas. Entre 1820 et 2010, alors que la population mondiale a été multipliée par 6,6, les émissions de GES, elles, sont devenues 658 fois plus importantes durant la même période.
Les données varient encore plus entre les pays. Une étude de David Satterthwaite, de l’Institut international de développement durable, a comparé les taux de croissance des émissions de GES de plusieurs pays et de leur population selon leur niveau de revenu. L’étude révèle qu’il n’y a aucun lien entre ces taux (graphiques 2 et 3). De plus, on s’aperçoit que les pays à haut revenu, incluant les États-Unis, le Canada et ceux de l’Union européenne, génèrent des émissions de GES de façon disproportionnée par rapport à la taille de leur population. Plus encore, ces disparités importantes entre pays à haut et bas revenu sont étroitement liées, l’appauvrissement de ces derniers contribuant à l’enrichissement des premiers.
Graphique 2 : croissance de la population et des émissions de GES selon le taux de revenu d’un pays, 1980-2005
Source : Satterthwaite, 2009.
Graphique 3 : croissance de la population et des émissions de GES selon le taux de revenu d’un pays, 1950-1980
Source : Satterthwaite, 2009.
Par ailleurs, ces données occultent les importantes inégalités en matière d’émissions qui existent à l’intérieur même de ces pays. Il a en effet été démontré que 63 % des émissions mondiales générées entre 1854 et 2010 ont été causées par un groupe de seulement 90 entreprises et sociétés détenues par des investisseurs ou nationalisées (graphique 4). À eux seuls, les 20 plus grands investisseurs au monde sont responsables d’environ 30 % de toutes les émissions de GES produites depuis 1751. À l’inverse, les 2,6 milliards d’humains les plus pauvres de la planète en produisent si peu qu’ils pourraient disparaître immédiatement sans entraîner de baisse notable du niveau mondial d’émission.
Graphique 4 : émissions de GES mondiales (noir) et émissions de GES du groupe de 90 corporations (rouge), 1850-2010
Source : Heede, 2014.
Ces études montrent clairement que certains êtres humains sont nettement plus responsables de la crise climatique actuelle que d’autres. Plus précisément, cette dernière serait (et continue d’être) causée par une élite économique qui, depuis la révolution industrielle, gagne à exploiter les ressources naturelles pour son propre bénéfice, et ce, sans pratiquement aucune considération pour la préservation de l’environnement à long terme. Nous ne serions donc pas à l’époque géologique de l’anthropocène; nous serions plutôt entrés dans le capitalocène, l’ère du capital.
Alors, est-ce que la crise climatique résulte des activités humaines? Oui, « sans équivoque », pour reprendre les mots du rapport du GIEC. Néanmoins, il serait plus précis et approprié de stipuler que ce sont les membres de la classe capitaliste, ceux qui forment l’élite économique des pays riches, qui sont les plus à blâmer. Mais comme l’explique Heede, « la plupart des analyses considèrent la responsabilité des changements climatiques en termes d’États ». Dès lors, se pencher sur les émissions générées par les entreprises plutôt que par les États-nations est une approche qui « donne l’occasion à ces entités de faire partie de la solution plutôt que des spectateurs passifs (et rentables) à la poursuite du dérèglement climatique » (2014, p. 238, traduction libre). Cette approche permet de saisir beaucoup mieux les enjeux sociaux et économiques qui sous-tendent la crise écologique en cours.
En dépit de cette critique, un rapport comme celui du GIEC demeure important afin d’encourager la mise en place de politiques sérieuses pour lutter contre le dérèglement climatique qui ne cesse d’empirer. Par contre, l’idée que nous en sommes la cause première occulte les composantes sociales et politiques de cette crise, à savoir que la destruction de l’environnement qui s’observe est le résultat d’une quête perpétuelle de profits menée par l’élite des sociétés capitalistes. Pour y faire face, il est donc essentiel de s’extirper du capitalocène et de se diriger vers une ère prospère autant pour l’ensemble des citoyen·ne·s que pour la planète.