Climat: le salut par le nucléaire?
13 septembre 2024
L’industrie nucléaire tente de se donner un second souffle en se posant comme une solution incontournable pour atteindre l’objectif de carboneutralité en 2050. Cette industrie qui connaît un déclin depuis 40 ans doit-elle être à nouveau soutenue par les gouvernements ?
Après la Deuxième Guerre mondiale, l’industrie nucléaire promettait de produire l’énergie de l’avenir. Entre 1950 et 1986, le nombre de centrales à travers le monde a connu une croissance exponentielle. Mais c’était avant que ne survienne la catastrophe de Tchernobyl en Ukraine. À partir de ce moment, l’énergie nucléaire entre dans une phase de stagnation, voire de déclin.
Graphique 1 : L’essor et la stagnation de l’énergie nucléaire
Entre 2003 et 2022, selon le World Nuclear Industry Statuts Report, 99 réacteurs nucléaires ont été mis en chantier alors que 103 ont été fermés. Si on exclut le cas de la Chine, où ont eu lieu la moitié des amorces de construction (49 sur 99) durant cette période, le nombre de réacteurs dans le monde a connu une diminution nette de 55.
L’industrie nucléaire a donc connu un déclin rapide dans les dernières décennies. En 2022, elle ne fournissait plus que 9,8 % de l’électricité dans le monde, soit sa proportion la plus faible en 40 ans.
Au Canada, aucune centrale nucléaire n’a été mise en chantier depuis 1992. Bien que le Québec soit peu familier avec ce type d’énergie – sa seule centrale nucléaire, Gentilly-2, ayant amorcé un long processus de déclassement en 2012 –, on compte 19 réacteurs nucléaires au Canada : 18 en Ontario et un dans la Baie de Fundy au Nouveau-Brunswick.
La réduction des GES : une opportunité pour l’industrie ?
Cela dit, si l’on se fie au discours de l’industrie nucléaire, ce portrait serait sur le point de changer radicalement. L’énergie nucléaire, affirme-t-elle désormais dans ses campagnes de relations publiques, est indispensable pour atteindre l’objectif de carboneutralité en 2050. C’est le message porté par AtkinsRéalis (anciennement SNC-Lavalin) et c’est aussi celui de Isodope, une influenceuse de l’énergie nucléaire » sur TikTok… Une frange du mouvement écologiste considère elle aussi que l’énergie nucléaire peut être salvatrice dans la lutte aux changements climatiques.
Cette idée ayant fait du chemin, les gouvernements ont entrepris d’ajouter l’énergie nucléaire aux solutions technologiques qui figurent au cœur de la transition énergétique. De fait, tous les scénarios de décarbonation élaborés par la Régie de l’énergie du Canada misent sur un accroissement de la production d’énergie nucléaire qui porterait la proportion d’électricité provenant de cette source à 12 % en 2050.
Avec l’ampleur du virage requis pour atteindre les cibles canadiennes de réduction des gaz à effet de serre (GES), on peut comprendre le raisonnement initial de certains en faveur de l’énergie nucléaire, aussi incertaine et risquée soit-elle. Mieux vaut un avenir comprenant une prise de risques plutôt que l’emballement climatique et l’apocalypse, non ?
Cinq raisons pour ne pas avoir foi dans le nucléaire
Voici cinq raisons de ne pas se faire d’illusion sur le potentiel de l’énergie nucléaire.
D’abord, l’industrie nucléaire ne tient pas ses promesses. En effet, elle n’a jamais été en mesure de produire l’électricité qu’elle avait prévu générer. On est même très loin du compte. Le graphique 2 montre que les projections des années 1970 misaient sur une production globale allant jusqu’à 5 300 gigawatts en 2000. En réalité, comme le montre le graphique 2, au tournant du millénaire, on atteignait à peine 350 gigawatts.
Graphique 2 : Capacité de production d’énergie nucléaire : projections réalisées dans les années 1970 et production réelle
Le scénario des promesses brisées semble aujourd’hui en train de se reproduire au moment où l’industrie a trouvé un nouveau modèle à promouvoir : les petits réacteurs modulaires (ou small modular reactors (SMRs) en anglais). Ceux-ci sont présentés comme plus sécuritaires et exigeant moins de capitaux que les centrales conventionnelles.
Mais comme pour la séquestration du carbone, cette nouveauté s’apparente davantage à un fantasme de l’industrie qu’à une technologie réelle et efficace à partir de laquelle on peut planifier l’avenir énergétique. La réputation des petits réacteurs modulaires a d’ailleurs pris un coup lorsque le tout premier projet de SMR aux États-Unis – NuScale, en Idaho – a été abandonné après que le constructeur eut conclu que le projet ne pourrait pas être rentable. L’État a pourtant injecté 1,4 G$ d’argent public dans ce SMR qui finalement ne verra pas le jour.
Au Canada, la même incertitude plane sur plusieurs projets. Au Nouveau-Brunswick, la professeure Susan O’Donnell, qui analyse depuis plusieurs années l’évolution de la technologie nucléaire et le discours de l’industrie, estime que les projets de petits réacteurs modulaires dans cette province ne pourront être viables pour la commercialisation de l’énergie avant… 2050. Elle rappelle aussi que la technologie retenue dans cette province (réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium et à sels fondus) a mené à l’abandon de projets en France, au Japon, en Allemagne et en Écosse.
Après les promesses non tenues, la deuxième raison de ne pas se laisser berner par l’industrie nucléaire concerne ses coûts prohibitifs. Non seulement la construction des centrales nucléaires est très longue (elle peut durer une, voire plusieurs décennies), mais de plus, l’énergie qu’elle produit ensuite est plus coûteuse que les autres sources d’énergie renouvelable telles que l’énergie solaire ou éolienne. Alors que le coût de production de ces deux types d’énergie a diminué respectivement de 90 % et 72 % entre 2009 et 2021, se situant désormais entre 2 et 10 cents du kilowatt/heure, les coûts du nucléaire ont grimpé de 36 % et oscillent entre 14 et 22 cents du kilowatt/heure. Autre indice de la non-viabilité du nucléaire : les investisseurs privés ont largement délaissé les investissements dans cette industrie et plusieurs projets battent de l’aile faute de bailleurs de fonds privés.
Un troisième motif qui pousse à être sceptique face aux prétentions de l’industrie nucléaire réside dans le risque d’une nouvelle escalade de l’armement nucléaire. Les traités de non-prolifération des années 1980 avaient permis une diminution spectaculaire du stock d’ogives nucléaires dans le monde. Elles étaient passées de 70 000 en 1986 à 12 000 en 2024. Mais selon le Pentagone et comme le montre le graphique 3, « l’intermission » nucléaire est terminée et le spectre d’un recours aux armes nucléaires plane à nouveau sur le monde. La Chine souhaite rattraper ses rivaux dans ce domaine et la Russie a carrément brandi la menace d’attaque nucléaire à la suite de l’invasion de l’Ukraine.
En 2024, les dépenses publiques dans le monde destinées aux armes nucléaires ont fait un bond de 10,8 G$ US et atteignent désormais 91,4 G$ US. Pour développer cet armement, il faut nécessairement avoir une industrie nucléaire. Alors, au moment où les investisseurs privés n’y trouvent pas leur compte, on peut raisonnablement émettre l’hypothèse que les États qui souhaitent acquérir et entretenir un arsenal nucléaire ont tout intérêt à développer de l’expertise par le soutien politique et financier de l’industrie nucléaire civile. Est-ce que l’énergie nucléaire civile et l’armement nucléaire sont les deux faces d’une même médaille ?
Graphique 3 : Stock d’ogives nucléaires (en milliers)
Comme quatrième motif, il faut évidemment mentionner les inévitables accidents. Ils sont bien trop nombreux dans l’histoire de l’énergie nucléaire pour que l’on puisse s’imaginer qu’ils n’appartiennent désormais qu’au passé. La catastrophe de Tchernobyl en URSS, mais aussi celle de Fukushima au Japon ont d’ailleurs eu pour effet de considérablement refroidir l’opinion publique face à l’énergie nucléaire. Rappelons que le Canada aussi a connu des accidents nucléaires : à Chalk River dans les années 1950, à Pickering en 1979 et 1983 et plus récemment à Darlington en 2009. Et tout ça, sans compte l’épineuse question de la gestion des déchets nucléaires.
Enfin, une autre raison de ne pas miser sur l’industrie nucléaire pour nous faire échapper aux crises environnementales est qu’elle devient, comme les autres solutions technologiques réelles ou fantasmées, une sorte de pensée magique qui entretient l’illusion qu’une transformation écologique de nos sociétés est possible sans remise en question de notre mode de vie. Tant mieux si toutes les formes d’énergies nuisibles sont abandonnées, mais elles ne peuvent nous épargner une réflexion sérieuse sur la consommation, le développement des villes, etc.
L’industrie nucléaire est en déclin depuis plusieurs décennies. Elle voudrait désormais s’arrimer à la transition écologique ici et ailleurs pour se redonner des perspectives de croissance. Mais ses campagnes promotionnelles et son lobbying auprès des gouvernements ne devraient pas nous tromper : l’énergie nucléaire n’aidera pas la transition énergétique. Au mieux, elle agit comme une distraction. Au pire, elle est carrément dangereuse.
L’inspiration pour cet article provient en grande partie d’un séminaire de l’IRIS avec Susan O’Donnell de l’Université St-Thomas au Nouveau-Brunswick.
L’argumentation date de longtemps, mais cet article apporte une importante mise à jour. Merci.
Dans bien des pays, tel la France et l’Allemagne, le retour au nucléaire est nécessaire malgré ses côtés négatifs à cause de l’absence presque totale de sources d’énergie pilotables. Pour éliminer la majorité des maux associés au nucléaire, il suffit de se tourner vers les réacteurs au Thorium, mais les militaires n’aiment pas ça.
La principale qualité du nucléaire est la possibilité de le piloter versus l’absence presque totale de faire de même avec le renouvelable, excluant l’hydro-électricité.
Au Québec, le nucléaire peut être inutile si Hydro-Québec entreprend un programme d’isolation des bâtiments car cela économiserait une grande quantité de TWh et donc quelques barrages et réacteurs.
La véritable solution, c’est de réduire notre consommation d’énergie collective. Pourquoi? Parce que la consommation d’énergie et la production de CO2 ont une co-relation établie par au moins Jean-Marc Jancovici.
Si l’autre côté de la médaille peut vous intéresser, je vous suggère ce livre:
https://qublivre.ca/products/nucleaire-les-verites-cachees?srsltid=AfmBOooZv7pBo2I-YP3ZU0iahEGw4Us0NZuuuiQSY2j_6svKUsSGJc-x
Ce réquisitoire contre le “nucléaire magique” oublie malheureusement un argument essentiel, ce qui le rend caduque : les énergies renouvelables soi disant moins chères que le nucléaire ne sont pas pilotables, et ne peuvent donc répondre à la demande, sauf à concevoir des systèmes de stockage de masse de l’électricité. Or ces systèmes constituent un challenge encore plus important que concevoir le système de production lui-même.
Les études économiques sérieuses ( comme celle de RTE en France) montre que ce qui compte, c’est le coût du kWh pour le client, pas seulement celui “en pied de machine”. Or les énergies du vent et du soleil qui sont très dispersées et intermittentes, nécessitent une refonte du réseau d’électricité et des dispositifs de compensation de l’intermittence, ce que ne nécessite pas l’énergie nucléaire. De ce fait, elle est plus économique.
Enfin, la reconstruction du réseau électrique se heurte à l’opposition des populations, et comme dit précédemment, le stockage de masse n’est qu’une vue de l’esprit, aucune solution industrielle raisonnable étant en vue.
Le nucléaire est donc incontournable, sauf évidemment disposer d’énergie hydraulique à profusion : cette source pilotable est probablement celle qui coche toutes les cases, mais peu de pays disposent d’une géographie qui permet son développement massif.
Le rendement moyen des éoliennes se situe entre 30% et 50% (par rapport à la puissance installée). Quand il ne vente pas, il faut une source alternative. En Allemagne, c’est le charbon et le gaz. Ils ont fermé leurs centrales nucléaire, que ne produisait aucun effet de serre. Trouvez l’erreur???
Au Québec, c’est l’hydraulique, Il faut donc maintenir une capacité hydraulique pour prendre la relève en l’absence de vent. Donc, à tout moment, le réseau hydraulique doit être en mesure de répondre à 100% de la demande. Alternativement, on pourrait doubler ou tripler la capacité installé des éoliennes.Si 30% fonctionne, alors on n’aurait pas besoin d’hydraulique supplémentaire.
Ce n’est pas particulièrement efficace. Dans ce contexte, le nucléaire mérite une très sérieuse analyse du mix énergétique au Québec.
Cet article semble bien mal documenté. Il véhicule des conclusions préétablies sans se donner la peine de comparaisons sérieuses. Notamment, il ne dit pas que l’accident de Fukushima n’a pas fait de victimes nucléaires mais seulement des victimes du tsunami. Il ne dit pas non plus que les centrales fonctionnent presque toutes avec un principe de sécurité passive, où le cycle nucléaire s’arrête en cas de problème, contrairement à Tchernobyl. Il cache aussi la réalité des éoliennes et du solaire : l’intermittence ! Ainsi, le kWh d’une éolienne dont le rendement n’est que de 14 % à terre (en moyenne) implique de multiplier l’investissement par six pour avoir une production équivalente. Et encore cette production reste-t-elle intermittente et inapte à livrer le service électrique. Bref, cet article est “militant” mais ne repose sur aucune affirmation démontrée car indémontrable.
Bravo, Guillaume Hébert! La feuille de route pour un Québec ZéN l’affirmait déjà: pas de nucléaire pour la transition souhaitée par le Front commun pour la transition énergétique. Vous apportez des arguments solides!