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La gestion de l’offre, une démocrature agricole

15 février 2022

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5min

  • ML
    Maxime Laplante

Au plus tard à chaque élection fédérale, le sujet de la gestion de l’offre refait surface. En principe, ce monstre de complexité, maintenant limité au seul pays du Canada, trouve ses fondements dans de nobles objectifs: le premier, stabiliser les prix à la consommation en contrôlant la production de certaines denrées comme le lait (1966 et 1972), la volaille (1971), les oeufs (1966), mais aussi le sirop d’érable (2004 uniquement pour le Québec) et le lapin (2005, uniquement pour le Québec).

Le second but: consolider la rentabilité des fermes. La mise en place de quotas de production, un des nombreux outils des plans conjoints qui encadrent la mise en marché des produits agricoles, permet de dicter ce que chaque ferme a le droit de produire. Ce système ne peut évidemment fonctionner efficacement que si on entrave à la frontière l’entrée de ces mêmes produits. En effet, que vaudrait un quota si on permettait l’arrivée de la même denrée à prix moindre. On peut donc qualifier la gestion de l’offre de contrat social entre l’État et le monde agricole. On garantit des prix stables et intéressants aux fermes qui, en contrepartie, limitent leur production.

La rumeur veut que ce même système soit démocratique et bénéfique pour le monde agricole. Ces deux adjectifs cachent cependant une autre réalité. Alors que la gestion de l’offre est réputée être bénéfique aux fermes, les statistiques sur l’évolution du nombre de fermes montrent clairement qu’au contraire, ce sont précisément les fermes détentrices de quotas qui disparaissent le plus vite.

La principale raison de ce déclin rapide réside dans le blocage quasi systématique de la relève, qui n'a pas les moyens de payer de tels prix lors du démarrage de leur entreprise. Par exemple, le seul prix du quota pour l'équivalent d'une bonne vache est de 24 000$, que le ou la nouvel·le arrivant·e doit payer en dépit du fait que les premiers acquéreurs de quota l'ont reçu gratuitement. Dans le cas des poules, il s'agit de 280$ par volatile. Poulet? 900$ par mètre carré de surface d'élevage. À noter que ces coûts ne concernent que le quota, soit le permis de produire. Il faut ensuite compter l’achat des animaux, leur logement, la nourriture, le travail, etc. Les prix de ces quotas sont également contrôlés par les filières de l’Union des producteurs agricoles (UPA), des gens qui possèdent eux-mêmes du quota. Il s’agit là d’une situation évidente de conflit d'intérêts, un peu comme si Walmart décidait de la part de marché que Metro peut avoir.

En fait, le pouvoir des groupes détenteurs de quotas atteint parfois des proportions démesurées. Par exemple, 162 personnes détiennent la totalité des quotas de production des oeufs de consommation et sont les seules personnes autorisées à fixer les règles de mise en marché. Il y a pourtant des milliers de personnes qui ont quelques poules au Québec. Mais le plan conjoint, outil de contrôle du marché, est géré exclusivement par les 162, sans se soucier des autres. Dans le cas du lapin: 12 personnes détiennent ce pouvoir.

Cette situation de conflit d'intérêts fait en sorte que si la demande augmente pour un produit, comme le lait ou les oeufs, de nouveaux quotas sont émis, mais ne sont distribués que parmi les actuels détenteurs de quotas, au prorata de la taille de leur cheptel. Celui qui a 500 vaches recevra donc 10 fois plus de quotas (à 24 000$ par vache) que celui qui en a 50.

Théoriquement, l’État a mis en place un organisme de supervision de ce système, soit la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (RMAAQ). Cette régie détient toutefois un étrange pouvoir en marge de notre système parlementaire. En effet, elle remplit à la fois les rôles de législateur et de tribunal. Elle dicte elle-même les règles de mise en marché et les applique ensuite. Le tout à l’écart des élus du peuple.

Un exemple? L’article 63 de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles est clair: « Un plan conjoint ne s’applique pas aux ventes faites par un producteur directement à un consommateur ». En d'autres termes, si cette loi était appliquée par la Régie, elle vous permettrait d'acheter du lait, du poulet ou des oeufs directement de la ferme, sans que celle-ci ne doive détenir un quota exorbitant. Mais la Régie refuse d'appliquer cette loi et entrave donc les circuits courts de mise en marché, sous la pression des filières de l’UPA.

Et pourtant, la gestion de l'offre pourrait être un formidable outil de développement régional. Les quotas pourraient être attribués en priorité à la relève, aux régions périphériques, au secteur biologique. Ils pourraient aussi être gratuits, simplement prêtés. Il pourrait en outre y avoir différents types de quota (comme le faisait la Belgique dans les années 1980): un quota commercial et un quota de vente directe.

En somme, le problème de la gestion de l’offre, c’est sa gestion. Ce contrat social entre l’État et le monde agricole a été abandonné aux intérêts de cartels privés, souvent en conflit d’intérêts. Dommage, parce que s'il n'y a pas rapidement de réforme de ce système conçu dans les années 1950 et jamais revu depuis, il est condamné à s'effriter sous la pression des accords commerciaux internationaux qui y voient une entrave au libre commerce.

[1] Certaines fermes font plusieurs productions et peuvent apparaître dans plusieurs cases. Les données varient également légèrement selon les sources.

Maxime Laplante est agronome.

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7 comments

  1. Bonjour, j’ai la perception que dans les pays sans gestion de l’offre, le nombre de fermes diminue aussi beaucoup. Je ne suis pas certain de la corrélation entre la gestion de l’offre et la baisse du nombre de fermes. L’industrialisation de l’agriculture y est aussi peut-être pour quelque chose?

  2. Pourquoi diable payer pour obtenir un quota?
    Un nouveau producteur qui arrive sur le marché devrait pouvoir produire la quantité qu’il désire la première année en tenant compte de la demande moins le total produit dans le domaine l’année précédente. Le concept de quota imposerait des amende pour sur-production ou sous-production avec une marge tenant compte des excellentes et des pires années de production historiquement. Le coût du quota devrait être un montant minime, comme un permis de conduire, un permis de chasse, etc mais sa détention serait une condition du droit de produire, tout comme le respect des normes de production et environnementales.
    Aucune agence ne devrait créer de règle car son rôle ne devrait être qu’exécutif. Cela est une prérogative de l’assemblée nationale qui est souveraine.

  3. Je suis d’accord avec vous à savoir que la gestion de l’offre pourrait être un formidable moyen de développement régionale. Cependant il ne faut pas oublier que sans la gestion l’offre plusieurs régions où la ruralité est importante, seraient dans un état de dévitalisation plus grand. Effectivement, les plans conjoint de mise en marché ont permis de maintenir de l’activité économique permettant d’habiter le territoire. Le maintient d’entreprises agricoles viables est possible autant dans la région de la Montérégie que dans le Bas-Saint-Laurent où en Gaspésie. Mais vous avez raison de dire qu’il faudrait moderniser la gestion de l’offre en la rendant plus accessible à la relève. Effectivement le modèle de la Belgique est intéressant. En passant j’ai été gestionnaire d’un plan conjoint dans la production forestière au Bas-Saint-Laurent, et je peux affirmer que la gestion de l’offre a permis à des gens de mieux vivre de leur forêt tout en habitant leur village. À mon sens les produits issues de la gestion de l’offre sont des «Produits équitables» . Voici la définition;
    «Produit qui est fabriqué et commercialisé dans le respect des principes du commerce équitable. Le commerce équitable est une forme de commerce qui garantit aux petits producteurs des pays en voie de développement, en échange de leur travail, un revenu minimal suffisant pour vivre dans des conditions acceptables.»

  4. J’ai été à l’emploi de l’UPA de 1993 à 2003, travaillé directement à l’application de plan conjoint,lait et oeufs d’incubation notamment. J’ai toujours pensé que ce système était positif pour le Québec. À l’évidence, c’était déjà vrai en 2000, il mérite d’être revu pour limiter les conflits d’intérêt et favoriser la relève. Votre article est très pertinent et devrait ouvrir le dialogue sur ces questions.
    Merci de vous intéresser à l’agriculture d’ici.

  5. C’est un article qui résume très bien la problématique des cartels sous la gouverne de l’UPA et qui dure depuis beaucoup trop longtemps.

    Il faut absolument que le ministre de l’agriculture lise cet article afin qu’il démantèle l’UPA pour faire jouer la concurrence et permettre à nos jeunes futurs agriculteurs de pouvoir vivre de leur dur labeurs.

  6. Excellente démonstration.
    En somme, c’est le mécanisme d’attribution des quotas qui est à la base de cette dérive monopolistique: les quotas sont attribués aux plus offrants au lieu d’être attribués de façon à atteindre des objectifs d’équité territoriale et autres.

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