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L’environnement n’a pas besoin de plus d’échanges commerciaux

15 août 2019

  • Eve-Lyne Couturier

Dans la dernière année, les discussions de libre-échange ont été dominées par ce qui se passe aux États-Unis. Que ce soit la renégociation de l’ALÉNA, les tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium ou les guerres commerciales qui semblent prendre forme entre notre voisin du sud et la Chine, parler de libre-échange semble à tout coup vouloir dire parler de Donald Trump. Ce serait néanmoins réducteur de s’arrêter là. Prenons par exemple l’Accord économique et commercial global (AECG, mieux connu sous son acronyme anglais CETA) que le Canada cherche à signer avec les pays de l’Europe. Les débats semblent terminés et la question réglée alors que tous les signataires n’ont toujours pas ratifié l’entente. Et en fin de compte, que connaissons-nous de cette entente ?

La part de commerce concernée est relativement restreinte. Pour l’Europe, le Canada représente moins de 2 % de son marché. De l’autre côté, la situation est plus intéressante, avec l’Union européenne représentant près de 10 % des échanges commerciaux du Canada. Cela les place en deuxième place, mais très loin derrière les États-Unis. Cependant, cet accord est important sur d’autres bases, notamment parce qu’il se veut un modèle pour les accords économiques futurs. Ainsi, les détails que l’on y trouve risquent de façonner le commerce international. On remarque déjà depuis plusieurs années une tendance à amalgamer plusieurs éléments dans ce qu’on appelle « libre-échange ». Il ne s’agit pas simplement de baisser des tarifs, mais également, par exemple, d’ouvrir de nouveaux marchés, de protéger des industries (notamment en protégeant les brevets) et de faciliter les flux financiers. C’est aussi le cas de cette entente. L’AECG utilise d’ailleurs la méthode dite de « liste négative ». Qu’est-ce que cela veut dire? Que seules les exceptions dûment nommées sont exclues de l’accord et que tout nouveau marché ou service qui se développera à l’avenir devra être libéralisé…

On trouve dans le traité plusieurs références quant à l’environnement. En effet, ce sujet est devenu un incontournable aujourd’hui. On pourrait s’en réjouir, tout comme le fait que l’eau est spécifiquement inscrite comme non marchandisable (avant qu’elle soit puisée, après c’est plus complexe), mais il faut voir quel langage on utilise pour baliser la question environnementale. Ainsi, rien n’y est contraignant. On mentionne bien que les pays peuvent utiliser des considérations environnementales pour placer des limites sur le commerce, mais il faudra que tous les pays concernés soient d’accord si on veut les voir appliquer. En raison de l’urgence climatique à laquelle nous faisons actuellement face, on aurait pu croire qu’un accord commercial qui se veut de son temps aurait des dispositions pour contrôler les émissions de gaz carbonique. Il n’en est rien. On encourage le commerce vert et les énergies renouvelables, mais en maintenant le cadre économique actuel où la croissance est valorisée au-delà de toute autre considération. Même si on gagne en efficacité énergétique, si on augmente la production, l’effet risque d’être pervers.

D’ailleurs, rions un peu. Une étude a été effectuée pour analyser l’impact de l’accord sur les émissions de GES. Leur conclusion? Impact marginal… si l’accord de Paris est respecté. Bref, si on ferme les yeux très fort et qu’on imagine que les pays mettent en place toutes les mesures qu’ils ne mettent pas en place pour réduire l’impact du transport, de l’agro-industrie, des industries et de l’extractivisme sur l’environnement, tout va bien. Malheureusement, la situation actuelle n’est pas si idyllique. La production animale est coûteuse en effets environnementaux, tout comme l’agriculture intensive, notre dépendance au pétrole et la société de consommation qui nous crée de nouveaux besoins chaque jour.

Ainsi, nous avons là un accord qui se veut de son temps, mais qui a une compréhension de l’enjeu environnemental qui date, et qui croit que les bonnes intentions sont suffisantes pour changer le monde. Il est pourtant révolu le temps où on pouvait faire passer les questions économiques devant toute autre considération. On ne peut plus tolérer de voir les gouvernements se satisfaire d’une stagnation de leurs émissions de gaz à effet de serre (mieux qu’une hausse nous diront-ils!) Aujourd’hui, nous avons besoin de bien plus que des accords commerciaux. Les États doivent reconnaître le besoin des pays de contrôler leurs ressources, d’utiliser des outils qui vont à l’encontre du « libre-marché », comme la nationalisation ou l’imposition de limites sur les industries énergivores et polluantes. Les frontières qu’il faut abolir ne sont pas entre les partenaires commerciaux, mais entre les effets ravageurs des changements climatiques et ceux et celles qui ont les moyens économiques, techniques et politiques de changer les choses.

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