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L’AECG : une menace à l’agriculture québécoise

17 décembre 2013


À la mi-octobre, une entente sur les principaux éléments de l’Accord économique et commercial global (AECG) a été conclue entre le gouvernement canadien et l’Union européenne. Ce traité de libre-échange a été présenté comme une opportunité en or d’accroitre le commerce des denrées agricoles, en particulier celles provenant du secteur céréalier. Dans le cadre de l’AECG, les produits agricoles canadiens verront leurs droits de douane réduits de 95%. Le gouvernement assure que l’élimination de ces tarifs bénéficiera également aux industries bovine et porcine en augmentant leur exploitation.

Tant pis pour les fromages du Québec

Au chapitre du fromage, le gouvernement se fait moins rassurant. L’AECG devrait permettre l’entrée au pays de quelque 17 700 tonnes additionnelles de fromages provenant d’Europe. Les producteurs laitiers et fromagers québécois ont fortement réagi à cette nouvelle et ont laissé savoir que ça n’avait selon eux « carrément pas d’allure ». Cette mesure affectera d’ailleurs directement les producteurs fromagers du Québec, où se trouve 60 % de la production de fromages fins du Canada.

Au-delà de l’augmentation de la concurrence par l’ajout de produits fromagers étrangers, on se méfie des effets de la dérégulation du système national de gestion d’offre qui encadre l’industrie laitière. Même si le gouvernement fédéral a promis que l’AECG n’affecterait pas la gestion d’offre, l’augmentation de fromages offerts résultant des importations européennes risque d’affecter le système national de quotas laitiers.

En effet, les pertes des producteurs de fromages provoqueront à long terme une baisse de la demande de lait canadien destiné à la transformation du fromage local. Le droit de production du lait (quota laitier) est calculé en fonction de la demande nationale et il est limité au niveau interprovincial par la Commission canadienne du lait. En d’autres termes, si la demande décroit et les quotas de lait ne sont pas atteints, il y aura réajustement à la baisse du quota de production laitière.

Or, le droit de production du lait est acquis à des prix exorbitants. Chaque vache laitière peut coûter jusqu’à 25 000 $ pour un producteur laitier. Une réduction dans l’usage de quotas laitiers par la baisse de la demande aura pour conséquence de rendre encore plus difficile la récupération des investissements par les agricultrices et agriculteurs déjà endettés, parfois lourdement.

Le gouvernement québécois s’est engagé à ratifier le traité seulement si le gouvernement fédéral compense les pertes causées par ces changements. Celles-ci sont estimées à 450M$ par an, ce qui comprend les 150M$ de lait non produit et 300M$ en vente de fromages. Ce n’est pas la première fois que des gouvernements tentent ainsi de rassurer des entreprises au moment de signer un traité de libre-échange. Il n’y a pourtant pas de précédent en ce qui a trait à d’éventuelles compensations suite à des pertes.

D’ailleurs, faut-il comprendre de cette promesse de compensation qu’elle ne serait de toute manière qu’une solution temporaire? La question est importante puisque la déréglementation, elle, aura nécessairement des effets à long terme, tant pour l’industrie laitière que pour l’ensemble de l’économie canadienne.

Le libre-échange au XXIe siècle

Comme l’a démontré le théoricien de l’économie écologique Herman Daly, la concurrence qui résulte du libre-échange provoque une baisse inévitable des normes sociales et environnementales imposées aux industries. Les partisans du libre-échange présentent l’augmentation de la concurrence et la réduction des coûts de production comme des bienfaits.

Cependant, il existe essentiellement deux façons de réduire les coûts d’une industrie : soit on augmente l’efficience de la production, soit on réduit les standards de production.

Cette dernière option, celle qui néglige les coûts sociaux et environnementaux de l’activité économique, s’avère souvent la plus attirante pour les entreprises. Cette réduction « à tout prix » des coûts de production se traduit par la diminution ou même la disparition du contrôle de la pollution, des normes de sécurité au travail, du salaire minimum, etc. Elle provoque par conséquent une diminution de la qualité de vie et de la santé des populations. Ce sont principalement ces sacrifices qui accroissent l’avantage concurrentiel d’un pays, au détriment des conditions sociales et environnementales.

Dans le cadre de l’AECG, le Canada pourrait être appelé à remettre en question son système de gestion d’offre dans le but de réduire les coûts de production du fromage et ainsi demeurer concurrentiel. Rappelons que le système de quotas est le principal garant du prix stable du lait et, par conséquent, des revenus fixes pour les productrices et producteurs laitiers québécois.

Le contenu final de l’Accord n’est pas dévoilé alors il est difficile d’en prédire les effets avec exactitude. Toutefois, nous savons que les structures du système agricole seront soumises à de fortes pressions. Le seul recours à la compensation par le gouvernement fédéral pourrait masquer un problème plus fondamental : compromettre le bien-être social et environnemental de l’agriculture québécoise au nom du libre marché.

Alejandra Zaga Mendez est candidate à la maîtrise au Département de sciences des ressources naturelles de l’Université McGill. 

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