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Réseau scolaire: moins d’argent, plus de besoins

30 août 2018

  • Eve-Lyne Couturier

Cette semaine, sur les réseaux sociaux, deux sujets ont monopolisé les fils d’actualité. D’une part, on ne peut y échapper, il y a les élections qui ont été déclenchées la semaine dernière. Le bilan du PLQ est-il à la hauteur d’un nouveau mandat? Et que pense-t-on des promesses des autres partis? D’autre part, la rentrée scolaire donne lieu à plusieurs photos de parents excités de voir leurs enfants retourner (ou commencer) à l’école, d’élèves qui auraient préférés poursuivre l’été plutôt que leurs études et de membres du personnel scolaire enthousiastes devant la nouvelle année. Enthousiastes, et épuisés.

Le lien entre le bilan du PLQ et l’épuisement des personnes qui travaillent dans les établissements scolaires est facile à faire. Pendant les années d’austérité, le gouvernement s’est vanté de protéger la santé et l’éducation. Alors que d’autres ministères voyaient leur budget amputé, on ne faisait que réduire l’augmentation des dépenses dans ces deux secteurs névralgiques. Mais était-ce suffisant pour suivre les besoins des commissions scolaires? Dans une étude que nous publions aujourd’hui, nous avons calculé le manque à gagner. En 2016-2017, c’est 1,4 G$ qui manquent au budget en éducation simplement pour suivre les coûts de système depuis 2003-2004, donc pour suivre l’évolution naturelle du réseau scolaire. C’est plus de 15% du budget en éducation… Si on peut voir un écart dès le premier mandat libéral, la majorité du manque à gagner vient spécifiquement de la période de retour à l’équilibre budgétaire qui a commencé en 2011-2012 avec Raymond Bachand. En d’autres mots, en 5 ans, on a creusé les trois quarts de l’écart des 15 dernières années.

Mais l’éducation est bien plus qu’une question d’argent. Si on veut vraiment savoir l’état du réseau, il faut s’intéresser à ce qui s’y passe au quotidien. Pour ce faire, nous avons mené une enquête auprès de plus de 8500 membres du personnel de l’éducation du réseau public (enseignant·e·s, professionnel·le·s et personnel de soutien) sur l’ensemble du territoire québécois. Nous leur avons demandé de nous parler de leur charge de travail et de leur appréciation des services rendus aux élèves. Le portrait est loin d’être rose. Il faut dire que, pendant que les budgets étaient amputés des sommes nécessaires pour maintenir les services, le réseau public a connu une augmentation de 34% des élèves présentant un handicap ou des difficultés d’apprentissage ou d’adaptation. Ce pourcentage représente ceux et celles qui ont reçu un diagnostic. À ces derniers, il faut ajouter l’ensemble des élèves ayant des difficultés, mais sans avoir un plan d’intervention. Moins d’argent, plus de besoins.

La tâche s’est, sans surprise, alourdie. On note un recours important du temps supplémentaire pour toutes les catégories d’emploi, mais chaque heure est loin d’être reconnue en temps ou en argent. Pour les enseignant·e·s, toute heure supplémentaire est du bénévolat. Pour les professionnel·le·s et le personnel de soutien, 30 à 40% des heures faites au-delà de leur contrat ne comptent pas. Si près des deux tiers pensent arriver à accomplir leurs tâches adéquatement avec leurs heures supplémentaires, moins de la moitié considèrent que cela leur permet d’atteindre un bon équilibre entre leurs vies personnelle et professionnelle. Ainsi, on préfère sacrifier son temps plutôt que son travail.

Cela n’est pas sans conséquences sur l’état d’esprit du personnel de l’éducation. Plus du quart d’entre eux présentaient des signes d’épuisement émotionnel au printemps 2018. Il s’agit de l’un des trois indicateurs d’épuisement professionnel. Les deux autres, le cynisme et le manque de réalisation professionnelle, semblent être moins présents dans le réseau scolaire. Cependant, les compressions récentes ont des conséquences directes sur ceux-ci: les tensions augmentent entre collègues, le soutien est plus difficile à obtenir, la lourdeur de la tâche empiète sur la capacité à réaliser son travail dans les règles de l’art.

Cette gestion purement comptable de l’éducation oublie que derrière les colonnes de chiffres se trouvent des personnes réelles qui doivent vivre avec les conséquences des compressions. On nous dira que le temps des vaches maigres est terminé, que nous sommes maintenant rendus aux réinvestissements. Malheureusement, il est déjà trop tard pour les élèves qui sont passés dans le système dans les 15 dernières années, sans recevoir les services adéquats auxquels ils et elles avaient droit. Il est également trop tard pour les personnes qui travaillent dans le réseau qui ont dû quitter temporairement ou de manière permanente pour prendre soin de leur santé. Il n’est peut-être pas trop tard, cela dit, pour ceux et celles qui restent et tiennent à bout de bras un réseau dysfonctionnel. Mais pour cela, il faudra faire bien plus que de saupoudrer un peu d’argent sur le réseau et d’inviter des experts photogéniques à rêver d’une autre école.

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