Main basse sur l’Université de Montréal
2 février 2017
L’Université de Montréal est à nouveau dans la tourmente. Le recteur Guy Breton, celui-là même pour qui, rappelons-le, « [l]es cerveaux doivent correspondre aux besoins des entreprises », a proposé de réformer la charte fondamentale de l’université. Il veut donner davantage de pouvoir au comité exécutif à des gens externes à la communauté universitaire.
Cette proposition s’inscrit dans le sillage d’un projet de restructuration, dit de « transformation institutionnelle », engagé l’an dernier. Le rectorat désirait rendre l’université plus facilement adaptable à ce que certain·e·s appellent le nouveau « marché mondial de l’enseignement supérieur ». L’IRIS avait à ce moment étudié les modèles mis de l’avant par l’UdeM. La logique générale qui, à l’échelle du monde, tend à imposer un mode de fonctionnement compétitif et marchand aux universités qui veulent se classer comme « world-class university » était clairement à l’œuvre dans ce projet.
Les syndicats reprochent maintenant à l’administration de vouloir tenter un « coup d’État ». Des professeur·e·s de la Faculté de droit ont dénoncé la nouvelle proposition :
[…] afin de régler des problèmes d’efficience administrative (dont personne ne nie l’existence), le projet entend transférer à un pouvoir exécutif dominé par des représentants dits « externes » à l’Université la part du lion sur le plan décisionnel. Malgré sa radicalité, l’érosion des pouvoirs des instances locales (décanats, directions de départements, assemblées facultaires et départementales, conseils de faculté) semble la seule solution possible aux yeux des promoteurs du projet. Pour ne donner qu’un exemple, si le projet est adopté, le doyen ne dirigera plus les études et l’administration de sa faculté, il veillera à son bon fonctionnement sous l’autorité du recteur ou d’une personne désignée. Au cœur de cette réforme loge l’idée que c’est en dépossédant la communauté universitaire du pouvoir qu’elle a de se penser elle-même qu’on ramènera l’efficacité au sein de l’institution.
L’enjeu de fond est de savoir si l’université doit être pilotée à l’interne par les professeur·e·s ou si ses orientations doivent être puisées à l’extérieur, notamment auprès des propriétaires d’entreprises. Cette approche subordonnerait les pratiques internes à des normes économiques :
Le recteur affirme que l’université doit s’ouvrir sur le monde — et notamment sur ses 400 000 diplômés — pour mieux servir ses intérêts et ceux de la société. De leur côté, des professeurs et des étudiants craignent que cette réforme ouvre une brèche dans la liberté intellectuelle et transforme l’enseignement universitaire en simple marchandise soumise aux lois du marché.
Comme l’ont bien vu les professeur·e·s, ces réformes de la gouvernance ne sont pas spécifiques à l’Université de Montréal, mais participent d’une lame de fond. À plusieurs endroits on désire diminuer la collégialité interne (et donc le pouvoir des universitaires) pour augmenter l’influence des acteurs économiques externes. Dès 2010, l’IRIS avait montré comment :
La restructuration des universités selon le modèle de la gouvernance entrepreneuriale s’opère dans un contexte particulier, celui de la concentration des pouvoirs de l’institution entre les mains d’une minorité d’agents qui manifeste des liens étonnamment étroits avec le secteur privé. Au final, la réforme de la gouvernance doit être comprise comme l’importation au sein des institutions publiques, dans ce cas-ci les universités, d’un mode de régulation des pratiques sociales existant au sein des organisations privées. Cette colonisation participe d’une reconfiguration des rapports internes de l’université et du détournement de sa mission sociale vers des finalités qui ne sont plus la transmission et la préservation de la connaissance et de la culture, mais la production d’un savoir commercialisable.
Les professeur·e·s ont raison de s’inquiéter de l’avenir, d’autant plus qu’aux États-Unis des mesures apparaissent pour éliminer leur permanence (tenure). Les plonger ainsi dans une précarité et une insécurité assurent que ceux et celles qui ne marcheront pas docilement dans le sens de la nouvelle université commerciale pourront voir leur contrat terminé ou non renouvelé.
La population devrait aussi s’inquiéter de voir que les universités ainsi transformées. Les professionnel·le·s, formés dans leur discipline, qui habitaient et gouvernaient ces institutions publiques devaient d’abord avoir en vue l’intérêt général de la société. Or, on délaisse de plus en plus cette vision pour les soumettre à des injonctions provenant du système technico-économique extérieur. Ce dernier exige un arrimage de plus en plus serré entre la production du savoir, les innovations technologiques et les besoins du marché. L’intérêt privé prime ainsi sur l’intérêt commun.
La situation à l’Université de Montréal doit donc être surveillée de près puisqu’il s’y joue un rapport de force dont l’issue est la mainmise sur l’avenir de l’institution. C’est un conflit entre ceux et celles qui veulent qu’elle demeure une institution et d’autres pour qui elle est une organisation d’abord au service des entreprises.