Conversion des garderies : une équité de façade pour l’électorat montréalais
31 août 2022
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« [L]’équité, enfin l’équité, entre tous les parents québécois. » Ce sont les mots que le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, a choisis pour accompagner la première annonce pour une politique familiale de la Coalition Avenir Québec en vue des élections. Durant la conférence de presse, le ministre a promis que s’il était réélu, le parti procéderait à la conversion de toutes les garderies non subventionnées (GNS) en services subventionnés. Cela signifie en théorie que le tarif unique de 8,70$ par jour s’appliquerait enfin pour tout le monde.
Le parti au pouvoir affiche ainsi ses couleurs en se positionnant frontalement contre le Parti conservateur du Québec qui avait, une semaine auparavant, annoncé que son élection se traduirait par une abolition du système de subventions aux installations. Une analyse des données relatives à la distribution territoriale des places en GNS laisse croire que les objectifs énoncés ne seront pas atteints, car l’annonce traduit moins une volonté d’équité qu’une tentative de ravir quelques votes à ses principaux rivaux politiques de la métropole.
La conversion annoncée des GNS, si elle fonctionne bel et bien, n’aboutira pas en une plus grande équité. Par ce moyen, la CAQ s’attaquera en fait au problème d’inégalité financière qui entoure l’accès aux services de garde éducatifs. Le problème pourrait n’être que terminologique, mais cette politique, dans le contexte actuel de crise d’accès, est en fait inéquitable. D’abord, dans un contexte où l’offre de services de garde subventionnés est limitée, un grand nombre de famille est forcé d’avoir recours aux GNS une fois le congé parental terminé. L’imposition d’un tarif unique s’avérera certainement un soulagement pour les 49 521 d’entre elles qui paient entre 40$ et 80$ par jour par enfant, mais elle retirera avant tout un poids financier à des parents qui avaient déjà les moyens d’accéder à ses services. Une mesure équitable s’affairerait plutôt à favoriser l’accès aux services non subventionnés pour des familles qui n’ont pas les moyens de se les offrir et pour qui, donc, les conséquences financières de s’absenter du marché de l’emploi sont encore plus significatives.
Outre les enjeux d’équité financière, il faut noter que la crise de l’accès aux services s’est exacerbée dans les dernières années avec la fermeture de plus de 22 000 places en milieu familial depuis 2016. Les petites municipalités situées loin des grands centres ont été les plus touchées puisque les services se concentrent surtout dans ces petites entreprises de même que dans les CPE. Certes, la mesure de conversion pourrait réduire la liste d’attente qui n’a eu de cesse de s’allonger, car les GNS comptent un total de 19 000 places inoccupées. Subventionner leurs services pourrait viser juste puisque cette grande disponibilité s’explique notamment par les frais élevés exigés. À l’échelle du Québec, 28% des places en GNS sont inoccupées, contre 4,4% en CPE, où il en coûte 8,70$ par jour par enfant plutôt qu’au-dessus de 40$[1]. Par exemple à Verdun, 408 enfants étaient en attente malgré les 370 places disponibles en GNS. Les maths sont simples; une conversion pourrait assurer une place subventionnée à presque tous les parents de ce quartier du sud de la métropole.
Au regard de la crise actuelle, la mesure s’avère par contre inéquitable. En effet, Montréal et ses environs comptent près de 60% de tous les GNS du Québec, une présence disproportionnée par rapport territoire au nombre d’enfants en âge de fréquenter les services de garde éducatifs (graphique 1). La CAQ a promis 1,4 milliard de dollars pour réaliser cette mesure qui s’avère territorialement inéquitable puisque les plus petites municipalités n’en bénéficieront pas. On a beau dire que la CAQ est un parti qui séduit surtout les régions, cette mesure semble au contraire conçue pour plaire aux personnes vivant en milieu urbain et majoritairement à celles de la région métropolitaine.
Une mesure réellement équitable mettrait premièrement les bouchées doubles pour les familles n’ayant accès à aucun service de garde, soit faute de moyens financiers ou faute de l’existence de services privés non subventionnés sur leur territoire.
Ensuite, l’indifférence avec laquelle est traitée la question de la forme juridique et organisationnelle que prendront les services subventionnés dénote le peu d’attention dédiée aux questions de l’égalité et de l’équité de l’accès à une éducation de qualité offerte aux tout-petits. En effet, une enquête de l’Institut de la statistique du Québec et l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec ont montré que les niveaux de qualité dans les CPE, les milieux familiaux et les services privés étaient très inégaux. Le plus récent document rendu public affiche une tendance claire : les conversions n’ont abouti à la création d’aucun CPE, ce qui signifie que ces établissements demeurent à but lucratif.
La conversion des services, telle qu’imaginée par la CAQ, n’est pas une stratégie optimale pour résoudre la crise d’accès aux services de garde ou l’atteinte de l’équité. Les valeurs égalitaires sous lesquelles se drape cette mesure et la population visée indiquent qu’elle n’est une priorité que parce qu’elle sert favorablement sa campagne auprès des parents ou des futurs parents vivant près des grands centres urbains.
[1] Calcul de l’autrice à partir des données du Modèle d’estimation de l’offre et de la demande de places en services de garde éducatifs à l’enfance du 31 décembre 2021 du ministère de la Famille.