Après la crise : New Deal vert et emplois garantis
30 mars 2020
Le monde dans lequel nous vivions il y a trois semaines n’existe plus. Avant cette pandémie, une certaine légèreté prévalait toujours malgré l’urgence climatique et les inégalités croissantes. Le déni subsistait face aux problèmes structurels graves de notre modèle économique. Désormais, vis-à-vis de l’urgence sanitaire et économique mondiale provoquée par la COVID-19, la légèreté n’est plus possible.
Près de 930 000 personnes ont fait une demande d’assurance-emploi la semaine dernière au Canada, soit environ 34 fois plus que le nombre de demandes à la même période l’an dernier. L’IRIS estime que si rien n’est fait, la proportion de gens au chômage pourrait s’élever à 32% en avril. Qualifier ces données d’inquiétantes est un très gros euphémisme…
En effet, la crise sanitaire et économique ne donne aucun signe de ralentissement, bien au contraire. Chaque jour, les différents gouvernements annoncent de nouvelles mesures pour contrer la crise. Il faudra tôt ou tard devenir plus ambitieux si l’on veut y parvenir.
Peu importe si elle se produit dans les prochaines semaines ou prochains mois, une sortie de crise sanitaire laissera des traces sociales, économiques et financières profondes – et sans doute pires que celles de la crise de 2008, qui avait principalement affecté l’économie financière.
Cette fois, c’est l’économie réelle qui est frappée de plein fouet. Le gouvernement n’aura pas d’autre choix que d’organiser la reconstruction économique. Cette reconstruction devra autant porter sur l’économie réelle que financière.
La mobilisation des travailleuses et travailleurs en vue de l’intérêt collectif
D’où l’importance de mettre en place, une fois la pandémie sous contrôle, un « New Deal vert » qui comprenne un programme d’emplois garantis par l’État à l’échelle canadienne ou québécoise. Un New Deal vert requiert de l’État qu’il prenne le leadership afin que les forces productives de la collectivité soient déployées pour mener la lutte au changement climatique. Dans ce cadre, il faudrait, par exemple, mettre en place des infrastructures permettant une économie carboneutre d’ici 2030.
Mais pour mettre en place de telles infrastructures, il faudra mobiliser des milliers de travailleuses et de travailleurs. C’est ici qu’entre en jeu la notion d’« emploi garanti ».
L’idée d’un programme d’emplois garantis par l’État pour toutes les personnes en recherche d’emploi a été élaborée durant les années 1980 par Hyman Minsky, un économiste américain hétérodoxe influencé par J.M. Keynes. Le principe à la base de ce programme est que quiconque veut travailler à développer une nouvelle économie devrait être adéquatement rémunéré pour le faire. Ceci aurait aussi pour impact de tirer les revenus des bas salarié·e·s dans le secteur privé vers le haut, dans la mesure où ces dernier·e·s auraient un nouveau barème pour mieux négocier leur rémunération.
L’idée est de relancer l’économie par la demande, puisque toutes les travailleuses et travailleurs qui voudraient avoir un emploi rémunéré auraient droit à un emploi dont le salaire permettrait d’atteindre un revenu viable, qui est un revenu permettant la sortie de la pauvreté. Une telle mesure aurait ainsi pour effet de réduire le chômage à un niveau frictionnel.
Considérant l’urgence d’agir, le programme d’emplois garantis du New Deal vert permettrait d’orienter les forces productives de notre société vers l’accomplissement de finalités écologiques et sociales. Le verdissement des infrastructures publiques, comme les écoles et les hôpitaux ainsi que le développement de moyens de transport en commun électrifiés sont des exemples de projets exigeant une main-d’œuvre massive.
Un plan pour stabiliser notre économie
Un New Deal vert permettrait aussi de s’attaquer à la dévitalisation des régions. Ce phénomène est caractérisé, dans les régions éloignées des grands centres, par un exode et un vieillissement de la population, une perte graduelle des services de proximité, un taux de chômage plus élevé qu’ailleurs et une diminution du sentiment d’appartenance à la communauté. Un programme d’emplois garantis par l’État contribuerait ainsi à stabiliser les économies régionales en développant autant les infrastructures que les demandes en région, et en permettant aux travailleuses et travailleurs de faire leur vie dans la région de leur choix.
Le secteur privé pourrait aussi bénéficier d’un tel programme. Si une entreprise démontre que ce qu’elle développe va dans le sens de l’intérêt collectif dans le cadre de la lutte aux changements climatiques (exemples : développement et déploiement de la géothermie, production locale de fruits et légumes biologiques, développement et déploiement d’infrastructures résilientes, etc.), elle pourrait aussi avoir droit à un certain nombre d’employé·e·s payé·e·s par l’État pour contribuer à leur production, augmentant ainsi leur productivité. Ceci aurait un effet de levier de mobilisation du capital dans des projets privés qui peuvent être jugés risqués sur le plan financier, mais qui vont dans le sens de la décarbonisation de l’économie.
Les réponses de l’État, suite à la dernière crise économique, n’ont pas contribué à stabiliser le capitalisme qui est, par définition, une économie instable. Il serait donc temps de mettre en place des réformes structurantes permettant d’orienter la production et le travail dans le sens de l’intérêt collectif tout en stabilisant l’économie à plus long terme. Cette économie reconstruite à neuf rendrait la collectivité plus résiliente face à la crise climatique ainsi qu’aux prochaines crises économiques. Ce type de programme permettrait aussi de lutter contre les inégalités puisqu’il permettrait de transformer radicalement le marché du travail.
Un New Deal vert qui intègre un programme d’emplois garantis par l’État serait un élément de réponse aux grands enjeux du siècle. Il aurait un impact positif pour l’environnement ainsi que pour les travailleuses et les travailleurs. Les besoins sont criants. Il suffit maintenant de se donner collectivement les moyens de les satisfaire.