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Amazon ou les paradis fiscaux contre les travailleurs et les travailleuses

23 janvier 2025

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4min

  • Colin Pratte

Quand on est une multinationale qui ne paie pas d’impôt, ou à peine, il est plus aisé de s’acquitter de quelconque amende ou dommages et intérêts, des années plus tard, pour avoir contrevenu au Code du travail. Quand on ne paie pas d’impôt, ou à peine, il est aussi plus facile d’accepter de fermer des entrepôts fraîchement construits et d’enregistrer des pertes sèches cumulant des millions de dollars afin de tuer dans l’œuf un mouvement de syndicalisation.

En 2023, l’IRIS publiait une étude faisant état de quelque 120 milliards de dollars de profit net transférés au Luxembourg par des entreprises canadiennes dans la dernière décennie. Cette étude s’étant concentrée sur des firmes canadiennes, leurs consœurs américaines et internationales n’avaient pas été recensées. Les frasques récentes d’Amazon au Québec sont l’occasion de s’y attarder, d’autant plus que le siège social européen de ce géant est basé, sans surprise, au Luxembourg. 

Tout est légal, et c’est ça le problème

En 2003, l’État du Luxembourg entérinait auprès d’Amazon une stratégie d’évitement fiscal permettant à l’entreprise de garder à l’abri de l’impôt le trois quarts de ses profits déclarés au Luxembourg et issus de ses activités en sol européen. Le stratagème, connu sous le nom de « prix de transfert », est une chasse gardée de bien des multinationales, dont l’usage saigne à blanc depuis des décennies les trésors publics du monde entier. En l’espèce, les profits européens d’Amazon déclarés au Luxembourg étaient « défiscalisés » par le biais de redevances artificielles entre les filiales de la compagnie pour l’usage de sa propriété intellectuelle. En d’autres mots, une filiale luxembourgeoise d’Amazon, propriétaire des brevets de l’entreprise, chargeait à une autre filiale un tarif démesuré, le tout afin de gonfler les dépenses de l’entreprise et ainsi diminuer  son revenu imposable là où elle devait normalement s’acquitter d’impôts. 

En 2014 et suite à une enquête, la Commission européenne a estimé que cette seule stratégie avait permis à Amazon d’éviter de s’acquitter de 250 millions de dollar en impôt auprès du fisc luxembourgeois. Selon l’institution européenne, les contributions fiscales moindres d’Amazon représentaient un avantage indu sur ses concurrentes, qu’il convenait de rétablir. Cet effort de la part de la Commission européenne est pourtant resté vain, puisque tour à tour, le Luxembourg et Amazon ont interjeté appel devant la Cour européenne de justice, et sont parvenus à infirmer la décision initiale. 

Fort de cette victoire, Amazon poursuit à ce jour ses stratagèmes fiscaux au Luxembourg, qui lui fournissent un avantage illégitime sur ses concurrents. Uniquement pour l’année 2023, elle a déclaré des profits de 946 millions $ CAD au Luxembourg, selon les états financiers de sa filiale Amazon Services Europe s. à r. l. En Amérique du Nord, Amazon peut compter sur ses filiales du Delaware, qui ont concouru à ce que le géant du commerce en ligne ne paie pas un sou d’impôt fédéral aux États-Unis en 2017 et en 2018, en dépit de ses profits mirobolants.

Un avantage sur ses concurrents… et ses travailleurs et travailleuses

La Commission européenne a jugé à juste titre que les manœuvres fiscales d’Amazon au Luxembourg représentaient un avantage indu sur ses concurrents, parmi lesquels on compte des petites et moyennes entreprises. D’un point de vue strictement libéral, les paradis fiscaux stimulent la concentration des marchés et la domination de grandes entreprises, à l’encontre des principes élémentaires de concurrence. Amazon contrevient d’ailleurs régulièrement à ces principes, ayant par exemple été condamné en 2021 à une amende de 1,3 milliard d’euros par l’autorité antitrust italienne.

Si l’on prolonge le raisonnement de la Commission européenne et qu’on l’applique au rapport entre Amazon et ses salarié·e·s, on parvient à des conclusions similaires: les impôts non payés par Amazon sont autant d’avantages pécuniaires dans la gestion de ses relations de travail qui lui donnent une marge de manœuvre supplémentaire pour affronter les aspirations syndicales de ses travailleurs et travailleuses, ou tout simplement pour mettre en place de coûteuses technologies de contrôle et de surveillance de sa main-d’œuvre. En somme, l’impôt évité est autant de capital économisé permettant à la multinationale milliardaire de mieux faire triompher un modèle d’affaires voyou

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