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Budget du Canada 2024: un budget plein de bonnes demi-mesures

16 avril 2024

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11min


Le budget que le gouvernement libéral dépose aujourd’hui est celui d’une administration qui tente de se montrer à la hauteur des crises du pays. L’analyse que nous en faisons montre cependant que, bien que plusieurs mesures soient bénéfiques pour la population, elles risquent d’être insuffisantes pour remplir les objectifs qu’elles se donnent.

Cadre financier 

Le budget prévoit des revenus de 497,8 G$ et des dépenses de 537,6 G$, pour un déficit de 39,8 G$. Loin d’être alarmante, la situation des finances publiques du Canada demeure enviable. En effet, la dette du Canada en proportion de son PIB demeure la plus faible de tous les États du G7, dont la moyenne d’endettement grimpe à 95%, contre 15% pour le Canada. Le budget déposé aujourd’hui affiche d’ailleurs un recul de la dette fédérale relative au PIB.

L’épouvantail du surendettement public et des déficits alarmants sera sans doute agité par les partisan·e·s du conservatisme fiscal. Or, le bruit assourdissant de ce discours ne doit pas éclipser la réalité des faits. Les deux graphiques suivants montrent l’évolution des frais d’intérêts découlant de la dette du gouvernement fédéral ainsi que le solde budgétaire du pays en proportion, respectivement, des revenus de l’État et du PIB canadien. On remarque que ces deux indicateurs demeurent à des niveaux parmi les plus faibles en 40 ans.

En l’an 2000, pour chaque tranche de 100 $ de revenus du gouvernement fédéral, 25$ étaient alloués au service de la dette. Le budget 2024-2025 affiche pour sa part des frais d’intérêt relatifs aux revenus de 10,8%. C’est donc dire que 10,80$ sont alloués au service de la dette pour chaque tranche de 100$ de revenus.

Fiscalité: un rattrapage insuffisant

Dans les années 1990, 75% des gains en capital des particuliers et des entreprises étaient sujets à une imposition fiscale au fédéral. Au tournant des années 2000, ce taux a été réduit à 50%, laissant ainsi tout à fait libre d’impôt la moitié des gains en capital que déclare un·e contribuable. Une mesure phare de ce budget consiste à hausser ce taux à 66% pour les particuliers dont les gains en capital sont supérieurs à 250 000$. Cette mesure, à laquelle les entreprises sont également assujetties, générera des revenus fédéraux supplémentaires d’environ 4 milliards de dollars par année. Cette modification affectera uniquement 40 000 particuliers, soit 0,13% de la population.

Il convient de souligner que ce progressisme fiscal affiché par le gouvernement représente un rattrapage timide faisant suite à des décennies de mesures fiscales régressives. Le Directeur parlementaire du budget a en effet calculé qu’un retour à un taux d’inclusion de 75% des gains en capital, sans plancher minimal, engendrerait des revenus additionnels de 13 milliards $, soit des sommes trois fois supérieures à celles de la mesure présentée dans le budget.

Même s’il augmente l’imposition des gains en capital, le Canada demeure tout de même le pays du G7 ayant le plus faible taux d’imposition effectif des entreprises, ce dont le gouvernement se vante par ailleurs. Le budget énonce en effet qu'il « est important de maintenir un [taux d’imposition effectif des entreprises] concurrentiel pour que le Canada demeure une destination d’investissement attrayante ». Le gouvernement invoque ainsi la logique néolibérale de la « course fiscale vers le bas », dont les grands perdants demeurent les trésors publics du monde entier, y compris celui du Canada. Rappelons à cet égard que le gouvernement fédéral a diminué de 60% le taux d’imposition fédéral des entreprises depuis les années 1980, perdant ainsi d’importants revenus fiscaux. 

En outre, le gouvernement ne fait rien pour contrer les pratiques d’évitement fiscal des grandes entreprises. L’IRIS calculait à cet égard que les entreprises canadiennes ont transféré 120 milliards de profit net pour le seul paradis fiscal du Luxembourg dans la dernière décennie. L’entreprise propriétaire des chaînes Tim Hortons et Burger King a par exemple déclaré en toute légalité 12 milliards de profit net au Luxembourg en 2021, engendrant ainsi d’importantes pertes fiscales pour les trésors publics des pays où elle a des activités économiques effectives. 

Logement

Tandis que le budget de l’année dernière ne prévoyait presque aucune mesure en matière de logement malgré la crise qui sévit partout au pays, le gouvernement met cette fois de l’avant un florilège de mesures. 

D’une part, il annonce une série de mesures visant à favoriser la construction de logements, par exemple en convertissant des terrains publics et des bureaux fédéraux en logements, en taxant les terrains vacants et en augmentant les déductions fiscales pour les constructeurs de logements locatifs.

D’autre part, il prévoit des mesures pour faciliter l’accès à la propriété, notamment en relevant la limite des retraits permis à un REER pour la mise de fonds d’une première propriété et en allongeant de cinq ans la période d’amortissement d’un prêt hypothécaire, ou encore en tenant compte des paiements de loyer pour établir l’historique de crédit d’une personne désireuse de s’acheter une maison.

Les mesures favorisant la construction de logements sont les bienvenues et contribueront sans doute à atténuer la crise du logement, mais leurs effets bénéfiques ne se manifesteront que dans quelques années, une fois les nouvelles habitations construites. De plus, il importe de se rappeler que contrairement à certaines idées reçues sur l’offre et la demande, la construction de logements ne garantit pas nécessairement une baisse des loyers, comme l’a montré une note de l’IRIS en juin dernier. En ce sens, on peut s’inquiéter du fait que le budget fédéral 2024 ne contienne que peu de choses pour développer le logement social et hors marché (c’est-à-dire à but non lucratif), alors qu’il s’agit de la meilleure façon de préserver le parc immobilier à l’abri de la spéculation.

On peut aussi se demander quel sera l’impact réel des mesures visant à faciliter l’accès à la propriété. En accroissant la demande, elle pourrait contribuer à la surchauffe du marché immobilier, et donc à la hausse des prix, ce qui serait contraire à l’effet recherché.

Alimentation

Avant le dévoilement officiel du budget, le gouvernement a annoncé en grande pompe la création d’un programme national d’alimentation scolaire. Ce faisant, il rattrape en quelque sorte un retard historique, considérant que le Canada est le seul pays du G7 à ne pas avoir un tel programme. Le budget 2024 annonce un investissement d’un milliard de dollars sur cinq ans, soit 200 millions de dollars par année, pour mettre en place le programme d’alimentation scolaire en collaboration avec les provinces et les territoires. Or, une étude publiée par l’IRIS en août 2023 montrait qu’au Québec seulement, un programme d’alimentation scolaire universel coûterait 1,7 milliard de dollars par année. Il faudrait donc des investissements annuels d’environ 7,4 milliards de dollars pour étendre ce programme à l’échelle du Canada. Avec les annonces effectuées aujourd’hui, on est donc très loin du compte.

Le gouvernement Trudeau semble par ailleurs s’orienter vers un programme d’alimentation scolaire qui cible les ménages à faible revenu, alors que la recherche montre que les programmes d’alimentation scolaire universels sont à la fois plus efficaces et moins stigmatisants pour les personnes défavorisées. Le Chili, le Brésil, la Suède et la Finlande sont tous des pays ayant opté pour une approche universelle: tous les enfants d’âge scolaire y bénéficient d’un repas gratuit.

Santé

Le budget 2024 concrétise la mise en place d’un régime national d’assurance médicaments en accordant 1,5 milliard de dollars sur cinq ans à cet objectif, soit 300 millions de dollars par année. Cette annonce fait suite au dépôt le 29 février dernier du projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments, qui définit les principes de la première phase du nouveau régime. Dans cette première phase, le régime d’assurance médicaments couvrira les frais associés aux moyens de contraception et aux médicaments contre le diabète.

On peut toutefois s’interroger sur le fait que le gouvernement ne donne aucune indication sur l’échéancier et le budget prévus pour le plein déploiement d’un programme qui couvrirait l’ensemble des médicaments. Rappelons que le directeur parlementaire du budget avait estimé en octobre 2023 que la mise en oeuvre d’un régime universel d’assurance médicaments à payeur unique nécessiterait des sommes de 11,2 milliards en 2024-2025 et que ce programme permettrait de faire des économies en ce qui concerne les dépenses totales pour des médicaments au Canada.

Un régime d’assurance médicaments complet constituerait une avancée indéniable. En effet, le Canada est actuellement le seul pays riche doté d’une assurance-maladie qui n’inclut pas l’assurance médicaments. De plus, après la Suisse et les États-Unis, le Canada est le pays de l’OCDE où les prix sont les plus élevés. L’assurance médicaments publique permettra donc aux Canadiens et aux Canadiennes d’épargner en frais de médicaments et aux ménages les plus pauvres d’éviter d’avoir à couper dans leurs dépenses essentielles pour pouvoir payer leurs prescriptions.

Environnement

Après l’écran de fumée verte du budget de l’année dernière, qui prévoyait un montant famélique de 8 milliards par année (moins de 0,4% du PIB), l’exercice de cette année prévoit très peu de mesures en la matière. Le grand absent est sans conteste le transport en commun, qui n’obtient aucun financement supplémentaire au pays.

Sur le plan de la consommation énergétique, le gouvernement revoit à la baisse les programmes et incitatifs à l’amélioration de l’efficacité énergétique des résidences au pays. Venu à échéance cette année, le programme Subventions canadiennes pour des maisons plus vertes a versé des subventions de 2,6 milliards sur trois ans, soit une moyenne de 867 millions de dollars par année. Le gouvernement remplace ce programme par la Stratégie canadienne pour les bâtiments verts, qui prévoit des investissements publics annuels de seulement 150 millions de dollars par année, pour une durée de 6 ans. Pourtant, la transition énergétique doit non seulement signifier une sortie des énergies fossiles, mais également une diminution de l’énergie consommée au pays. À ce titre, une étude d’un centre de recherche affilié à l’Université Carleton estimait en 2021 que le Canada devrait investir entre 20 et 40 milliards de dollars annuellement pour améliorer l’efficacité énergétique de ses bâtiments et ainsi diminuer substantiellement la consommation d’énergie au pays. Le programme annoncé aujourd’hui est loin du compte. 

Défense

Le gouvernement fédéral était déjà engagé depuis quelques années dans une dynamique de hausse des dépenses militaires, mais les sommes prévues pour la défense nationale dans le budget 2024 atteignent des sommets difficilement justifiables alors que le gouvernement fédéral se dit soucieux d’avoir une gestion budgétaire responsable. En effet, le gouvernement prévoit que le budget total de la Défense nationale atteindra 44,2 milliards de dollars en 2025-2026, soit plus du double des dépenses de 2015-2016 (18,7 milliards de dollars). Le gouvernement Trudeau se montre donc plus militariste que le gouvernement Harper, dont les dépenses militaires ont atteint un sommet de 20,3 milliards de dollars en 2010-2011. 

Les dépenses militaires canadiennes nous privent de sommes qui pourraient être investies ailleurs, comme dans des programmes qui amélioreraient le sort des citoyen·ne·s ou qui soutiendraient la transition écologique. Notons d’ailleurs que la Défense nationale est, de loin, l’organisme fédéral qui produit le plus de gaz à effet de serre au Canada et que la crise climatique sera sans contredit l'une des principales sources d'instabilité dans le monde dans les années à venir.

Conclusion: un bouquet de demi-mesures 

Les annonces prébudgétaires à grand déploiement faites dans les derniers jours ont fait monter les attentes envers ce budget. En ce qui concerne le logement, l’assurance médicaments, les soins dentaires et l’alimentation scolaire, le gouvernement laisse miroiter la possibilité de mettre en place des programmes qui amélioreraient réellement la vie des citoyen·ne·s du pays. En ce sens, les choix du gouvernement Trudeau vont dans la bonne direction dans la mesure où ils ciblent des problèmes réels: concentration de la richesse, inégalités de santé, crise du logement, insécurité alimentaire, etc. Pourtant, les sommes assorties à ces programmes ne permettent pas leur pleine mise en œuvre. De plus, leur déploiement se fera sur plusieurs années. Tous ces programmes sont donc vulnérables à des changements de la situation économique, des orientations gouvernementales ou à un changement de gouvernement.

En somme, que ce soit par son progressisme fiscal timide, sa stratégie sur le logement minimisant le rôle du logement hors marché, son programme d’alimentation scolaire non universel ou son régime d’assurance médicaments incomplet, ce budget en est un de demi-mesures.

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1 comment

  1. La dette publique:
    Le fédéral économiserait, à lui seul, près de 54,000,000,000$ par année s’il empruntait sans intérêt à “sa” banque: la banque centrale du Canada.

    Fiscalité:
    Pourquoi le gain en capital et-il moins taxé que le revenu d’emploi alors que l’inverse est logique?
    Cessons de taxer la sueur!
    Taxons la spéculation!
    En prime, ça mettra du plomb dans l’aile de l’inflation.

    Logement:
    L’établissement de ce que sont les “biens premiers” et leur mise à l’abri de la spéculation serait un véritable premier pas en y incluant le logement familial.

    Alimentation:
    Il n’y a pas que les enfants qui mangent.
    Un programme qui offrirait des revenus bonifiéa aux agriculteurs aurait un effet positif sur le panier à provision de tout le monde.

    Santé:
    Que le fédéral enlève ses doigts de là. C’est une compétence exclusive provinciale. Au mieux, qu’il réduise les impôts fédéraux afin que les provinces puissent avoir les moyens de monter elles-même leur programmes de santé selon leurs critères.

    Environnement:
    Un autre cas ou le fédéral devrait réduire ses impôts pour permettre aux provinces de développer un programme d’économie énergétique approprié à la réalité de chacune. Des programmes d’isolation des maisons et de développement technologique entourant les chauffe-eaux aurait un effet plus important que construire 10 Manic5.

    Défense:
    Sujet difficile à traiter car on se retrouve avec une épée de Damoclès.
    Pour le résoudre, je propose la position suivante: Ou bien on se paye une armée à nous, ou bien on paye pour une armée étrangère. Voila pourquoi le service militaire devrait être obligatoire pour quiconque atteint l’âge de 18 ans et il durerait 3 ans. La police municipale, la GRC et les services de renseignements devraient probablement être absorbés par l’armée.

    Conclusion:
    Toute mesure qui ne déclare pas et/ou ne protège pas la souveraineté nationale n’a aucune valeur. Viser l’indépendance manufacturière, alimentaire et militaire sont des objectifs primordiaux. Chaque province, ayant des défis différents à surmonter, tout programme national est voué à l’échec.