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Cégep inc. : ok, mais « en français s.v.p. » ?

11 février 2020


On apprenait la semaine dernière que le Cégep de la Gaspésie et des Îles exploite depuis cinq ans un campus montréalais qui offre des programmes d’attestation d’études collégiales (AEC) à des étudiantes et des étudiants étrangers. Recrutés principalement en Inde et en Chine, ces étudiant·e·s déboursent 14 700$ par année pour suivre cette formation.

Parmi l’ensemble de questions que soulève l’existence de cette « succursale » du Cégep de la Gaspésie (qui, nous dit-on, n’est pas un cas unique), c’est le fait qu’elle opère uniquement dans la langue de Shakespeare qui semble avoir suscité le plus de réactions.

Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, n’a d’ailleurs pas véritablement remis en question le caractère mercantile de cette entreprise, se contentant surtout de dénoncer le fait que le français n’y occupe aucune place :

« Ce qui me dérange, ce n’est pas le nombre de kilomètres entre la Gaspésie et Montréal. C’est l’information qu’ils donnent pour recruter des étudiants et c’est le fait que ce soit exclusivement en anglais. Et on va s’attaquer à ces deux choses-là. »

Certes, la question de la langue est ici légitime, mais il faut voir qu’elle s’inscrit dans le problème beaucoup plus large posé par l’internationalisation de l’éducation. Comme l’a montré Eric Martin sur ce blogue, ce phénomène participe directement d’un projet politique de marchandisation mondiale de l’éducation.

Près de 30 ans d’internationalisation des cégeps

L’internationalisation de l’éducation peut être comprise comme le fait d’inclure « une dimension internationale, interculturelle et planétaire dans l’objet, les fonctions (enseignement, recherche et services) et l’offre éducative des établissements d’enseignement supérieur. » (p. 12)

Elle se décline ainsi en quatre volets : internationalisation des formations, mobilité étudiante et enseignante, accueil d’étudiant·e·s internationaux et exportation du savoir-faire. Plus concrètement, cela se traduit par l’ajout d’enjeux internationaux dans les contenus de cours, par des stages et des séjours d’études à l’étranger, par le recrutement d’étudiantes et d’étudiants internationaux, par la participation enseignante à des conférences internationales, etc.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’internationalisation de l’enseignement collégial ne date pas d’hier : Cégep international avait été créé en 1993 pour appuyer quelques cégeps dans leurs activités internationales. Dès 1999, l’organisme représente les 48 établissements du réseau collégial. Puis, il est intégré en 2014 à la Fédération des cégeps qui se dote ainsi d’une Direction des affaires internationales.

L’internationalisation des cégeps n’est donc pas un détail ou un hasard: elle est de plus en plus organisée, encouragée et défendue d’une manière ou d’une autre par  différents acteurs du milieu de l’enseignement supérieur.

Internationalisation et manque de financement

Au-delà des beaux discours prônant l’échange interculturel et l’ouverture sur le monde, il faut voir que l’internationalisation de l’éducation a surtout des visées économiques et marchandes. Dans un contexte où le financement des cégeps est basé sur le nombre d’inscriptions, les activités internationales servent directement à se démarquer de la concurrence locale, nationale ou internationale.

Chaque cégep utilise effectivement la dimension internationale de ses programmes (stages, séjours d’études ou autres) comme « argument de vente » auprès des étudiant·e·s québécois·es, afin de générer le plus d’inscriptions possible. Le développement des activités internationales fait cependant face à plusieurs difficultés, dont le manque de ressources, de soutien et d’encadrement. Ces activités seraient d’ailleurs impossibles sans une grande part de bénévolat des enseignant·e·s et sans de nombreuses activités d’autofinancement organisées par les étudiant·e·s. Le travail gratuit dont profite ici l’institution est pour le moins discutable.

L’internationalisation de l’éducation est également vue comme un moyen de pallier le manque de financement causé par la baisse d’inscriptions (en particulier dans les cégeps en région) auquel s’ajoutent les compressions budgétaires imposées au réseau collégial au cours de la dernière décennie. Le recrutement d’étudiantes et d’étudiants internationaux rencontre néanmoins différents obstacles tels que les coûts de promotion, le besoin de structures d’accueil permettant l’intégration des étudiants étrangers à la vie collégiale et aux programmes d’études réguliers, la difficulté d’attirer les étudiant·e·s en région éloignée, etc.

Avec son campus montréalais réservé à une clientèle étrangère, le Cégep de la Gaspésie paraît avoir trouvé une formule gagnante qui maximise les profits et contourne les problèmes de distance et d’intégration. Mais c’est sans compter les pratiques douteuses de ses partenaires d’affaires, qui sont au coeur de litiges à propos de commissions non versées et dont des ententes ont déjà été résiliées au Québec pour cause d’irrégularités. La situation a de quoi inquiéter et illustre bien les dérives auxquelles mène la marchandisation de l’éducation, dont celle de traiter les étudiant·e·s étranger·e·s comme de pures sources de revenus.

Revenir à la mission fondamentale des cégeps

Face au sous-financement du réseau collégial et au désinvestissement de l’État en éducation, il n’est pas surprenant que des cégeps considèrent l’internationalisation de l’éducation comme une occasion d’affaires. Mais on peut se demander si rayonner sur la scène internationale et attirer des étudiant·e·s d’ailleurs dans le monde fait partie de la mission des cégeps et si leur internationalisation constitue un gage de qualité. Lorsqu’on regarde l’exemple du Cégep de la Gaspésie, on se dit que poser la question c’est probablement y répondre… En ce sens, peut-être serait-il temps de valoriser ici et maintenant l’enseignement collégial, en y investissant tout l’argent et toute l’énergie qu’il mérite.

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