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« L’erreur de l’IRIS » selon Vincent Geloso : une blague?

20 septembre 2014


Vincent Geloso nous fait le plaisir de répondre à l’étude que Francis Fortier et moi avons publié mercredi. Je savais qu’il était économiste et qu’il avait étudié à la prestigieuse London School of Economics, mais je ne savais pas qu’il avait également des talents d’humoriste comme il nous l’a montré hier. Il a décidé de démarrer sur un gros punch en prétendant dans son titre que nous faisions erreur sur les taxes à la consommation. Voyons voir ce qu’il en est.

M. Geloso a écrit, au final, trois textes sur la question. En début d’après-midi hier il publiait une première version. Il a décidé de la modifier en faisant un ajout, suite à des échanges sur twitter et dans les commentaires de son texte (et suite peut-être à une lecture de notre étude, ce qui n’était pas évident qu’il avait fait au départ). Il a enfin décidé de réécrire une bonne partie de son texte et d’allonger son ajout. J’ai passé la journée d’hier à répondre à des arguments, qui, au final, changeaient ou tout simplement disparaissaient. Je vous passe tout ça et je me consacre à répondre au texte final, qui n’a pas changé depuis les douze dernières heures sur le blogue de M. Geloso.

Récapitulons rapidement le débat. Une partie de notre étude conteste une étude que le fiscaliste Luc Godbout a co-écrit avec Suzie St-Cerny à propos de la progressivité des taxes à la consommation. Pour eux, les taxes à la consommation sont plus progressives qu’on le pense, nous défendons pour notre part qu’elles sont régressives. Notre divergence avec Godbout et St-Cerny tient sur des choix et désaccords méthodologiques, mais surtout sur le fait que nous nous appuyons sur des données plus récentes. Cependant, ce n’est pas ce qui dérange M. Geloso (il semble même aimer notre façon d’en faire le calcul, tant mieux!), celui-ci conteste un choix que nous faisons en accord avec Godbout et St-Cerny, soit celui de calculer le taux de taxation effectif des taxes à la consommation.

Qu’est-ce que le taux effectif de taxation ou d’imposition? Nous partageons avec M. Godbout, Mme St-Cerny et le reste de la planète (des conseillers en placement à Thomas Piketty en passant par l’IEDM où M. Geloso est chercheur-associé) la définition suivante de ce qu’est un taux effectif, soit « le rapport entre les taxes payées et le revenu pour chaque groupe de revenu » (p.5 de l’étude pré-citée de Godbout). En d’autres mots : on prend la quantité de taxes payées, on la divise par le revenu, ça donne le pourcentage de notre revenu qu’on consacre à payer des taxes. Cela nous permet de savoir l’effort fiscal qui est demandé à chaque groupe de contribuables, dans le cas de notre étude et de celle de Godbout et St-Cerny, des quintiles (soit des tranches de 20% de la population québécoise). Une taxe est dite progressive lorsque les plus pauvres paient une moins grande part de leurs revenus que les plus riches pour l’acquitter. Elle est dite régressive lorsque c’est l’inverse.

Pour M. Geloso, calculer ainsi le poids des taxes sur les revenus n’a pas d’intérêt. En fait, ce serait une manipulation de données à laquelle nous aurions procédé pour obtenir le résultat que nous souhaitions avoir. Résumons sa position (du moins, la plus récente version de celle-ci) :

Au lieu de mesurer le poids des taxes à la consommation sur le revenu, nous aurions dû, selon M. Geloso, le mesurer sur la consommation. Pourquoi? Parce que, selon lui, de les classer en fonction de leurs revenus ne nous permet pas de voir les personnes qui, alors qu’elles perdent un emploi ou vont à la retraite voient leur revenu diminuer, mais vivent sur leur épargne. La consommation serait, selon lui, plus stable que les revenus dans la vie de quelqu’un, il aurait donc fallu se baser sur celle-ci pour évaluer la progressivité des taxes à la consommation. En choisissant le revenu, nous éliminerions de nos calculs cette masse de gens qui vivent de leur épargne, en conséquent nous choisirions les donnés qui nous conviennent pour faire notre démonstration. Pour toute cette démonstration – fondée ne cesse-t-il de répéter sur des démonstrations ancestrales de la littérature en science économique – M. Geloso ne cite qu’une étude – étonnamment avec son titre anglais – l’Enquête sur les dépenses des ménages dont les données montrent que les ménages plus pauvres dépensent davantage que leurs revenus, tandis que les plus riches épargnent. Démonstration, selon lui, que les pauvres vivent sur leur épargne.

Voyons maintenant le mécanisme de la petite facétie de M. Geloso.

1. L’IRIS choisit ses données pour servir sa démonstration

M. Geloso gagnerait à lire l’étude de Godbout et St-Cerny que nous contestons. Il découvrirait qu’en faisant une comparaison entre les taxes payées et le revenu, elle arrive à dire que… les taxes à la consommation sont progressives. Premier problème pour M. Geloso. Son texte nous dit que c’est parce que nous avons choisi le revenu que les taxes à la consommation nous apparaissent comme régressives : il semble que ce ne soit pas nécessairement le cas. Deuxième problème : nous n’avons pas choisi de prendre le revenu, nous avons simplement, sur ce point, suivi la méthodologie de l’étude que nous contestions et nous l’avons mise à jour. En cela, nous avons fait comme Godbout et St-Cerny, mais aussi comme tout le monde qui calcule un taux effectif.

Bref, Vincent Geloso soutient qu’en reprenant la méthodologie de Godbout et St-Cerny qui dit le contraire de ce que nous affirmons nous servons notre thèse. Quel cabotin!

2. Il faudrait calculer les taxes à la consommation sur les dépenses et non sur les revenus

Les revenus, trop fluctuants selon M. Geloso, ne rendraient pas compte de la réalité à long terme des ménages. Ceux-ci épargneraient pour les périodes difficiles, ainsi il faudrait non seulement faire diviser la quantité de taxe payée sur la consommation, mais en plus faire nos quintiles non pas en fonction des revenus, mais de la consommation. Il nous semble, pour notre part, que la donnée qu’on obtiendrait ne serait pas pertinente. En effet, la question n’est pas de savoir ce que les taxes représentent par rapport à la consommation des gens (qui peut effectivement suivre autre chose que le revenu), mais bien ce que représente ces taxes sur ce qu’ils ne peuvent pas changer et avec lequel il doivent composer (leur revenu). C’est d’ailleurs ce qui préoccupe les gens quand ils regardent la part de leur paie qui sert à payer de l’impôt – question sur laquelle l’étude de l’IEDM mentionnée haut insiste. Je ne connais personne qui s’exclame : « Diantre, le gouvernement m’a enlevé 20% de mes dépenses en consommation en taxe! ». On dit plutôt : « Ventre-Saint-Gris! Ils m’ont enlevé 20% de ma paie! ». Bref, quand on veut savoir si une taxe (ou un impôt) est régressive ou progressive, on veut savoir quelle part de leur revenu y consacrent les plus riches par rapport au plus pauvres. Le montant de la consommation consacré aux taxes ne nous apprend strictement rien sur le poids que représentent les taxes pour chacun-e d’entre nous.

Calculer les taxes sur les dépenses et non sur les revenus, au contraire de ce que tout le monde fait et de ce qui est pertinent : belle calembredaine!

3. Certaines personnes des premiers quintiles y sont, en fait, en transition et faussent les données si on les observe à partir du revenu

C’est une chose d’affirmer que l’épargne d’un nombre important de plus pauvres est grand et donc fausse les données parce qu’il devient un revenu réparti dans le temps; c’est une autre chose de le démontrer. Si on se fie à une autre enquête de Statistique Canada L’enquête sur la sécurité financière, on peut avoir la réponse à la question de M. Geloso. Y’aurait-il donc dans le premier quintile au Québec des gens qui ont beaucoup d’épargne et qui, vivant sur cette épargne, faussent les données de revenus (ce qu’ils puisent dans leur épargne n’étant pas considéré comme un revenu). Des faux pauvres en quelque sorte, des gens en transition comme dirait M. Geloso. Eh bien, ils ne semble pas y en avoir tant que ça. En 2005 (les données que j’avais de disponible le plus rapidement, comme il faut travailler avec les micro-données, c’est plus long, mais n’ayez crainte, ma collègue Julia Posca travaille les plus récentes. On devrait avoir une belle étude pour vous bientôt), la valeur moyenne des actifs du premier décile de revenu était de -9571$ et celle du deuxième décile de 4513$. Ça ce sont les actifs : ça comprend les voitures, les maisons, toutes les possessions qui ont une valeur de revente. Il est bien possible que les gens en transition dont parle M. Geloso existent, mais ils sont une exception et non la règle. Les pauvres seraient des riches déguisés, ça ne manque pas d’humour.

En évacuant la question du revenu de son analyse M. Geloso perdrait un nombre important de faits. D’ailleurs, dans le billet de M. Geloso, un mot n’apparaît pas : endettement. Il l’évoque en sous-entendu en disant que les étudiants vivent au-dessus de leurs moyens en espérant des revenus plus élevés plus tard. Cependant, il y a une autre forme d’endettement dont M. Geloso fait complètement abstraction : l’endettement qu’on accumule parce que nos revenus ne suffisent pas à couvrir nos besoins de base. Quand on regarde les deux premiers déciles et qu’on garde en tête les actifs qu’on vient de mentionner on peut ajouter qu’ils ont respectivement 15 383$ et 11 767$ de dette. Ce n’est pas pour rien, leur revenu disponible ne couvre pas ce qu’il faut pour qu’ils acquittent leurs besoins essentiels. Ce que notre étude fait et que M. Geloso ne pourrait pas faire avec son regard sur la consommation c’est la chose suivante :

–       Les ménages les plus pauvres voient leur revenus stagner (p.31, graphique 14)
–       Leurs dépenses sont plus élevées que leurs revenus de façon systématique car ils n’ont pas assez de revenus pour combler leurs besoins de base (p.41,  graphique 36.)
–       Les taxes à la consommations demandent de consacrer une plus grande part de leurs revenus aux plus pauvres qu’aux plus riches (p.40 graph. 33-34) alors que les revenus de ces derniers ont cru et qu’ils dépensent moins que leurs revenus.
–       Une croissance des taxes à la consommation va donc augmenter l’endettement des ménages pauvres (p.41).

Tout cela serait invisible aux yeux de M. Geloso fixés sur les dépenses. Pourquoi? Parce qu’il se priverait de regarder l’élément moteur : le revenu et sa répartition dans la société. Si on ne comprend pas comment le gens répartissent leur revenu entre leurs différentes obligations, on ne comprend pas dans quelle dynamique sociale ils sont engagés. En plus, en regardant uniquement les dépenses, on fait comme si nos revenus et notre endettement c’était la même chose.

Bref, « l’erreur de l’IRIS » que mentionne M. Geloso dans son titre, c’est celle d’avoir calculé le taux d’effort sur le revenu, comme le fait M. Godbout et comme le font les gens de l’IEDM (et tout le monde qui veut mesurer le poids d’une taxe). Nous aurions dû faire les choses autrement selon lui et prendre une méthode aussi alambiquée que peu orthodoxe pour couvrir des exceptions qu’un regard plus attentif montre comme peu significatives. Désaccord méthodologique? Peut-être, mais mal défendu et peu convaincant. Mais, « erreur »? Sacré farceur, va!

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