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Soyons créatifs : détruisons l’université

13 août 2014


Dans son premier numéro de juillet, la revue The Economist proposait, en première page, la photo d’un mortier de diplômé transformé en bombe sur le point d’exploser sous le titre : « Creative destruction : reinventing the university ». Reprenant la célèbre expression de Joseph Schumpeter, on nous annonçait cette fois que la vénérable institution subirait une véritable révolution à cause de ses coûts croissants, d’une transformation du monde du travail et d’une rupture technologique importante.

Le plus étonnant dans la série d’articles est le fait qu’ils aient été écrits si récemment. En effet, The Economist reprend essentiellement le même discours sur l’université qu’on entend de la part de l’OCDE et d’une série d’agences internationales depuis bientôt 20 ans. Depuis le milieu des années 1990, tant des intellectuels comme Michael Gibbons et Helga Nowotny que des gouvernements comme celui du Québec ou celui de la Grande-Bretagne n’ont eu cesse de nous dire que le marché de l’emploi avait changé et qu’il fallait que l’université participe à un nouveau mode de production du savoir. À cela se sont ensuite greffés les impacts d’Internet sur l’enseignement, les vagues successives de compression des coûts dans les missions d’enseignement et les investissements pour favoriser la recherche commercialisable. Bref, la « révolution » qu’attend The Economist est déjà en cours depuis longtemps.

Réécrire l’histoire

En fait, cette série d’articles nous montre plutôt une de ses grandes avancées : la réécriture de l’histoire. The Economist réfère à plusieurs reprises au passé lointain de l’institution universitaire pour immédiatement faire comme si sa mission avait toujours été de former des professionnels. En omettant de mentionner que les élèves qui se rassemblaient autour d’Aristote ne le faisaient pas pour obtenir un meilleur emploi ou un meilleur salaire, le magazine britannique plaque sa vision contemporaine de l’université sur plusieurs siècles d’histoire. La conséquence? Il est facile ensuite de présenter les changements qu’il propose comme de simples évolutions auxquelles il est nécessaire de s’adapter. Avant on éduquait notre élite dans des salles de cours, maintenant nous avons Internet. Avant on se formait dans la vingtaine pour ensuite travailler tout le reste de sa vie, maintenant il faut sans cesse réinvestir dans son capital humain. Avant on faisait de la recherche pour le public, maintenant c’est le privé qui en a besoin. Adaptons-nous!

Il faut savoir être créatif : c’est-à-dire se conformer le mieux possible aux exigences externes de la technologie et de l’économie. C’est la rupture technologique, dont j’ai déjà parlé ici, qui l’exige. Bientôt plus besoin de ces profs moyens qu’on fréquente dans nos universités moyennes de province, on pourra tous aller au MIT sur le Web selon The Economist et d’ailleurs on n’a toujours voulu que ça, aller dans des universités qui brillent par leur excellence.

La transmission de la science et de la culture? Le regard critique distant sur notre société? Le lieu de débat et d’échange suite à des travaux réfléchis? Même plus besoin de s’en débarrasser, ça n’a jamais existé pour The Economist.

Les fruits de la révolution

Un article paru dans la plus récente édition du magazine étasunien Jacobin fait justement état des conséquences des transformations du système universitaire aux États-Unis, depuis la mise en place du Bayh-Dole Act qui liait la recherche académique aux besoins des entreprises. Vous voulez connaître les résultats de la transformation de l’université en laboratoire de recherche mercenaire pour l’entreprise privée? Le titre du texte de Llewllyn Hinkes-Jones dit tout : “Bad Science”. Faire entrer la logique du profit dans le monde universitaire n’aide pas la science, elle lui nuit.

The end result is a greater imperative not just to publish or perish, but to publish groundbreaking, provocative insights into our understanding of the world around us that require further investigation in highly respected journals — or perish. In the words of Stephen Quake, professor of bioengineering at Stanford, it is “funding or famine.” Within that decision matrix, the incentive to falsify findings, cut corners, and cherry-pick data becomes more advantageous. Whatever it takes to get more papers out the door and more grants coming in. It has come to a point that academics are insisting“there is no cost to getting things wrong. The cost is not getting them published.” In a meta-analysis of published research for the Public Library of Science (PLOS), John P. A. Ioannidis placed the blame specifically on the financial underpinnings of research, noting that “the greater the financial and other interests and prejudices in a scientific field, the less likely the research findings are to be true.”

Les méthodes de la vieille institution universitaire, qui souhaitait préserver l’indépendance de ses chercheurs en les laissant loin de l’appât du profit, n’avaient pas que des défauts. Dans le même article on nous réfère également ce texte qui nous apprend que le nombre d’articles qui ont dû se rétracter pour fraude ont décuplé depuis 1975. Une bonne nouvelle pour l’innovation.

Quand on lit tout l’enthousiasme de The Economist pour les MOOC, ces cours en ligne qui permettent d’entendre les plus éminents intellectuels grâce à des systèmes de télé-université, on se dit qu’ils regretteront bientôt les vrais professeurs, aussi ancien régime puissent-ils être. Peut-être quand viendra le temps de faire un travail de longue haleine, comme une maîtrise ou un doctorat, où l’on a besoin d’autre chose que d’une série de conférences, mais bien d’un suivi pour faire avancer une idée nouvelle justement. Où l’on a besoin de discussion pour voir si on est sur la bonne voie, de suggestions pour découvrir des pistes qui nous étaient jusqu’alors inconnues.

Bref, la révolution en cours dans les universités est effectivement en train de les changer, mais ce qui s’y passe réellement est au-delà des ornières que The Economist impose à l’histoire.

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