Éloge de la gratuité
6 mars 2014
La situation budgétaire du Québec en inquiète plus d’un (comme il est possible de le voir ici, ici et ici). Les Québécois-e-s, au travers leur État et leurs institutions publiques, vivraient bien au-dessus de leurs moyens, et ce, depuis fort longtemps. En conséquence il faudrait augmenter les tarifs exigés des utilisateurs des services publics. C’est exactement ce principe qu’a suivi Mme Marois il y a quelques semaines en annonçant une augmentation des tarifs des services de garde, ceux-ci devant passer de 7$ par jour à 9$.
Ce principe, que l’on nomme souvent « l’utilisateur-payeur », repose sur une idée toute simple voulant qu’il n’existe pas une telle chose qu’un service public gratuit, quelqu’un quelque part devant payer la facture (pour les infrastructures, les salaires, l’administration, etc.). Il serait donc injuste d’imposer le paiement de ce coût à l’ensemble de la population.
Qui dit idée simple, dit solution simpliste. Il faut augmenter les tarifs afin d’éviter le gaspillage dans l’utilisation des services : vous savez, tous ces gens qui vont à l’hôpital sans raison ou encore ces étudiant-e-s qui aiment tellement vivre avec moins de 10 000 $ par année qu’ils restent au CÉGEP pendant une ou deux éternités. L’autre avantage de l’option tarifaire serait de donner aux services publics leur juste valeur : c’est connu, le citoyen-ne normalement constitué ne peut comprendre la valeur d’un service si aucun prix n’y est associé.
La gratuité : solution simple et efficace
Posons la même question, mais sous un autre angle. Si le problème pour l’avenir des services publics québécois n’était pas trop de gratuité, mais trop de tarifs? Ultimement, financer un service à l’aide de l’impôt ou en ayant recours à des tarifs revient un peu au même : l’État demande à la population de payer pour les services qu’il dispense. Alors que l’impôt fait reposer cette demande sur les épaules de l’ensemble des contribuables, les tarifs, eux, transfèrent cette demande sur les épaules des seuls utilisateurs.
Ce faisant, c’est l’idée que nos services publics forment en quelque sorte notre assurance collective qui est mise à mal. Le principe à la base du développement des services publics est de mutualiser les risques sociaux afin d’éviter que chacun, dans le cas d’un imprévu (maladie, perte d’emploi, etc.) ou du simple fait de vieillir (garderie, école, retraite, CHSLD, etc.), ne se retrouve seul devant son triste sort.
L’exemple des soins de santé est très clair à ce sujet. Au final, c’est la part laissée au secteur privé qui est le principal responsable de l’explosion des coûts. Aux États-Unis, par exemple, les dépenses liées à la santé représentent 17,7 % du PIB et la moitié de cette part est imputable à la prédominance du secteur privé. À l’inverse, au Canada les dépenses de santé ne représentent que 11,2 % du PIB.
En clair, un service public gratuit financé collectivement est une sorte d’assurance que la société québécoise se donne à elle-même. En collectivisant les coûts et les risques, il est possible à la fois d’assurer tout le monde et de réduire substantiellement le coût des services.
Refiler la facture aux utilisateurs, comme le gouvernement Charest a tenté de le faire avec les droits de scolarité et comme le gouvernement Marois le fait avec les frais de garderie, est une solution à l’exact opposé de la responsabilité fiscale. Certes, de telles mesures permettent de se présenter devant l’électorat sans devoir proposer des hausses d’impôts. Mais pensons-y bien, qu’est-ce qui revient plus cher au final, la mise en place d’un système collectif d’assurances et de services ou l’obligation de devoir, individuellement, défrayer pour ses coûts de santé et l’éducation de ses enfants?
Cette question mérite d’être posée et débattue. Surtout que la gratuité des services, en plus d’être une concrétisation des principes de justice et de partage qui ne se limite pas à la charité observable durant la période des Fêtes, est certainement la meilleure manière de juger de la santé morale d’une société.