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Tout ça pour ça

7 novembre 2017

  • Eve-Lyne Couturier

En apprenant la nouvelle position du gouvernement quant à la réforme de la retraite, on ne peut s’empêcher de trouver qu’il y a eu beaucoup de temps et d’énergie investis pour pas grand chose. Après maintes tergiversations, le Québec choisit de se rallier en douce à la position qui a fait consensus dans le reste du Canada

La petite histoire de la réforme des régimes de retraite publics

Rappelons les faits. Dans les années 1960, le gouvernement du Québec et celui du Canada s’entendent pour mettre en place des programmes distincts, mais comparables et compatibles, pour assurer un revenu à la retraite aux travailleurs et travailleuses : le Régime de rentes du Québec (RRQ) ici, et le Régime de pensions du Canada (RPC) pour nos voisins. Le principe est simple : pour chaque heure travaillée, une cotisation est payée à la fois par l’employeur et l’employé afin de financer une caisse de retraite qui permettra à ce dernier, une fois la vie active terminée, de recevoir une petite prestation chaque mois. Cette petite prestation correspond à un maximum de 25% du salaire. À cela s’ajoute la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) et le Supplément de revenu garanti (SRG) si nos revenus sont trop bas. Ces trois programmes sont toutefois insuffisants pour garantir une vie décente. On s’attend donc à ce que les retraités reçoivent en plus de ces sommes des prestations d’un régime de retraite provenant de leur ancien emploi, des REER ou d’autres sources complémentaires. Bref, si on veut un bon revenu à la retraite, il faut être prévoyant, chanceux ou riche.

Afin d’améliorer la situation économique des aîné·e·s, des groupes se sont organisés au début des années 2000 pour demander de hausser le pourcentage du salaire maximum reçu à la retraite. Plutôt que 25%, pourquoi pas 33% ou, encore mieux, 50%? Cela permettrait de réduire la nécessité de recourir à des régimes privés qui, de toute manière, cherchent toujours le moyen de couvrir le moins de personnes et de salaires possibles. De plus, les régimes publics et universels sont plus efficaces.

Le gouvernement de Stephen Harper refuse toute modification : si on veut de meilleurs revenus à la vieillesse, il ne faudrait miser que sur la responsabilité individuelle durant la vie active. Tant pis pour ceux et celles qui n’arrivent pas à économiser! Le changement de gouvernement ouvre la porte à de nouvelles négociations. En parallèle, l’Ontario planche sur son propre modèle de régime complémentaire. Ces derniers arrivent à un projet qui permettrait de couvrir jusqu’à 40% du revenu perçu avant la retraite (basé sur un salaire maximum de 90 000$). L’ensemble des provinces se rencontrent à Vancouver en juin 2016 et parviennent à s’entendre sur une réforme moins ambitieuse que le projet ontarien : on remplacera 33% du salaire, sur un salaire maximum de 62 600$. Afin d’éviter que les cotisations supplémentaires n’appauvrissent les travailleurs et les travailleuses les plus précaires, Ottawa bonifie la Prestation fiscale pour le revenu de travail (PFRT). Tout le monde se rallie… sauf le Québec qui considère qu’il peut « faire mieux ».

Pendant ce temps, au Québec…

Philippe Couillard défend sa position en s’appuyant sur ceux et celles qui n’ont pas un salaire élevé, qui ne verront pas leur condition tant s’améliorer à la retraite puisque la bonification proposée sera compensée par une réduction de la SRG. Il propose plutôt de les exempter des nouvelles cotisations (et de la bonification qui les accompagne). Cependant, ce qu’il ne dit pas, c’est que l’exemption de cotisation (et de bonification) s’appliquera à l’ensemble des travailleuses et travailleurs puisque sa proposition est de ne cotiser que pour le salaire reçu au-delà d’un certain montant. Le résultat est que, à salaire égal, une personne à la retraite au Québec recevra des prestations moindres que son voisin ontarien.

Sans surprise, cette réforme alternative est loin de faire l’unanimité. Si les représentants du patronat se réjouissent de voir leur hausse de cotisation diminuer, les syndicats, groupes de défense des retraité·e·s, économistes experts en retraite et autres groupes d’intérêt décrient ce recul par rapport à ce qui a été décidé à Vancouver (et qui est moins ambitieux que ce que l’Ontario avait adopté, ce qui est moins généreux que ce qui avait été réclamé par la mobilisation sociale précédente). En décembre 2016, on annonce une consultation qui aura lieu à la mi-janvier 2017. Si le temps pour préparer un mémoire est limité, la liste des groupes invités à s’exprimer l’est tout autant. Mais l’enjeu est important et ces groupes font un travail rigoureux de déconstruction, montrant que ce que propose Québec est inadmissible dans le contexte. La quasi-unanimité des intervenants amène le gouvernement dans une position de mutisme qui durera jusqu’à… la semaine dernière, où on apprendra enfin que ce qui est bon pour le Manitoba le sera aussi pour le Québec (des rumeurs circulaient depuis mai, mais sans confirmation officielle). Carlos Leitão a en effet déposé le projet de loi à cet égard jeudi dernier, le 2 novembre.

Résumons donc le trajet parcouru. Les provinces et le gouvernement fédéral s’entendent sur une (timide) réforme en juin 2016. Le Québec travaille sur une proposition alternative qu’il dépose 6 mois plus tard, soit en décembre 2016. Un mois plus tard, des consultations permettent de mettre en lumière le désaccord généralisé de la population concernée et des experts. Il faut ensuite attendre un autre 11 mois (!) pour arriver à la même solution que celle proposée au départ. Il y a ici comme une impression de perte de temps. Les plus cyniques y verront peut-être même une tactique pour détourner la mobilisation. En effet, pendant qu’on exigeait que le Québec offre au minimum les mêmes avantages que ce qui était offert ailleurs, bien peu d’efforts ont été mis à demander un système plus juste et généreux. Et pourtant, il y a fort à parier que Philippe Couillard utilisera la bonification à son avantage lors des prochaines élections. Plus d’argent dans les poches des retraités! Merci, mais on mérite mieux.

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