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La politique selon Martin Coiteux

21 novembre 2014


Dans le cadre d’un portrait de l’actuel président du Conseil du Trésor, Martin Coiteux, un journaliste m’a demandé mon opinion au sujet de ce monsieur. N’ayant croisé la personne qu’à une ou deux reprises dans ma vie et ne l’ayant lu que quelques fois dans les journaux, j’étais bien incapable de fournir une opinion informée à son sujet. Fait rare, le journaliste en question avait du temps devant lui, j’ai donc pu prendre quelques jours pour parcourir environ deux cent pages de ses écrits : surtout des textes publiés dans La Presse, mais également des rapports de recherche et quelques articles scientifiques.

Un de ces articles scientifiques m’a particulièrement intéressé. Publié dans la revue trilingue Management international en 2012, l’article s’intitule : La mondialisation et le quasi pouvoir
 de régulation des ONG à vocation politique. Dans ce texte, Martin Coiteux se penche sur le débat économique entourant les ONG. On prétend que certaines d’entre elles auraient désormais un pouvoir de régulation similaire – bien que moins important – à celui des États. Par leurs campagnes de relations publiques, leurs pressions et leur surveillance de l’action des entreprises autant que par leur collaboration avec celles-ci, elles infléchiraient les pratiques des entreprises et des gouvernements, c’est en ce sens qu’elles auraient un quasi pouvoir de régulation. Dans son article, M. Coiteux tente d’identifier les causes de l’arrivée de ce pouvoir et son fonctionnement. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez lire certains éléments de ses réflexion à ce sujet dans un texte plus vulgarisé publié dans La Presse, quatre ans avant la publication de l’article scientifique (ah! Les délais de publication dans le monde universitaire.).

Au final, le texte de M. Coiteux nous mène à la conclusion que les ONG internationales à vocation politique viennent imposer leur biais culturel dans les économies peu développées qui ne sont peut-être pas prêtes à les recevoir. Biais culturel signifie ici défense de meilleures rémunérations ou de meilleures pratiques environnementales, bien sûr. Bien que le professeur de HEC se défend bien de trancher si les effets économiques de cette régulation de la part des ONG sont positifs ou négatifs, il nous souligne par contre qu’il est essentiel d’ouvrir un débat pour discuter de leur légitimité.

Si tout cela n’est pas très étonnant et plutôt cohérent avec la pensée de Martin Coiteux, il est intéressant de s’arrêter sur un des moments de sa réflexion, celui qui porte sur le fonctionnement du système politique. Il nous offre, en un passage sibyllin, une définition assez précise de sa conception de la politique. « De manière symétrique, le rôle des entrepreneurs de la sphère politique est, en régime démocratique, de mobiliser des ressources, bénévoles et rémunérées, afin de former une coalition d’électeurs dont la taille permette à l’organisation dans laquelle ils œuvrent (un parti politique) de gagner les élections ou à tout le moins de prendre part au processus législatif. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’identifier et d’amalgamer des préférences individuelles de manière à constituer un marché qui permette à l’organisation au mieux de croître et au minimum de préserver son existence. »

Cette définition de la politique comme marché des idées où les partis politiques sont des entreprises n’est pas propre à Martin Coiteux, elle est plutôt la norme chez les économistes traditionnels. Voici une figure explicative, tirée du même article de M. Coiteux, qui compare le fonctionnement de la politique et de l’économie qui explicite cette conception de la politique.   Untitled

Comme on le voit, les électeurs/consommateurs – pour reprendre l’appellation du titre – agissent de façon très similaire que ce soit en politique ou pour l’achat de chaussures. Une grande quantité d’entre eux et elles veulent la même chose – suivant la courbe normale de répartition – et ces choses sont offertes par des organisations de masse : grands magasins ou partis politiques de pouvoir. Pour les autres, il existe des boutiques spécialisées ou des ONG spécifiques sur des enjeux donnés. Le travail politique consiste à offrir la chose adaptée à la demande du marché électoral, comme le fabricant de savon s’adapte aux goûts de sa clientèle.

Cette approche de la politique est hautement contestable. Au lieu de l’attaquer, concentrons-nous sur ses effets car non seulement M. Coiteux est présentement actif en politique, mais il est l’un des membres les plus importants du gouvernement au pouvoir. Quelles sont les conséquences pratiques de sa pensée politique?

Selon cette logique, on vote pour un gouvernement en sachant en quoi son programme législatif correspond à notre idéal. D’où vient ce programme idéal que nous avons dans notre tête? C’est une donnée « exogène », elle ne vient pas du rapport politique que nous avons avec les autres, c’est un goût que nous avons déjà en nous. Vous aimez les bananes, le bleu et l’impôt progressif avec un taux marginal autour de 28%. Votre voisin préfère les fraises, les tons orangés et une politique internationale vigoureuse centrée sur des interventions aériennes permettant de mettre fin au terrorisme international. Ainsi, l’idéal politique ne se forme pas avec le temps et les échanges qu’offre la politique, il est un élément spontané, immédiat.

Les politiques n’ont donc pas à vous convaincre de la pertinence de leurs idées pour faire évoluer les vôtres. Ils n’ont qu’à faire croire à un nombre suffisant d’électeurs et d’électrices qu’ils partagent leurs idées. En fait, pour être plus précis, que leur parti offre le programme politique qui correspond à leurs goûts politiques. Il n’est pas question de débattre, d’échanger ou de dialoguer : il est question de montrer à la population qu’on offre un produit qu’elle veut acheter.

Donc, en cohérence avec son approche théorique, pour M. Coiteux, les gens ont élu le gouvernement dont il fait partie pour son programme politique. Bien sûr, ce programme ne mentionnait pas les mesures d’austérité qu’il est en train d’appliquer, mais ce n’est pas grave. Il se peut qu’on ait mal évalué les informations disponibles avant d’acheter, mais une fois que c’est fait, c’est fait, on doit vivre avec notre choix. Acheter, comme fonder une entreprise, c’est prendre un risque. Voter selon cette logique, c’est la même chose. Les Québécois.e.s n’ont pas exactement ce qu’ils et elles pensaient avoir en votant pour le PLQ, c’est bien dommage, mais c’est le produit politique qu’ils ont acheté. Ils ont pris un risque, ils vivent maintenant avec les conséquences.

Comme il n’est pas question de dialoguer et débattre avant l’achat – soit pendant la période électorale où le baratin du vendeur est de mise – il est encore moins question de le faire après. Une fois élu.e.s, les responsables politiques doivent s’adapter eux et elles aussi aux réalités du marché tout en calculant leurs capacités de retrouver le pouvoir par la suite. Ici il n’est pas question d’expliquer, de négocier ou de s’entendre pour le bien collectif. Non, il est question de calcul : « À qui devons-nous plaire aux prochaines élections? » tout en prenant, seuls, les décisions. Une fois élu le politique est comme un chef d’entreprise : un autocrate qui peut avoir des méthodes variées, mais qui – dans le respect des lois – concentre en ses mains tout le pouvoir. Les client.e.s d’une entreprises ne participent pas à la fabrications des chaussures, ils choisissent ou non de les acheter : les citoyen.ne.s n’ont pas d’avantage à participer à la chose publique, ils ont simplement à changer de parti si d’aventure ils et elles se trouvent mécontent.e.s avec celui-ci.

Les manifs, les consultations, les pétitions, les débats n’ont donc rien à voir avec la démocratie. Au mieux, ils peuvent être de l’information utile en temps électoral (mais à quatre ans des élections,  elle est beaucoup moins pertinente). Comme la démocratie n’est que le moment de l’achat d’un produit politique, le reste de ces actions sont, de ce point de vue, du bruit, voire une nuisance à la démocratie car les goûts politiques de certain.e.s se font plus entendre que les goûts des autres.

Voilà qui explique à la fois les mesures et l’attitude de M. Coiteux. Il n’a aucun intérêt que ce soit à dialoguer avec les gens qui travaillent dans les services publics ou avec les organisations sociales, car il considère qu’une fois le produit démocratique acheté, la démocratie est terminée jusqu’au prochain vote. Il n’a pas non plus besoin de parler à la population pour la consulter car il croit qu’il ne convaincra personne d’autres que les gens qui adhèrent déjà aux politiques du PLQ. On ne forme pas les goûts politiques, on tente d’y répondre le mieux possible et ensuite on fait de son mieux pour conserver le pouvoir. Enfin, comme tout ses prédécesseurs, il croit qu’agir comme il le fait est faire preuve de courage, car c’est en tenant mordicus à un programme sur lequel il n’a pas été élu en prétendant répondre au exigences du marché qu’il croit servir le mieux la démocratie. Pour M. Coiteux, la démocratie c’est l’adaptation aux demandes externes en fonction de nos goûts individuels. Vous avez choisi (ou pas) ce gouvernement? Adaptez-vous.

Devant cette masse de citoyens/consommateurs atomisés qui cherchent à se procurer à bas prix quelques produits politiques, me reviennent en tête des mots d’Aristote: « L’homme qui est dans l’incapacité d’être membre d’une communauté, ou qui n’en éprouve nullement le besoin parce qu’il se suffit à lui-même, ne fait en rien partie d’une cité, et par conséquent est ou une brute, ou un dieu ». Nos idées politiques se forment dans la cité, par le débat, s’abstraire du débat, c’est refuser et la politique, la pensée et d’une certaine façon sa propre humanité. La politique est affaire commune, on l’apprend à mesure qu’on la pratique, grâce et avec les autres. Souhaitons que M. Coiteux le découvrira ce caractère collectif du politique dans l’exercice de son mandat.

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