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Anticosti, évaluation environnementale et rentabilité

4 novembre 2015

  • Bertrand Schepper

Mercredi le 28 octobre dernier, une des études gouvernementales commandées par les évaluations environnementales stratégiques (EES) du Québec sur Anticosti a été rendue publique : elle tente d’estimer la rentabilité d’exploiter les hydrocarbures sur l’île d’Anticosti. (Mentionons que, pour le moment, rien ne démontre qu’il y ait de l’énergie fossile exploitable sur le territoire.) Comme j’ai travaillé sur le sujet, j’étais impatient de voir comment les personnes qui représentent les différents ministères du gouvernement estimaient la situation financière des hydrocarbures sur Anticosti. Voici quelques observations à chaud sur ce rapport qui est passé passablement inaperçu.

Premier constat, le rapport considère que la rentabilité de l’exploitation d’hydrocarbure sur Anticosti passe par le gaz de schiste et non par le pétrole. En effet, pour être profitable, l’exploitation du potentiel estimé à 43 milliards de barils de pétrole (p. 11) devra se répartir ainsi : 77,5 % de gaz naturels de schiste et 22,5 % de pétrole de schiste (p. 17) sur une période de 75 ans.

Selon ce scénario considéré par le rapport comme « optimisé » (p. 44), une concentration restreinte de l’île contiendrait un nombre total de 4 155 puits et aurait une rentabilité le de réalisation estimée 80 % et 86 % (p. 3).

Les estimations du gouvernement supposent donc l’exploitation totale de 11 683 Gpi3 et 584 millions de barils de pétrole sur 75 ans, ce qui permettrait de générer des revenus d’entre 164 G$ et 203 G$ (dont 38 % reviendraient au gouvernement).

Pour exploiter et transporter tout ce gaz naturel, deux options sont envisagées : la création d’un gazoduc ou l’utilisation de bateaux-usines capables de liquéfier le gaz naturel sur place. Les coûts en infrastructure et les coûts d’opération sont disponibles dans le tableau ci-dessous.

Le deuxième constat concernant ces prévisions est que l’exploitation rapporterait à l’État en bénéfice entre 360 M$ et 380 M$ annuellement, ce qui représente entre 0,34 % et 0,36 % du budget des revenus estimés pour 2016-2017 (p. D.5). En plus d’être minimale, cette part devrait être amenée à diminuer année après année à petite ou moyenne échelle, puisque les redevances demeureraient généralement constantes, mais les revenus de l’État tendent à augmenter légèrement.

Évidemment, cela ne tient pas compte de la part des débours et investissements qui devront être déboursés par l’État pour que le projet se réalise. Bref, les revenus pour l’État restent peu intéressants.

Autre remarque :

Je suis sceptique par rapport à l’utilisation du prix du baril selon étalon de mesure Brent pour l’évaluation des revenus du pétrole. Rappelons que la quasi-totalité des exportations de sur le territoire nord-américain se transige aux États-Unis avec le WTI comme étalon de mesure. Ainsi, en choisissant d’utiliser le prix du baril selon le Brent plutôt que WTI, les évaluations du rapport surestiment les retombées économiques du pétrole exploité.

Dans l’étude, les prix du baril de pétrole sont estimés à 90,28 $ US pour le Brent en 2020 et 122,17 $ US en 2045. Considérant que les estimations de la US Energy Information Administration (EIA) sont à 73 $US pour 2020 pour le WTI, les estimations du gouvernement québécois sont bonifiées de 17,28 $ le baril entre 2020 et 2045 ( selon la méthodologie du rapport), ce qui est loin d’être négligeable.

Par ailleurs, malgré toute la bonne volonté du monde, il m’apparaît impossible d’estimer les coûts du baril du pétrole sur une période dépassant 30 ans, et encore moins sur une période de 75 ans. Surtout si on considère que tout indique que l’ensemble des classes politiques de la planète aura à cœur de diminuer de manière drastique les émissions de gaz à effet de serre produites par l’activité humaine.

Dans cette situation, les coûts liés à l’exploitation des hydrocarbures polluants sont particulièrement incertains pour les années 31 à 75 des scénarios élaborés.

Finalement, ce qui revient souvent dans les questions entourant l’exploitation des hydrocarbures, c’est que soutenir l’industrie pétrolière « créera ou maintiendra X nombres d’emplois ».

Pour la création d’emplois, il est logique de croire que des investissements créeront de l’emploi. Cependant, présentement, chaque million de dollars investi dans le domaine pétrolier rapporte 6,2 emplois. Par contraste, chaque million de dollars investi dans l’énergie renouvelable ou l’efficacité énergétique en crée autour de 15,1. Tant qu’à investir, le Québec devrait plutôt viser à créer des emplois verts plutôt que de soutenir une industrie appelée à tranquillement, mais sûrement, disparaître.

Pour ce qui est des emplois qui seront « maintenus », il s’agit généralement des emplois dans le secteur des raffineries ou de distribution de gaz naturel. Ces emplois ne sont pas en danger : Gaz Métro et Valéro sont des entreprises qui sont là pour rester. En ce sens, ce serait une mauvaise politique publique que d’investir dans un secteur pour maintenir des emplois qui seront maintenus de toute façon.

Bref, au final, je ne crois pas que financer l’exploitation des hydrocarbures sur Anticosti soit un réel pactole. Il serait de loin plus intéressant pour l’État de travailler à « recycler » ces industries et les lancer vers des avenues plus vertes : cela améliorerait grandement les résultats à la fois économiques et écologiques.

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