Réussir le virage vers le soutien à domicile au Québec
14 novembre 2024
La nécessité d’un virage majeur de l’hébergement vers le soutien à domicile (SAD) comme réponse principale aux besoins des personnes en perte d’autonomie fait consensus au Québec. En fait, il s’agit d’un objectif gouvernemental depuis l’adoption de la première politique québécoise sur le SAD en 1979. Cet objectif était aussi au cœur du virage ambulatoire des années 1990, et il a été réitéré lors de la publication de la politique de SAD de 2003. Au moment de son élection en 2018, le gouvernement de la Coalition avenir Québec promettait également un tel virage, dont le besoin urgent a été de nouveau mis en lumière lors de la pandémie de COVID-19, qui a fait les ravages que l’on sait dans les milieux d’hébergement pour aîné·e·s.
Table des matières
Introduction
Malgré les engagements répétés des gouvernements successifs depuis plus de quatre décennies, et bien que des investissements plus importants aient été faits au cours des dernières années, force est de constater que le virage promis vers le SAD n’a pas encore été réalisé au Québec1. Or, plusieurs exemples inspirants à l’international démontrent que ce virage est possible et qu’il est la voie à suivre dans des sociétés vieillissantes aux besoins croissants.
Cette étude vise à poser les bases d’un modèle de SAD adapté à la réalité du Québec et qui permettra de réaliser un virage réussi vers le SAD. Elle présente d’abord un état des lieux qui relève les lacunes et problèmes du modèle québécois actuel (chapitre 1). Elle expose ensuite les principales caractéristiques de modèles internationaux de SAD parmi les plus reconnus au monde (chapitre 2) et s’en inspire pour définir en troisième partie les principales dimensions d’un modèle pour le Québec (chapitre 3). Chaque chapitre est articulé autour des trois mêmes grands axes : 1) le financement des services, 2) la prestation des services et 3) la gestion des services.
Quelques définitions
Soins de longue durée (SLD)
Les soins de longue durée comprennent une variété de soins dispensés sur une longue période à des personnes en perte d’autonomie ou vivant avec des incapacités permanentes. Les SLD incluent les services d’hébergement ainsi que les services de soutien à domicile de longue durée.Soutien à domicile (SAD)
Les services de soutien à domicile comprennent des services de courte durée (soins postopératoires, suivis périnataux, etc.) ainsi que des services de longue durée, qui visent pour leur part le maintien à domicile et le maintien de l’autonomie des personnes. Le SAD inclut les soins et services professionnels à domicile ainsi que l’aide à domicile.Soins et services professionnels à domicile
Les soins et services professionnels correspondent aux soins dispensés à domicile par des infirmières et infirmiers, travailleuses et travailleurs sociaux, psychologues, physiothérapeutes, ergothérapeutes, nutritionnistes et inhalothérapeutes.Aide à domicile
L’aide à domicile est dispensée par des auxiliaires en santé et services sociaux ou par des préposées. Elle comprend l’aide aux activités de la vie quotidienne, l’aide aux activités de la vie domestique et les activités de soutien civique.Activités de la vie quotidienne (AVQ)
L’aide aux AVQ correspond aux services d’assistance à la personne (soins d’hygiène, assistance pour l’alimentation, aide pour les déplacements, etc.).Activités de la vie domestique (AVD)
L’aide aux AVD correspond aux services d’aide domestique (entretien ménager, préparation des repas, etc.).Activités de soutien civique
Le soutien civique correspond à l’aide fournie pour l’accomplissement de tâches administratives (administrer un budget, remplir des formulaires, etc.) ainsi que l’accompagnement pour les sorties.SOURCES : Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Orientations en soutien à domicile – Actualisation de la politique de soutien à domicile « Chez soi : le premier choix », 2023, publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2023/23-704-01W.pdf; Louise Boivin, « La représentation collective au travail en contexte d’externalisation des services publics d’aide à domicile au Québec », Relations industrielles, vol. 73, n° 3, 2017, p. 506-508.
1. État des lieux : le soutien à domicile au Québec
1.1 Le modèle québécois actuel : système public ou patchwork public/privé ?
Au Québec, les services de SAD ont connu d’importantes transformations depuis la première politique de 1979. Alors que celle-ci avait consacré la création d’un véritable système public de SAD en confiant la prestation de ces services aux centres locaux de services communautaires (CLSC), des réformes successives et des vagues de privatisation de ces services ont fortement érodé le caractère public du modèle québécois de SAD, tant sur le plan du financement que sur celui de la prestation des services. Sur le plan de la gestion, les services de SAD ont aussi été particulièrement touchés par le virage vers la nouvelle gestion publique (NGP) et l’introduction dans le secteur public de méthodes de gestion propres au secteur privé.
1.1.1 État actuel du financement
Les investissements publics dans le SAD ont connu une croissance non négligeable au cours de la dernière décennie. En 2023, ils atteignaient un total de près de 3 milliards de dollars, en croissance de 65 % depuis 2013 (tableau 1). Cette somme inclut le financement des services de SAD ayant fait l’objet d’une évaluation professionnelle des besoins, ainsi que le financement octroyé sans évaluation professionnelle des besoins.
À cet égard, précisons qu’au Québec, comme dans plusieurs pays, l’accès des personnes à du SAD financé publiquement dépend en principe d’une évaluation de leurs besoins réalisée par du personnel professionnel des établissements publics (les centres intégrés de santé et de services sociaux, universitaires ou non – les CISSS et les CIUSSS). Ces besoins sont inscrits dans un plan d’intervention personnalisé, et les services de SAD prévus à ce plan sont, toujours en principe, offerts gratuitement aux usagères et usagers2.
Néanmoins, on constate dans le tableau 1 que près de 30 % des fonds publics investis dans le SAD sont accordés sans qu’une telle évaluation ait été faite. La part du lion de ces dépenses (86 %) est allouée au crédit d’impôt pour le maintien à domicile des aîné·e·s, lui-même presque entièrement accaparé par les résidences privées pour aîné·e·s (RPA)3. Le reste des dépenses faites sans évaluation professionnelle des besoins sert à financer le Programme d’exonération financière pour les services d’aide domestique (PEFSAD), qui subventionne une partie du coût horaire des services d’aide à domicile offerts par les entreprises d’économie sociale en aide à domicile (EÉSAD)4.
Grâce aux investissements supplémentaires en SAD consentis au cours des dernières années, le Québec consacre désormais près de 40 % de ses dépenses en soins de longue durée au financement du SAD. On constate au graphique 1 qu’à cet égard, il précède largement le Canada, talonne le Danemark et se rapproche de la moyenne de l’OCDE. Précisons toutefois que cette comparaison doit être faite avec prudence puisque la méthodologie utilisée pour calculer la part des dépenses de soins de longue durée consacrée au SAD par le Québec n’est probablement pas la même que pour les pays de l’OCDE. De plus, les données de plusieurs pays, dont le Canada, n’incluent pas le volet social des dépenses de soins de longue durée. À noter que ces précautions s’appliquent également aux autres comparaisons effectuées dans cette publication entre le Québec et les pays de l’OCDE.
Néanmoins, lorsqu’on y regarde de plus près, on constate que le Québec reste aux prises avec un sous-
financement chronique des services de SAD en comparaison avec les besoins. Précisons d’abord que le Québec a l’une des populations les plus vieillissantes au monde, ce qui s’accompagne de besoins plus grands en matière de soins de longue durée et de SAD (graphique 2).
Malgré ces besoins plus grands, le Québec est à la traîne en ce qui concerne la proportion du PIB consacré aux dépenses en soins de longue durée (graphique 3). Ainsi, bien qu’il consacre une part importante de ses dépenses de soins de longue durée au SAD, ses dépenses en soins de longue durée (et donc en SAD) sont elles-mêmes plutôt basses lorsqu’on les compare à celles du Canada et des autres pays de l’OCDE. Le Québec est d’ailleurs une des provinces canadiennes qui dépense le moins par habitant·e et en proportion de ses dépenses de santé pour le SAD (graphiques 4 et 5).
On peut penser qu’un financement privé plus élevé des services de SAD et des soins de longue durée est un bon indicateur d’un financement public insuffisant de ces services puisque dans le cas d’un sous-financement, les ménages devront compenser le manque d’accès avec des dépenses directes ou de leur poche. Au Canada et au Québec, peu de données sont disponibles sur les dépenses privées des ménages pour l’achat de services de SAD. Néanmoins, des données de l’OCDE montrent que le Canada est un des pays où les ménages consacrent la proportion la plus élevée de leurs dépenses de santé à l’achat de soins de longue durée (incluant les services d’hébergement et de SAD). Cette proportion atteint 29 %, plaçant le Canada au quatrième rang sur 32 pays (graphique 6).
À partir de ces données, il est possible d’estimer que les dépenses privées des ménages québécois pour l’achat de soins de longue durée ont totalisé 3,2 milliards de dollars en 2021, ce qui équivaut à une moyenne de 840 $ par ménage (tableau 2)5. Si on peut faire l’hypothèse que la majeure partie de ces sommes ont été consacrées à l’achat de services d’hébergement, il ne fait aucun doute que le SAD pèse aussi dans le budget des ménages québécois qui requièrent ce type de services, pourtant censés être gratuits lorsque médicalement requis.
1.1.2 Une prestation publique privatisée
L’augmentation du financement public des services de SAD s’est traduite, sur le plan de la prestation, par une croissance du nombre d’heures de services. Entre 2015-2016 et 2023-2024, ce nombre a été multiplié par 2,8, soit une hausse de 175 %6. Toutefois, le nombre de personnes ayant bénéficié des services a connu une augmentation beaucoup moins rapide puisque la croissance des heures de services a surtout servi à intensifier l’aide fournie à un nombre restreint d’usagères et d’usagers plutôt qu’à élargir l’accès à des services de base7.
En comparant la croissance du nombre d’heures de services entre 2015-2016 et 2023-2024 à celle du financement entre 2013 et 20238, on constate que la première a été beaucoup plus rapide que la seconde, ce qui suggère une tendance à la réduction des dépenses pour chaque heure de services rendus. Cette évolution pourrait être liée à une autre tendance forte du SAD au cours des dernières décennies : celle de la privatisation de la prestation des services.
On a vu que la première politique québécoise de soutien à domicile était basée sur un modèle de financement public avec prestation publique des services, les CLSC s’étant vu confier en 1979 la responsabilité du SAD. Aujourd’hui, une part très importante des services financés publiquement, et dont la responsabilité est officiellement toujours confiée aux établissements publics (désormais les CISSS et les CIUSSS), est sous-traitée à une diversité de fournisseurs privés, avec bien souvent comme objectif la réduction des coûts.
Cette tendance à la privatisation s’est amorcée dès les années 19809 et s’est poursuivie durant les décennies suivantes, avec des accélérations particulièrement marquées à la suite des réformes du réseau de 2005 et de 2015. Il est important de noter que la privatisation a été beaucoup plus forte dans les services d’aide à domicile que dans les soins et services professionnels à domicile10. Dans ce dernier cas, la privatisation est passée surtout par le recours aux agences privées de placement de personnel, qui occupent d’ailleurs une place très importante (et toujours croissante malgré l’adoption en 2023 d’une loi visant d’abord à réduire puis à interdire complètement ces pratiques d’ici 2026) dans la prestation de toutes les catégories de services de SAD (graphique 7). En fait, le SAD est le secteur du réseau de la santé et des services sociaux où le recours aux agences est le plus intensif11.
Si ce sont environ 12 % des heures de soins infirmiers à domicile qui sont confiées en sous-traitance aux agences de placement12, le phénomène prend une ampleur beaucoup plus forte en aide à domicile, où le taux de recours à la main-d’œuvre indépendante atteint près de 40 %. De plus, dans le cas de l’aide à domicile, la sous-traitance ne se fait pas seulement au profit des agences de placement de personnel. En fait, en 2019-2020, seulement 41 % des interventions en aide à domicile ont été faites par du personnel des établissements publics13. En aide à domicile de longue durée, ce sont désormais à peine 12,5 % des heures de services qui sont données directement par du personnel des CISSS et des CIUSSS (graphique 8). La majorité des heures (51 %) est maintenant offerte par une diversité de fournisseurs privés, et un peu plus du tiers (36,5 %) par des employé·e·s du programme du chèque emploi-service (CES)14.
Parmi ces fournisseurs privés auxquels les CISSS et les CIUSSS sous-traitent leurs responsabilités dans la prestation des services d’aide à domicile se trouvent les agences de placement de personnel, les entreprises d’économie sociale en aide à domicile (EÉSAD) ainsi que les résidences privées pour aîné·e·s (RPA). Le graphique 9 montre que les entreprises à but lucratif (soit les agences et les RPA) se partagent la plus grande part des interventions d’aide à domicile (de courte et de longue durée) sous-traitées par les établissements publics. Précisons que ce graphique ne prend pas en compte les services externalisés par l’entremise du chèque emploi-service.
1.1.3 La nouvelle gestion publique du soutien à domicile
Le modèle québécois de SAD se caractérisait à l’origine par une grande décentralisation, et même par une certaine démocratisation, de la gestion des services. En effet, le SAD était placé sous la responsabilité des CLSC, des établissements publics de première ligne avec un ancrage local fort, qui jouissaient d’une grande autonomie dans la détermination de leurs priorités, de leurs objectifs et de leurs programmes. Chaque CLSC était doté de son propre conseil d’administration, auquel siégeaient des employé·e·s du CLSC ainsi qu’une quasi-majorité de citoyen·ne·s élu·e·s par une assemblée locale des usagères et usagers15.
Les réformes successives du réseau de la santé et des services sociaux ont mené à plusieurs vagues de fusions d’établissements qui ont remplacé ce modèle de gestion local et démocratique par des structures de gestion de plus en plus centralisées et bureaucratiques. Depuis la réforme de 2015, le SAD était désormais sous la responsabilité des CISSS et des CIUSSS, des mégaétablissements organisés sur une base régionale plutôt que locale, gérés par des conseils d’administration non élus et intégrant l’ensemble des missions et services du réseau (services communautaires, hébergement, soins hospitaliers, protection de la jeunesse, réadaptation, santé publique, etc.). La plus récente réforme du réseau, toujours en cours, a conduit à une nouvelle fusion de ces mégaétablissements dans une seule agence, Santé Québec, dont les CISSS et les CIUSSS ne sont plus que des succursales sans conseil d’administration autonome16.
Ces réformes et fusions ont été réalisées sous l’influence de la NGP. Ce courant gestionnaire prône non seulement la privatisation des services publics, mais également l’importation dans le secteur public des méthodes de gestion propres au secteur privé17. Ces méthodes se caractérisent par une gestion centralisée, hiérarchique et autoritaire des services qui s’appuie sur la production d’indicateurs quantitatifs de performance. Elles se traduisent notamment par une réduction de l’autonomie professionnelle des travailleuses et travailleurs, par une multiplication des contrôles bureaucratiques et des exigences de reddition de comptes statistiques ainsi que par la standardisation et le minutage des services18.
Loin de faire exception à cette tendance générale au sein du réseau, le secteur du SAD a été un des principaux terrains d’expérimentation de l’application de ces méthodes en santé et services sociaux19. Ainsi, depuis le début des années 2000, l’étape cruciale de l’évaluation professionnelle des besoins, qui détermine le type et la quantité de services à domicile auxquels les personnes ont droit, a progressivement été standardisée par l’imposition uniforme d’outils d’évaluation bureaucratiques tels que l’outil d’évaluation multiclientèle (OÉMC), le système de mesure de l’autonomie fonctionnelle (SMAF) et, plus récemment, l’outil de cheminement clinique informatisé (OCCI)20.
Ces outils ont fait l’objet de vives critiques de la part de chercheuses et chercheurs, de certains ordres professionnels ainsi que de professionnel·le·s contraint·e·s de les utiliser21. On dénonce le fait qu’ils s’accompagnent d’un alourdissement considérable des tâches administratives qui réduit le temps disponible pour faire des interventions. En effet, leur utilisation implique de remplir pour chaque personne nécessitant des services un questionnaire de plusieurs dizaines de pages, une opération qui peut prendre entre deux et sept heures et qui doit être répétée au moins une fois par année et chaque fois que l’état de la personne change.
On leur reproche aussi d’avoir considérablement réduit la place du jugement clinique des professionnel·le·s dans cette évaluation et même de les placer parfois en situation de conflit avec leur code de déontologie professionnelle. On critique également le caractère mal adapté, inutile ou excessivement intrusif de plusieurs questions, auxquelles les personnes doivent obligatoirement répondre pour obtenir des services. Plusieurs de ces problèmes ont d’ailleurs été reconnus en 2023 par la ministre responsable des Aînés, Sonia Bélanger, qui a promis de revoir l’utilisation de certains de ces outils22.
C’est aussi dans le SAD qu’a d’abord été implantée la méthode « Lean » ou « Toyota ». Cette méthode, directement inspirée de celles appliquées dans les secteurs industriel et manufacturier, a été importée dans le réseau public à partir du début des années 2010 par une firme privée embauchée à cette fin par les gestionnaires de plusieurs établissements publics23. Elle consiste pour l’essentiel à « optimiser la performance » des services et à réduire les « inefficiences » en minutant dans le détail chacun des types d’intervention et en imposant ensuite une cadence standardisée à l’ensemble des employé·e·s (p. ex., 15 minutes pour le lavage d’une oreille ou un soin de plaie simple, 30 minutes pour un « suivi post décès », etc.)24.
Cette méthode a également été fortement dénoncée pour ses effets déshumanisants sur la prestation des services, pour la surcharge de travail générée par ses exigences accrues de reddition de comptes, pour ses effets délétères sur le jugement professionnel et l’expertise clinique des professionnel·le·s et pour la détresse psychologique qu’elle provoque chez les travailleuses et les travailleurs forcé·e·s de l’appliquer. Mentionnons que la décision d’un arbitre, en 2016, rendue à la suite du dépôt de griefs en lien avec l’application de cette méthode, a largement donné raison au personnel du CIUSSS visé par la poursuite. Elle a été maintenue au terme d’une révision judiciaire par la Cour supérieure en 201725.
Malgré ces critiques, des méthodes similaires continuent à ce jour d’être appliquées en SAD, comme l’illustre le fait qu’en 2023, on exigeait encore des professionnel·le·s du SAD qu’ils et elles rendent compte de leurs activités de la journée par tranches de 15 minutes. Un vaste sondage réalisé en 2020 auprès de ces professionnel·le·s a également montré que l’imposition de cibles de performance quantitatives et déconnectées de la réalité du terrain demeure au cœur des méthodes de gestion employées en SAD26.
1.2 Les faillites du modèle québécois actuel
Le sous-financement public des services, la privatisation de larges pans de leur prestation et l’imposition de méthodes de gestion inspirées du secteur privé ont des conséquences importantes tant sur l’accès aux services de SAD que sur leur qualité. En cela, le modèle québécois actuel de SAD échoue largement à répondre adéquatement aux besoins de la population.
En ce qui concerne l’accès aux services, il faut d’abord mentionner qu’aucun pays ne parvient actuellement à répondre à l’ensemble des besoins déclarés en SAD. Néanmoins, certains font beaucoup mieux que d’autres et, dans ceux-ci, environ le tiers des personnes de 65 ans et plus habitant à domicile déclarent avoir des besoins non satisfaits en soins de longue durée (graphique 10). Au Québec, au contraire, moins du tiers des personnes déclarant avoir des besoins pour les activités de la vie quotidienne reçoivent du soutien professionnel, une proportion supérieure au reste du Canada, mais bien inférieure aux pays les plus avancés à cet égard (graphique 11).
C’est toutefois lorsqu’on regarde le taux de réponse aux besoins en soins de longue durée ayant fait l’objet d’une évaluation professionnelle que l’on constate l’ampleur des difficultés d’accès aux services à domicile au Québec. Le tableau 3 détaille les taux de couverture des besoins selon le milieu de vie. Précisons que les personnes ayant des besoins qui n’ont pas été évalués sont exclues de ces données, ce qui signifie que les besoins sont en fait sous-estimés. Autrement dit, la proportion réelle des besoins non comblés est plus élevée que celle présentée dans ce tableau.
Si le taux de couverture des besoins en soins de longue durée est élevé dans les divers milieux d’hébergement, on constate qu’il est extrêmement faible à domicile et dans les RPA (qui, rappelons-le, sont également considérées comme un domicile par le gouvernement) : près de 90 % des heures de services qui ont été jugées comme requises à la suite d’une évaluation professionnelle des besoins ne sont pas fournies par l’État lorsque les personnes demeurent à domicile ou en RPA. Cet échec du modèle québécois actuel de SAD est également reflété par l’augmentation importante, au cours des cinq dernières années, du nombre de personnes en attente d’un premier service de SAD, qui a doublé entre 2019 et 2023. Si ce nombre a diminué en 2024, il demeure très élevé, à plus de 16 500 personnes en attente en mars de cette année (graphique 12).
À ces problèmes graves d’accès s’ajoute une dégradation de la qualité des services. Une enquête réalisée auprès de 700 travailleuses et travailleurs du SAD montre que les deux tiers d’entre elles et eux considèrent que la qualité des services offerts a diminué depuis leur embauche, une évolution manifestement liée aux méthodes de gestion qui forcent les employé·e·s à se conformer à des cibles de performance centrées sur la quantité de services offerts plutôt que sur leur qualité27. Ainsi, plus de 80 % des participant·e·s à cette enquête affirment devoir fréquemment restreindre les relations d’aide par manque de temps, ce qui illustre bien que la réponse adéquate aux besoins des usagères et des usagers est difficile à concilier avec les exigences de performance quantitative imposées par les gestionnaires. D’autres enquêtes qualitatives parviennent à des conclusions similaires28.
Les méthodes de gestion inspirées du secteur privé ne sont pas les seules responsables des problèmes de qualité des services. La privatisation de leur prestation y contribue également. De manière générale, il est bien démontré que les services de santé et sociaux offerts dans un cadre privé à but lucratif tendent à être de moins bonne qualité que ceux dispensés dans un cadre public, notamment parce que les objectifs de profits qui gouvernent les actions des entreprises sont souvent incompatibles avec des services de qualité29.
Dans le cas du SAD, la privatisation des services contribue à la dégradation de leur qualité sur au moins deux aspects. Tout d’abord, elle s’accompagne de l’externalisation d’une part importante des services, qui se retrouvent ainsi confiés à des fournisseurs privés dont les employé·e·s ne sont pas intégré·e·s aux équipes multidisciplinaires du réseau public et qui ne font pas l’objet d’une surveillance aussi étroite quant à la qualité des services qu’elles et ils dispensent30. Cette externalisation des services conduit également à la multiplication et au roulement du personnel et des fournisseurs privés de services auprès des usagères et des usagers, ce qui nuit à la coordination, à l’intégration, à la stabilité et à la continuité des services31. Or, la pleine intégration des travailleuses et des travailleurs du SAD dans les équipes publiques de première ligne – dont elles et ils sont souvent « les yeux et les oreilles » au sein des domiciles – et la continuité des services sont des éléments constitutifs cruciaux de la qualité des soins32.
Ensuite, la privatisation des services de SAD est aussi liée, de toute évidence, à une dégradation marquée des conditions de travail, qui sont elles-mêmes étroitement liées à la qualité des soins, notamment parce que ces conditions de travail inférieures s’accompagnent d’un plus grand roulement de personnel (avec les conséquences décrites plus haut sur la continuité des services) et d’exigences moindres sur le plan de la formation. Ainsi, historiquement, les établissements publics ont eu tendance à exiger des formations plus approfondies pour les postes en aide à domicile, comme des diplômes d’études professionnelles variant de 700 à près de 1000 heures de formation, alors que les fournisseurs privés n’exigent parfois aucune formation autre qu’une trentaine d’heures en réanimation cardiorespiratoire et en déplacement sécuritaire des personnes33. Ces tendances sont observables au Québec, comme dans tous les pays qui ont introduit des formes de marchandisation du SAD34.
Ces tendances sont particulièrement criantes dans le cas de l’aide à domicile qui, comme nous l’avons vu, est le secteur du SAD le plus touché par la privatisation. Dans ce secteur où des objectifs de réduction des dépenses sont au cœur des pratiques de sous-traitance, la capacité des fournisseurs privés à offrir un service à moindre coût repose principalement sur la rémunération et les conditions de travail de leurs employé·e·s, qui sont largement inférieures à celles offertes dans le secteur public.
Cela est vrai pour les RPA et les agences de placement, tout comme pour les EÉSAD et les travailleuses et travailleurs du chèque emploi-service35. Dans le cas des RPA, les conditions sont si mauvaises que l’État a été forcé d’offrir des subventions salariales aux entreprises du secteur durant la pandémie pour éviter les ruptures de services causées par l’aggravation soudaine de la pénurie de personnel, subventions qui ont été reconduites à plusieurs reprises depuis et qui continueront d’être versées au moins jusqu’à la fin de 202636.
En ce qui concerne les agences de placement, il faut préciser que leur capacité à fournir une main-d’œuvre à moindre coût a été limitée récemment par l’entrée en vigueur d’un règlement en janvier 2020, qui leur interdit désormais de rémunérer leurs employé·e·s à un taux inférieur à celui des employé·e·s de l’établissement client qui effectuent le même travail37. Nous verrons plus loin que le recours à la main-d’œuvre indépendante en aide à domicile est maintenant plus coûteux pour les CISSS et les CIUSSS que le recours à leur propre main-d’œuvre.
2. Des modèles inspirants pour le Québec
L’échec des gouvernements successifs à opérer le virage nécessaire vers le SAD et les faillites du modèle québécois actuel ne doivent pas faire croire à l’impossibilité du développement d’une offre de services accessibles et de qualité au Québec. Plusieurs pays ont réussi ce virage et ont développé des modèles de SAD dont on peut s’inspirer pour proposer un modèle québécois qui pourra constituer une solution de rechange adéquate à l’hébergement comme réponse principale aux besoins des personnes en perte d’autonomie.
Nous présentons ici deux grands modèles généralement cités comme exemplaires dans la littérature : 1) le modèle assurantiel, mis en place notamment aux Pays-Bas et en Allemagne et, plus tardivement, au Japon et en Corée du Sud ; 2) le modèle nordique des pays scandinaves (Danemark, Finlande, Norvège et Suède). Pour chacun des modèles, nous exposons successivement ses principales caractéristiques (financement, prestation des services, gestion), ses avantages ainsi que ses problèmes ou limites. Le tableau 4 synthétise les principales caractéristiques des deux modèles.
2.1 Le modèle assurantiel
2.1.1 Principales caractéristiques
Le modèle assurantiel prend la forme d’une assurance sociale publique couvrant les soins de longue durée, y compris les services d’hébergement et de SAD. Les Pays-Bas sont des pionniers à cet égard, ayant créé une telle assurance dès 1968, suivis plus tard par l’Allemagne (1995), qui a ensuite inspiré le Japon (2000) et la Corée du Sud (2008).
Ce modèle peut être considéré comme un programme social universel puisque l’accès aux soins de longue durée est considéré comme un droit inscrit dans la loi, et la couverture offerte est universelle et obligatoire. De plus, l’accès est basé sur une évaluation professionnelle des besoins, et non sur un examen des ressources (means test). Dans la plupart de ces pays, avant l’introduction de l’assurance, l’accès à des soins de longue durée financés publiquement était réservé aux plus démuni·e·s.
Néanmoins, cette universalité est restreinte de différentes manières. Par exemple, en Allemagne, l’assurance est conçue explicitement selon un principe de « subsidiarité » qui veut que « l’État n’intervienne que lorsque la capacité de la famille à servir ses propres membres sera épuisée38 ». Une partie de la responsabilité des soins de longue durée est donc déléguée aux acteurs privés que sont le marché et la famille, la loi reconnaissant même une responsabilité financière des enfants à l’égard de leurs parents en Allemagne et au Japon39. De plus, dans l’ensemble des pays, l’assurance ne couvre qu’une partie des besoins ayant fait l’objet d’une évaluation professionnelle, le reste des coûts étant à la charge des usagères et des usagers, qui doivent également assumer des copaiements et des tickets modérateurs, parfois en fonction de leurs moyens financiers.
Dans le modèle assurantiel, la plus grande part du financement est publique. Bien que ses modalités précises varient d’un pays à l’autre, ce modèle implique généralement la création d’une caisse d’assurance affectée exclusivement à la couverture des soins de longue durée et financée principalement par des cotisations prélevées sur les salaires et partagées entre les salarié·e·s et les employeurs. Dans la plupart des cas, sauf en Allemagne, l’assurance est aussi partiellement financée par l’impôt sur le revenu. Si la majorité du financement est public, nous avons vu que le modèle assurantiel comprend aussi une part de financement privé sous la forme de copaiements, de primes et de tickets modérateurs.
Le modèle assurantiel est typiquement un modèle de financement public avec prestation privée. En général, l’introduction d’une telle assurance vise explicitement le développement d’un marché privé (bien que réglementé) des soins de longue durée40. Ainsi, dans ce modèle, la prestation des services repose principalement sur les entreprises privées à but lucratif (à l’exception des Pays-Bas, où les fournisseurs privés sont des organismes à but non lucratif). Aux Pays-Bas et en Allemagne, les assuré·e·s peuvent également choisir de recevoir leurs prestations sous forme monétaire plutôt qu’en nature (modèle du cash-for-care). Ces prestations en argent servent ensuite à rémunérer les services obtenus auprès de travailleuses et de travailleurs informels (voisin·e·s, ami·e·s, proches, y compris des membres de la famille immédiate), ce qui est semblable au programme québécois du chèque emploi-service.
Sur le plan de la gestion, les modalités sont assez variables d’un pays à l’autre, mais la tendance générale est celle de responsabilités partagées entre les niveaux national et local. Aux Pays-Bas, l’évaluation professionnelle des besoins et la détermination du niveau de services auxquels ont droit les bénéficiaires sont réalisées par une agence centrale et indépendante, alors que les autorités locales et les municipalités sont responsables d’organiser la prestation des services. En Allemagne, l’État central est responsable d’édicter des normes nationales de qualité et de déterminer le niveau des services ou des prestations monétaires, mais ce sont 118 caisses de maladie qui sont chargées d’administrer les fonds de l’assurance, de réaliser l’évaluation des besoins, de surveiller la qualité des services et de négocier les contrats et les tarifs avec les fournisseurs privés. Mentionnons enfin qu’à l’exception des Pays-Bas, les programmes d’assurance des soins de longue durée ont généralement été adoptés sous l’égide de la nouvelle gestion publique, avec comme objectif principal de répondre de la manière la moins coûteuse possible aux pressions exercées par le vieillissement de la population.
2.1.2 Avantages et limites
L’avantage principal du modèle assurantiel est de permettre un élargissement rapide de l’accès à des soins de longue durée de base à un coût relativement peu élevé. Ainsi, la proportion de personnes de 65 ans et plus recevant des prestations pour les soins de longue durée est passée de 2,4 % en 1994 à 13,6 % en 2015 en Allemagne, et de 1 % en 2003 à 7,1 % en 2015 en Corée41. Au Japon, le nombre de bénéficiaires des soins de longue durée est passé de 1,49 million en 2000 à 4,92 millions en 2014. Si on se réfère au graphique 3 de la section 1.1.1, on constate que malgré cet élargissement considérable de l’accès aux services, les pays qui ont adopté ce modèle ont pu maintenir un niveau de dépenses en soins de longue durée comparable ou même nettement inférieur à celui du Canada, à l’exception des Pays-Bas (nous y reviendrons).
Toujours à l’exception des Pays-Bas, le modèle assurantiel a aussi permis d’effectuer un virage vers le SAD comme réponse principale aux besoins en soins de longue durée. L’Allemagne et la Corée figurent parmi les pays de l’OCDE où la plus grande proportion des bénéficiaires de soins de longue durée reçoivent leurs services à domicile42. Les données les plus récentes pour le Japon ne sont pas disponibles, mais on sait que la majeure partie de l’augmentation des bénéficiaires de soins de longue durée survenue dans ce pays entre 2000 et 2014 est attribuable au SAD43.
Un autre avantage de ce modèle est que dans certains pays, l’introduction d’une nouvelle assurance sociale assortie de cotisations visant le financement d’un programme spécifique est plus susceptible de susciter l’adhésion de la population qu’une hausse générale de l’impôt sur le revenu à des fins semblables. De plus, la création d’une caisse autonome visant à couvrir les soins de longue durée réduit les risques de détournement des budgets destinés à ces soins vers d’autres types de services de santé ou missions de l’État44.
Malgré ses avantages indéniables, ce modèle souffre néanmoins de limites importantes. Mentionnons d’abord que dans le cas des Pays-Bas, il n’a pas permis de réaliser un virage vers le SAD. En effet, il s’agit du pays de l’OCDE qui consacre la plus petite part de ses dépenses en soins de longue durée au financement du SAD (graphique 1, section 1.1.1). Cela explique d’ailleurs probablement en partie les coûts particulièrement élevés des soins de longue durée dans ce pays, qui arrive au premier rang des pays de l’OCDE en ce qui concerne le poids des dépenses de soins de longue durée en proportion du PIB (graphique 3, section 1.1.1).
Par ailleurs, le mode de financement du modèle assurantiel, qui est principalement basé sur des cotisations salariales, est proportionnel au revenu, mais il est moins progressif qu’un mode de financement basé sur l’impôt sur le revenu. En effet, dans le premier cas, le taux de cotisation est le même pour tous et toutes, peu importe le niveau de revenu, alors que la plupart des régimes fiscaux prévoient des taux d’imposition qui augmentent en fonction du revenu. Par exemple, en Allemagne, les cotisations pour l’assurance sur les soins de longue durée sont fixées à 3,05 % du salaire pour toutes et tous, avec un plafond de 58 050 euros pour les revenus les plus élevés, alors que le taux d’imposition commence à 14 % et peut atteindre 45 % selon le niveau de revenu45. Le mode de financement du modèle assurantiel est donc moins redistributif qu’un modèle financé par les revenus généraux de l’État.
De plus, bien qu’une part de ces cotisations salariales soit assumée par les entreprises, l’IRIS a démontré dans une publication récente qu’en raison de la financiarisation de l’économie et de la faible croissance de la masse salariale des entreprises actives au Québec, les contributions fiscales des entreprises qui sont basées sur cette masse salariale tendent à diminuer en proportion de leurs revenus et de leurs bénéfices, tendances qui sont encore plus fortes dans le cas des grandes entreprises et de celles du secteur financier qui créent le moins d’emplois46. La contribution des entreprises au financement du SAD serait donc elle aussi plus équitablement répartie si elle était basée sur l’impôt sur leur revenu plutôt que sur des cotisations déterminées par leur masse salariale.
On a vu également que le modèle assurantiel n’offre qu’une couverture partielle des coûts et qu’il maintient une charge financière individuelle qui peut être importante, avec tous les risques d’iniquité dans l’accès que cela engendre. Ainsi, en Allemagne, le tiers des coûts des services couverts est assumé par les usagères et usagers des services47. Le résultat est que malgré la mise en place d’un programme d’assurance pour les soins de longue durée, les ménages allemands consacrent une part plus élevée qu’au Canada de leurs dépenses de santé à l’achat de soins de longue durée (graphique 6, section 1.1.1).
Sur le plan de la prestation et de la gestion des services, le fait que les principes de la nouvelle gestion publique aient présidé au développement de la plupart de ces modèles et que la réduction des coûts par la privatisation des services ait été au cœur de leurs objectifs a des effets sur les conditions de travail, et donc sur la qualité des services, qui sont comparables à ceux observés au Québec48.
Ainsi, en Allemagne, le développement du programme d’assurance s’est accompagné d’une augmentation du travail à temps partiel, qui est passé de 54,2 % en 1995 à 73,2 % en 2009 dans le secteur du SAD49. Selon les données les plus récentes, ce pays arrive au troisième rang des pays de l’OCDE pour la proportion des travailleuses et travailleurs du secteur des soins de longue durée qui travaillent à temps partiel, précédé au deuxième rang par les Pays-Bas et suivi de près par la Corée, au cinquième rang (graphique 13).
Le développement d’un marché privé du SAD et la mise en compétition des fournisseurs privés pour l’obtention des contrats de service ont aussi exercé une pression à la baisse sur les salaires50, sauf aux Pays-Bas, où les organismes à but non lucratif ne subissent pas la concurrence d’entreprises privées à but lucratif (graphique 14).
La marchandisation du SAD s’est également traduite par un alourdissement de la charge de travail, une intensification des pressions pour accélérer les cadences, augmenter l’efficacité et réduire les coûts, ainsi que par une standardisation et un minutage des soins51. Paradoxalement, ces effets de standardisation et de minutage, critiqués pour leurs conséquences néfastes sur la qualité des services, ont parfois été causés, comme en Allemagne, par les tentatives étatiques de garder un certain contrôle public sur la qualité des services dispensés par les sous-traitants privés. Dans d’autres pays, comme en Corée du Sud, c’est plutôt la quasi-absence de réglementation du marché et de contrôle de la qualité des services qui a entraîné leur détérioration.
Enfin, les modèles qui permettent les prestations en argent (cash-for-care), comme en Allemagne et aux Pays-Bas, tendent à reproduire les rôles sociaux sexués traditionnels et les inégalités entre hommes et femmes ainsi que d’autres formes d’iniquité. En effet, malgré des tentatives pour améliorer leurs conditions de travail, les aidant·e·s informel·le·s rémunéré·e·s dans le cadre du programme, qui sont en majorité des femmes, ne bénéficient pas des mêmes protections et avantages que les travailleuses et travailleurs du secteur formel. Ces modèles reposent donc en partie sur le travail sous-
rémunéré et précarisé des femmes.
Dans le cas de l’Allemagne, son modèle repose également pour une bonne part sur le travail de migrant·e·s, surtout des femmes, à statut précaire. En 2012, on estimait que les prestations en argent servaient à rémunérer environ 120 000 migrant·e·s sans-papiers donnant des soins52. Loin de s’atténuer dans les années suivantes, ce phénomène a été institutionnalisé dans un système où des migrant·e·s d’Europe centrale et orientale « travaillent en binôme et alternent des quarts de travail de 2 à 12 semaines à la fois, faisant la navette entre leurs pays d’origine53 ».
2.2 Le modèle nordique
2.2.1 Principales caractéristiques
Le modèle nordique de SAD s’est développé progressivement à partir des années 1950 et 1960 comme une extension « naturelle » du modèle nordique d’État-
providence caractéristique des pays scandinaves (Danemark, Finlande, Norvège, Suède)54. Parmi ces pays, ce sont le Danemark et la Norvège qui ont les modèles les plus intéressants : ils offrent la meilleure couverture des soins de longue durée, tant pour l’hébergement que pour le SAD, ils ont mieux réussi le virage vers le SAD et ont les politiques les plus généreuses55. Au contraire, la Finlande arrive en queue de peloton sur ces différents aspects. La présentation se concentrera donc particulièrement sur les pays offrant les modèles les plus inspirants.
Comme le modèle assurantiel, le modèle nordique est de type universel, avec un droit aux services garanti dans la loi et un accès basé sur une évaluation professionnelle des besoins plutôt que sur un examen des ressources qui réserverait l’accès aux personnes les plus démunies. Aux sources de ce modèle se trouve toutefois la volonté de garantir une universalité large qui permettra de maintenir l’appui des classes moyennes au programme par l’accès pour toutes et tous à une vaste gamme de services de haute qualité56. Le modèle nordique offre donc une couverture large des besoins et une gratuité ou une
quasi-gratuité des services de SAD.
Dans ce modèle, le financement est essentiellement public et, afin de maximiser les effets de solidarité sociale et de redistribution des revenus, il est basé sur les impôts généraux plutôt que sur des cotisations salariales. En raison de la gratuité ou de la quasi-gratuité des services, la part privée du financement est quasiment inexistante ou très basse pour les services de SAD, sauf en Finlande, où les frais facturés aux usagères et usagers du SAD représentaient 15 % du total des dépenses en SAD en 201557.
Historiquement, le modèle nordique se caractérise également par une prestation des services de SAD entièrement publique. Néanmoins, des réformes en faveur d’une marchandisation et d’une privatisation des services à partir du début des années 1990, réalisées sous l’influence de la nouvelle gestion publique, ont ouvert des brèches importantes en faveur d’une prestation par des entreprises privées à but lucratif. Ces tendances ont été plus fortes en Finlande et en Suède, où la part des soins de longue durée offerte par des entreprises à but lucratif est passée de pratiquement 0 % au début des années 1990 à 18-19 % au début des années 2010, alors qu’au Danemark et en Norvège, cette part n’atteignait que 4 à 6 % au début des années 201058. Des données plus récentes indiquent que cette part avait augmenté à 22-23 % en Suède en 2015, et que c’est désormais le tiers des prestataires de SAD qui sont à but lucratif au Danemark59.
Sur le plan de la gestion, le modèle nordique se distingue par une très forte décentralisation. Les services sont une responsabilité des municipalités, qui prélèvent elles-mêmes les impôts sur le revenu pour les financer et jouissent d’une grande autonomie pour déterminer les critères d’admissibilité aux services, organiser leur prestation et les dispenser (ou sous-traiter leur prestation à des entreprises). Les services publics, dont le SAD, constituent ainsi une des composantes importantes de la démocratie municipale des pays nordiques60. Enfin, l’influence de la nouvelle gestion publique sur le modèle nordique n’a pas uniquement conduit à la privatisation de la prestation des services, mais aussi à l’application dans les services publics de méthodes de gestion inspirées du secteur privé, comme la mise en compétition des fournisseurs et la standardisation des services.
2.2.2 Avantages et limites
Comme le modèle assurantiel, le modèle nordique a permis de réussir le virage vers le SAD. En effet, à l’exception de la Finlande, les pays nordiques consacrent une part importante de leurs dépenses en soins de longue durée au SAD (graphique 1, section 1.1.1), ce qui représente des investissements élevés puisqu’ils sont aussi en tête de liste des pays de l’OCDE pour la proportion de leur PIB consacrée aux dépenses en soins de longue durée (graphique 3, section 1.1.1). Ces pays se classent également parmi ceux dont la proportion des bénéficiaires de soins de longue durée recevant du SAD est la plus élevée61.
Autre indicateur intéressant, la Finlande, la Norvège, le Danemark et la Suède trônent au sommet des pays ayant diminué le plus fortement le nombre de lits pour soins de longue durée pour 1000 personnes de 65 ans et plus entre 2011 et 2021, alors que ce nombre a plutôt augmenté aux Pays-Bas, en Corée et en Allemagne et n’a que légèrement diminué au Japon (graphique 15)62.
Le modèle nordique se distingue du modèle assurantiel par son engagement en faveur d’une universalité large et par sa capacité à opérer le virage vers le SAD tout en maintenant un degré plus élevé d’équité, tant sur le plan du financement que sur celui de la prestation. Ainsi, le modèle nordique est fondé sur un financement plus progressif et redistributif que le modèle assurantiel et il permet un accès gratuit ou presque gratuit aux services, évitant les iniquités d’accès qui découlent inévitablement de la tarification.
Ce modèle étant aussi caractérisé par la prestation publique des services, il ne s’est pas développé en s’appuyant sur une main-d’œuvre précarisée et sous-payée, bien que cet aspect ait été remis en cause par la privatisation d’une part grandissante des services. Néanmoins, malgré les réformes inspirées de la nouvelle gestion publique et la dégradation des conditions de travail qui en ont découlé, les travailleuses et travailleurs du secteur des soins de longue durée jouissent encore à ce jour de meilleures conditions dans les pays scandinaves que dans ceux ayant adopté le modèle assurantiel, tant pour ce qui concerne les taux de travail à temps partiel que pour les niveaux de salaires (graphiques 13 et 14, section 2.1.2).
De plus, contrairement au modèle assurantiel qui compte sur les familles – c’est-à-dire sur les femmes – pour être les principales responsables des soins aux proches et qui s’appuie ainsi sur la reproduction de la division sexuelle du travail et sur l’exploitation du travail sous-rémunéré (ou gratuit) des femmes et des migrant·e·s, le modèle nordique vise explicitement la « défamilialisation » des tâches traditionnellement dévolues aux femmes et leur prise en charge sociale par les services publics63.
Un des principaux désavantages du modèle nordique est que l’universalité large et le maintien de meilleures conditions de travail (et donc d’une plus grande équité et d’une meilleure qualité des services) ont un coût : la plus grande générosité de ce modèle se traduit par des dépenses en soins de longue durée qui pèsent beaucoup plus lourd dans le PIB des pays concernés que dans ceux qui ont développé un modèle assurantiel inspiré des principes de la nouvelle gestion publique. Le graphique 3 (section 1.1.1) montre en effet que la Norvège, la Suède et le Danemark arrivent en deuxième, troisième et quatrième position à cet égard, juste derrière les Pays-Bas qui, rappelons-le, ont échoué le virage vers le SAD malgré le développement avant-gardiste d’une assurance pour les soins de longue durée.
Néanmoins, il est important de mentionner que malgré ces dépenses très élevées en soins de longue durée (et peut-être en partie justement grâce à elles – nous y reviendrons), et bien que les pays nordiques aient les systèmes de santé les plus accessibles et les plus généreux au monde, leurs dépenses totales de santé sont, pour la plupart, moins élevées que celles du Québec, du Canada et des pays ayant adopté le modèle assurantiel de soins de longue durée, pourtant moins coûteux (graphique 16). À noter qu’en 1990, soit avant les réformes imposées dans les pays scandinaves afin de réduire les coûts des services de santé, les dépenses de santé en pourcentage du PIB en Norvège (7,7 %), en Finlande (7,8 %), en Suède (8,2 %) et au Danemark (8,5 %) étaient déjà plus basses que celles du Canada (9 %) et de l’Allemagne (9,9 %)64.
Une autre limite du modèle nordique est liée à son mode de gestion très décentralisé, qui accorde une grande autonomie aux municipalités dans le financement, la prestation et la gestion des services. Puisque les critères d’évaluation des besoins, les seuils d’admissibilité aux services, les taux de couverture et les niveaux de dépenses sont décidés localement, il existe dans tous les pays scandinaves des disparités importantes d’une municipalité à l’autre dans l’accès et le niveau de services reçus pour des besoins similaires, ce qui soulève des enjeux d’équité entre les régions65.
Enfin, le modèle nordique est aussi plombé par les réformes inspirées de la nouvelle gestion publique qui, depuis le début des années 1990, l’ont considérablement érodé. Sans que le droit formel aux soins de longue durée ait été remis en cause dans la loi, l’universalité du modèle a été réduite par différents mécanismes indirects. Par exemple, dans certaines régions, c’est par la révision administrative des seuils d’admissibilité que l’accès aux services a été réduit. Ainsi, la proportion de personnes de 80 ans et plus recevant du SAD dans les pays nordiques, qui était la plus élevée au monde au début des années 1980, a diminué dans presque tous ces pays à partir du début des années 1990, à l’exception du Danemark où elle a augmenté de manière importante durant cette décennie pour diminuer à partir du milieu des années 2000. À noter que les tendances sont similaires pour les services d’hébergement66.
Le graphique 17 montre que le déclin de l’accès aux soins de longue durée s’est poursuivi dans la décennie suivante. On y constate également que malgré ces reculs, les pays nordiques demeurent parmi les pays de l’OCDE où la proportion de personnes de 65 ans et plus recevant des soins de longue durée est la plus élevée.
Comme elles l’ont fait ailleurs, la privatisation et l’application de méthodes de gestion importées du secteur privé ont aussi détérioré les conditions de travail et la qualité des services offerts (augmentation du temps partiel et de la précarité, diminution des niveaux de formation, intensification des cadences, standardisation et minutage des services, etc.)67. Ces réformes ont également réduit l’équité du modèle en incitant les classes sociales plus aisées à se désolidariser du système public pour se procurer des services dans le secteur privé. De même, le déclin dans l’accès aux services a été suivi d’un processus de « refamilialisation » des soins aux aîné·e·s. Par exemple, en Suède, la proportion de personnes âgées de 75 ans et plus recevant de l’aide d’un·e proche est passée de 40 % en 1988-1989 à 65 % en 2010, des tendances aussi observées dans les autres pays nordiques68.
3. Poser les bases d’un modèle de soutien à domicile pour le Québec
3.1 Leçons à tirer des expériences québécoise et internationales
Cette dernière section vise à poser les bases d’un modèle québécois de soutien à domicile qui permettra de réaliser enfin le virage vers le SAD attendu depuis la première politique québécoise de SAD de 1979. Les propositions présentées ici s’appuient sur les leçons que l’on peut tirer de l’expérience québécoise ainsi que de celles des pays ayant développé les modèles de SAD les plus inspirants.
La première d’entre elles est que le droit aux soins de longue durée et au soutien à domicile et la couverture publique et gratuite de ces services doivent être formellement reconnus et inscrits dans la loi. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’accès gratuit à ces soins et services n’est pas garanti par la Loi canadienne sur la santé comme il l’est pour les services médicaux et hospitaliers69.
Au Québec, le principe de la gratuité des services de SAD requis par une évaluation professionnelle des besoins est inscrit dans la politique de SAD de 2003 et a été réaffirmé dans sa version actualisée en 202370. Toutefois, ce principe jouit de garanties légales faibles, et il fait d’ailleurs l’objet de remises en question, notamment de la part de la CSBE, qui a recommandé dans son plus récent rapport « que le gouvernement impose une contribution des usagers de l’aide à domicile financée par les services publics aux personnes en fonction de leurs moyens71 ». Le gouvernement a lui-même refusé de reconnaître le droit aux soins à domicile72.
La deuxième leçon est qu’il est impératif d’éviter les erreurs de la nouvelle gestion publique et de la privatisation qui, comme on a pu le constater dans l’analyse qui précède, sont responsables de la dégradation des conditions de travail, de l’équité, de l’accès et de la qualité des services dans tous les pays où elles ont sévi au cours des dernières décennies, y compris au Québec.
C’est d’ailleurs en partie pour ces raisons que le modèle que nous proposons pour le Québec est plus près du modèle nordique que du modèle assurantiel qui, dans la plupart des pays, a été développé sous l’égide de la nouvelle gestion publique et a conduit à une forte marchandisation des services. En effet, la comparaison des deux modèles démontre que les avantages du modèle nordique surpassent ceux de son pendant assurantiel et évitent la plupart de ses inconvénients.
À cet égard, il faut préciser que le gouvernement québécois a envisagé en 2013 de reproduire le modèle assurantiel et que « l’assurance autonomie » proposée reproduisait les principaux problèmes et limites des modèles dont elle s’inspirait. En effet, le livre blanc et le projet de loi déposés à l’époque (et abandonnés à la suite des élections de 2014) prévoyaient notamment : 1) une prestation largement privatisée des services, y compris au profit d’entreprises à but lucratif ; 2) la possibilité de prestations en argent pour l’achat de services, sans exclure que ceux-ci puissent être dispensés par des proches ; 3) une contribution financière des bénéficiaires et la modulation en fonction de leurs revenus du financement des services requis par une évaluation professionnelle des besoins73.
Une autre raison de s’inspirer des pays nordiques est que le modèle québécois de SAD plonge lui-même ses racines historiques dans un modèle « à la scandinave » : celui des CLSC. Rappelons en effet que la première politique québécoise de SAD avait confié à ces établissements publics la responsabilité de la gestion et de la prestation du SAD, avec pour résultat que le modèle québécois de SAD, à l’époque, partageait avec le modèle nordique les mêmes caractéristiques fondamentales : financement public, prestation publique et gestion fortement décentralisée. Une différence importante entre les deux modèles a toutefois empêché le Québec de réaliser le virage vers le SAD : le niveau de financement n’a jamais été à la hauteur de ce qui aurait été nécessaire pour le réussir, notamment parce que les gouvernements successifs n’ont jamais offert aux CLSC les moyens financiers de déployer tout leur potentiel. Cela était vrai dès la première politique de soutien à domicile de 1979, et les réformes néolibérales successives ont fortement érodé ce modèle pourtant avant-gardiste74.
Nous présentons dans les deux sections suivantes les grandes lignes d’un modèle ambitieux qui revient à ces racines québécoises. Nous en exposons d’abord les principales modalités de prestation et de gestion des services (section 3.2). Le défi principal du modèle proposé étant bien sûr celui du coût et du financement, c’est sur cet enjeu que nous nous attardons le plus longuement en dernière partie (section 3.3).
3.2 Confier la prestation des services de SAD aux CLSC et leur gestion à 400 pôles sociaux de première ligne
Après plusieurs décennies de déploiement dans la plupart des pays occidentaux, la privatisation des services de SAD et la nouvelle gestion publique n’ont rempli nulle part leurs promesses d’efficacité et d’amélioration de la qualité des services, bien au contraire : elles ont fait la preuve de leur échec lamentable. Dans le contexte québécois, marqué par une centralisation grandissante du système de santé et de services sociaux, cet échec s’est traduit par une bureaucratisation excessive des services et par l’imposition de méthodes de gestion hiérarchiques et autoritaires qui réduisent l’autonomie des professionnelle·le·s, détériorent les conditions de travail, déshumanisent les services et soins et multiplient les cibles quantitatives de performance et les mécanismes de reddition de comptes statistiques, qui sont de plus en plus lourds et déconnectés de la réalité du terrain.
Face à ces dérives, la nécessité d’une décentralisation de la gestion des services de SAD (et des services sociaux et de santé en général) est assez largement reconnue au Québec. La Commissaire à la santé et au bien-être a d’ailleurs recommandé la création de bureaux régionaux de soutien à domicile qui deviendraient la porte d’entrée de ces services, recommandation à laquelle le gouvernement a répondu en annonçant vouloir confier ce rôle aux CLSC75. Cette annonce a d’ailleurs été suivie par d’autres initiatives gouvernementales visant à revaloriser le rôle des CLSC76. Dans la même lignée, une vaste coalition regroupant des associations de défense des droits des aîné·e·s a demandé que les CLSC soient ouverts 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour être en mesure de remplir adéquatement le rôle de porte d’entrée pour le SAD, revendication qu’a toutefois rejetée le gouvernement77.
Ces propositions d’un retour vers les CLSC sont un point de départ intéressant pour poser les bases d’un modèle québécois de SAD, mais elles se butent à des limites importantes, tant sur le plan de la prestation que sur celui de la gestion des services. Sur le plan de la prestation, attribuer un rôle de simple « porte d’entrée » aux CLSC n’exclut pas la persistance d’un modèle dans lequel le SAD est largement sous-traité à des fournisseurs privés pendant que les CLSC se limitent à évaluer les besoins et à coordonner une offre de services en grande partie privatisée. Cela correspond d’ailleurs pour l’essentiel au modèle québécois actuel ainsi qu’aux recommandations de la CSBE78. Or, les leçons tirées des expériences québécoise et internationales nous enseignent que la prestation publique des services de SAD, qui permet de meilleures conditions de travail et l’intégration des travailleuses et travailleurs de ce secteur aux équipes multidisciplinaires de première ligne, est essentielle au développement et au maintien de services de qualité.
Considérant ces faits, une des caractéristiques principales du nouveau modèle québécois de SAD doit être de confier l’intégralité de la prestation des services de SAD aux CLSC79. À cet égard, le Québec a la chance de ne pas partir de zéro : il dispose d’une infrastructure publique éprouvée et bien développée qui jouit d’une expertise ancrée dans une longue expérience historique en matière de prestation publique du SAD. Le Québec, par l’entremise des CLSC, a même eu l’originalité de créer et de valoriser une profession vouée à la prestation des services d’aide à domicile : les auxiliaires familiales et sociales, appelées aujourd’hui les auxiliaires aux services de santé et sociaux.
Un des défis principaux de cette réintégration de la prestation du SAD au sein des CLSC concerne bien sûr l’embauche des dizaines de milliers de préposé·e·s d’aide à domicile qui sont actuellement à l’emploi des fournisseurs privés et qui ne détiennent pas nécessairement le niveau de formation historiquement requis dans le secteur public pour assurer des services de qualité. À cela s’ajoute l’extension considérable de l’offre globale de services que suppose le virage vers le SAD, ce qui exigera forcément l’extension tout aussi considérable de la main-d’œuvre disponible dans ce domaine.
Parmi les solutions possibles à ces problèmes figurent des investissements massifs pour revaloriser la profession d’auxiliaire aux services de santé et sociaux et pour développer des programmes de formation rémunérés menant à l’embauche dans le réseau public80. À cet égard, certaines initiatives gouvernementales existantes pourraient être étendues à un nombre beaucoup plus grand de personnes et bonifiées pour ne pas réduire le niveau de formation requis, qui est corollaire à la qualité des services81.
D’autres défis se posent sur le plan de la gestion des services. En effet, les CLSC sont actuellement dissous dans une structure bureaucratique extrêmement lourde qui centralise l’ensemble des services dans un seul établissement public – l’agence Santé Québec – et qui reproduit les modes de gestion managériaux dont il s’agit ici de s’affranchir82. Dans le cadre de cette structure, les CLSC ne sont plus que des « installations » parmi d’autres, qui ne jouissent que d’une très faible autonomie.
Il est donc nécessaire d’aller plus loin qu’une simple décentralisation des services de SAD vers les CLSC : leur ancrage doit être non seulement local, mais aussi démocratique. En effet, à l’encontre des prétentions de la nouvelle gestion publique, les recherches en administration publique démontrent que les services publics les plus efficaces sont ceux qui sont gérés localement et avec une participation citoyenne83. C’est pourquoi une autre des caractéristiques principales du nouveau modèle québécois de services de SAD doit être de confier leur gestion à 400 pôles sociaux de première ligne.
Ces pôles sociaux, répartis sur l’ensemble du territoire québécois, seraient des instances dirigeantes qui prendraient la forme de conseils d’administration élus démocratiquement et composés de gestionnaires (1/3), de membres du personnel (1/3) et d’usagères et usagers des services (1/3). Ces instances locales seraient responsables de la gestion et de la coordination de l’ensemble des services de première ligne (dont les services de SAD) dispensés par les CLSC du territoire, et c’est à elles que devraient rendre compte le personnel et les gestionnaires des CLSC84.
Cette proposition fait écho à l’une des six solutions proposées par l’IRIS pour révolutionner le système de santé au Québec85. La création de ces pôles sociaux, auxquels devrait au fil du temps être confiée la gestion de l’ensemble des services de santé et des services sociaux des territoires locaux, et pas seulement ceux de première ligne, peut être conçue comme un moyen de dégager progressivement un espace de gestion démocratique local en marge de la structure bureaucratique et centralisée qu’est Santé Québec. Elle permettrait donc de prendre le contrepied de la plus récente réforme du système de santé et de services sociaux au Québec qui, comme nous l’avons montré ailleurs, est vouée à l’échec puisqu’elle s’inscrit dans la continuité des réformes néolibérales précédentes86.
La prise en charge démocratique de la gestion du SAD et des services de première ligne par les pôles sociaux permettrait de substituer à la nouvelle gestion publique un mécanisme complètement différent pour assurer la qualité des services et l’équité dans la répartition de ces services. La démocratisation permettrait de remplacer les contrôles hiérarchiques et bureaucratiques de la NGP, qui s’exercent du haut vers le bas (top-down), par un contrôle démocratique, qui serait exercé du bas vers le haut, directement à partir du terrain par les citoyen·ne·s qui reçoivent les services (bottom-up). Autrement dit, il ne s’agit pas d’abolir la reddition de comptes et la surveillance de la qualité des services et de leur distribution équitable, mais plutôt d’inverser la chaîne de reddition de comptes. Ce sont donc ces pôles sociaux qui seraient responsables de s’assurer que les services répondent aux besoins de la population locale, qu’ils sont équitablement répartis et de bonne qualité.
Précisons que dans un modèle décentralisé comme celui que nous proposons, les disparités entre les régions comme celles observées dans le modèle nordique sont, dans une certaine mesure, inévitables, surtout si on confère aux communautés locales un pouvoir réel afin qu’elles puissent déterminer démocratiquement leurs priorités en fonction de leurs réalités particulières. Néanmoins, le risque que ces disparités se transforment en iniquités serait largement limité par un financement national du SAD, plutôt que local comme dans le modèle nordique, ce qui faciliterait une redistribution équitable des ressources financières prélevées. Des normes nationales sur un panier de services de base commun à toutes les régions pourraient également être établies, et les négociations concernant plusieurs dimensions fondamentales des conditions de travail devraient se poursuivre au niveau national.
Les schémas 1 et 2 permettent de comparer le modèle de gestion et de prestation actuel avec le modèle proposé.
3.3 Un financement massif pour un virage réussi
3.3.1 Des investissements à la hauteur du modèle norvégien
Sur le plan du financement, deux faits incontournables doivent constituer le point de départ de la réflexion. Le premier est qu’un virage réussi vers le SAD sera impossible à réaliser sans investissements publics massifs dans ces services. Si on peut effectivement s’attendre à ce qu’un tel virage permette à moyen terme un meilleur contrôle de la croissance des dépenses publiques de santé, une des leçons que l’on peut tirer des expériences du Québec et des pays qui ont adopté le modèle assurantiel est que le développement d’un modèle réussi de SAD ne peut pas se faire au rabais.
L’autre fait incontournable est le suivant : étant donné le vieillissement de la population et la croissance des besoins liés à la crise climatique, des dépenses massives sont de toute façon inévitables. Si elles ne sont pas faites dans le SAD, elles devront l’être dans les services d’hébergement et les services hospitaliers, moins adaptés aux préférences de la population87 et beaucoup plus coûteux que le SAD. Ainsi, on estime que d’ici 2050, sans même améliorer les services, les dépenses en soins de longue durée au Québec, qui sont actuellement de 7,7 milliards de dollars, atteindront 25,6 milliards si aucun changement n’est fait dans le modèle actuel de prise en charge de la perte d’autonomie, basé principalement sur l’hébergement88. Ces mêmes estimations évaluent à plusieurs milliards de dollars les économies potentielles d’un virage réussi vers le SAD.
Le modèle nordique démontre qu’il est tout à fait possible de consacrer des fonds publics massifs au financement du SAD sans provoquer le naufrage des finances publiques. Le tableau 5 présente les sommes annuelles totales à investir pour que les dépenses du Québec en SAD soient équivalentes à celles des trois pays nordiques qui investissent le plus dans ce secteur. La colonne de droite présente ainsi les sommes que le Québec investirait en SAD si ses dépenses en soins de longue durée atteignaient le même pourcentage de son PIB que celles du Danemark, de la Suède ou de la Norvège, et si ses dépenses en SAD atteignaient le même pourcentage des dépenses en soins de longue durée que ces trois pays.
On constate que pour atteindre un niveau de dépenses en SAD équivalent à celui de la Norvège, qui arrive en tête des pays de l’OCDE à cet égard, le Québec devrait investir annuellement 7,9 milliards de dollars de plus que ce qu’il a dépensé en 2023. Rappelons que la Norvège et les autres pays scandinaves consentent de tels niveaux de dépenses en SAD malgré une population moins vieillissante que le Québec, où la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus est de 16,2 % plus élevée qu’en Norvège (voir le graphique 2, section 1.1.1). Si on bonifiait les dépenses du Québec du même pourcentage pour tenir compte des besoins plus grands dus au vieillissement, il faudrait qu’elles atteignent 12,7 milliards de dollars, soit 9,7 milliards de plus que la somme dépensée en 2023 par le Québec.
À partir du coût horaire des services de SAD pour 2023, on peut estimer que de tels investissements permettraient de multiplier par 6 le taux de couverture des besoins présentement atteint par le Québec, le faisant passer de 10,7 à 63 %. Si par ailleurs on remplaçait le modèle québécois actuel, basé sur la nouvelle gestion publique et la sous-traitance vers le privé, par le modèle proposé dans les sections précédentes, basé sur une prestation entièrement publique et une gestion locale et démocratique, le taux de couverture pourrait atteindre 66 % (graphique 18).
En effet, bien qu’il soit difficile d’évaluer avec précision la différence de coût qu’entraînerait le passage du modèle québécois actuel de prestation et de gestion du SAD au modèle proposé ici, des calculs sommaires nous permettent d’estimer qu’il serait globalement moins élevé de 5 % (tableau 6).
D’abord, on constate au tableau 6 que, d’une part, l’intégration des travailleuses et travailleurs du secteur privé dans le réseau public entraînerait une augmentation des coûts en raison de la bonification substantielle de leur rémunération, mais que, d’autre part, la déprivatisation des services entraînerait également des économies.
Ainsi, le coût horaire du recours aux agences de placement pour le SAD, incluant les profits empochés par ces entreprises, est désormais plus élevé que le coût de la main-d’œuvre du réseau public, même dans le secteur de l’aide à domicile89. Contrairement à celle des autres catégories d’employé·e·s du secteur privé, la réintégration de la main-d’œuvre indépendante dans le réseau public permettrait donc de réduire les coûts. À cela s’ajoute le fait que les RPA dégagent des taux de profit qu’on peut estimer en moyenne à 10,1 %90, ce qui signifie que les subventions offertes par l’État à ces entreprises pour financer une partie des salaires qu’elles versent à leur personnel et que les dépenses faites par les établissements publics pour l’achat de services auprès de ces sous-traitants privés servent en partie à financer ces bénéfices. Il s’agit là d’autant de dépenses qui seraient éliminées avec la déprivatisation des services.
De plus, le remplacement de la nouvelle gestion publique par une gestion décentralisée et démocratisée permettrait aussi de réaliser certaines économies. On sait que les travailleuses et travailleurs du SAD consacrent actuellement 38,8 % de leur temps à remplir des formulaires et à réaliser des évaluations et des plans d’intervention dont la lourdeur est imposée par les outils gestionnaires tels que l’OCCI et les méthodes de type Lean91. Nous avons fait l’hypothèse prudente que ce temps de travail administratif pourrait être réduit de 20 % en redonnant leur pleine autonomie professionnelle aux travailleuses et travailleurs et en passant d’une reddition de comptes bureaucratique à une reddition de comptes démocratique.
On sait également que 23,2 % du temps travaillé par les employé·e·s du SAD est consacré aux déplacements92. Or, ce temps de déplacement et les coûts qui lui sont associés pourraient être réduits de deux manières. Tout d’abord, les méthodes de gestion actuelles ont pour effet de multiplier le personnel intervenant auprès d’une même personne puisque, dans l’objectif « d’optimiser les ressources », on procède à une division du travail dans laquelle on exige des niveaux de qualification différenciés pour les tâches d’aide aux activités de la vie quotidienne (AVQ) et pour celles d’aide aux activités de la vie domestique (AVD). Si ces pratiques visent à réduire les coûts en facilitant la sous-traitance, la déqualification et la précarisation des emplois externalisés vers le privé93, elles ont aussi pour conséquence paradoxale d’augmenter de manière importante les coûts liés aux déplacements. Ainsi, on peut estimer qu’il serait possible de réduire de 8,2 % le coût total des services de SAD si l’aide à la vie domestique et l’aide à la vie quotidienne étaient effectuées par les mêmes intervenant·e·s94.
Enfin, la centralisation et les fusions successives d’établissements qui en découlent ayant eu pour effet d’élargir considérablement les territoires couverts par chaque établissement, on peut penser que ces réformes ont aussi eu pour conséquence d’augmenter les temps de déplacement. Nous estimons à 2 % des coûts totaux du SAD, au bas mot, les économies qu’il serait possible de réaliser en confiant la prestation et la gestion du SAD à des instances locales desservant de plus petits territoires.
Une question centrale demeure : le Québec peut-il envisager des investissements annuels supplémentaires de 9,7 milliards de dollars en SAD de manière réaliste ? Deux volets doivent être considérés pour répondre à cette question : celui des sources de financement possibles pour réaliser ces investissements massifs, et celui des économies potentielles que générerait un virage réussi vers le SAD et, plus largement, vers les services de première ligne et la prévention des maladies.
3.3.2 Réduire les coûts par un virage vers la prévention, la première ligne et le SAD
Insistons d’abord sur ce dernier point : le modèle nordique montre bien que si le Québec agissait prioritairement et vigoureusement sur la prévention des maladies et la promotion de la santé, et s’il répartissait mieux le financement des services de santé et des services sociaux afin d’effectuer un virage vers les services de première ligne (dont le SAD), la réduction des coûts liés au système de santé pourrait être très importante. Dans une publication récente, l’IRIS a proposé plusieurs solutions concrètes allant dans ce sens95.
Nous avons d’ailleurs vu au graphique 16 (section 2.2.2) que, malgré des dépenses parmi les plus élevées au monde en soins de longue durée et en SAD, et bien que leurs services de santé et de SAD soient parmi les plus généreux en matière de couverture et d’accès, les dépenses totales de santé des pays scandinaves pèsent moins lourd dans leur économie que celles du Canada et que plusieurs des pays ayant adopté le modèle assurantiel, pourtant moins coûteux. Le tableau 7 présente les économies qu’il serait possible de réaliser si le Québec consacrait une part de son PIB équivalente à celle du Danemark, de la Suède ou de la Norvège à ses dépenses totales de santé (publiques et privées).
Les raisons qui expliquent ces coûts de santé moins élevés sont évidemment nombreuses. On sait notamment que les pays scandinaves sont parmi ceux qui reposent le moins sur le financement privé des services de santé. Or, les régimes publics universels sont généralement moins coûteux que ceux qui laissent une place importante au financement privé96. Ainsi, en Suède, en Norvège et au Danemark, ce sont à peine 14 à 15 % des dépenses de santé qui sont financées de manière privée, contre près du double au Canada97.
Une autre différence marquée entre ces pays et le Canada concerne la rémunération médicale. Au Canada, le niveau de rémunération des médecins par rapport au salaire moyen est parmi les plus élevés des pays de l’OCDE, ce qui n’est pas étranger au fait que les médecins canadien·ne·s sont pour la plupart considéré·e·s comme des entrepreneur·e·s indépendant·e·s rémunéré·e·s à l’acte98. Le Québec ne fait pas exception, au contraire : on peut estimer qu’en 2022, la surrémunération médicale a atteint 1,6 milliard de dollars99. Pour leur part, les médecins des pays nordiques sont des salarié·e·s de l’État, et leurs revenus sont beaucoup moins élevés que les médecins canadien·ne·s et québécois·es, ce qui n’empêche pas ces mêmes pays de bénéficier d’un nombre de médecins par habitant·e parmi les plus élevés des pays de l’OCDE, alors que le Canada se situe en queue de peloton à cet égard100.
Par ailleurs, dans les pays scandinaves, la part des dépenses courantes de santé allouée aux soins primaires est plus élevée qu’au Canada, ce qui peut également contribuer à réduire le recours aux services médicaux spécialisés de deuxième et troisième lignes, beaucoup plus coûteux101. Quant aux dépenses de santé destinées à la prévention, elles ne sont pas particulièrement élevées dans les pays nordiques (à l’exception du Danemark, qui y consacre une part presque deux fois plus élevée que le Canada), mais ces pays se distinguent néanmoins par des politiques sociales généreuses qui constituent autant d’actions publiques structurantes sur les grands déterminants sociaux de la santé pouvant contribuer à réduire la maladie (et donc la demande de soins) à sa source102. D’année en année, les pays nordiques figurent ainsi parmi ceux dont les taux de pauvreté et les inégalités de revenu sont les plus faibles103.
Bien sûr, le fait que la Norvège a une population moins vieillissante que le Québec explique probablement en partie que ses dépenses de santé pèsent moins lourdement dans son économie (les sociétés du Danemark et de la Suède sont davantage comparables à celle du Québec sur ce plan – voir le graphique 2, section 1.1.1). Alors que les 65 ans et plus représentent près de 20,8 % de la population du Québec, cette proportion n’est que de 17,9 % en Norvège, ce qui est de 16,2 % moins élevé. En présumant que les dépenses de la santé de la Norvège seraient plus élevées de 16,2 % avec une population comptant la même proportion de personnes de 65 ans et plus que le Québec, on peut faire l’hypothèse que ces dépenses atteindraient alors l’équivalent (en pourcentage du PIB québécois) de 52 milliards de dollars plutôt que les 45 milliards inscrits au tableau 7. Dans ce cas, la différence entre les dépenses du Québec et celles de la Norvège passerait de 32 à 25 milliards de dollars, ce qui reste tout de même très élevé.
De plus, on peut certainement considérer que les investissements massifs consentis par la Norvège en SAD contribuent de manière importante à réduire les dépenses découlant d’une réponse déficiente aux besoins de la population vieillissante, en particulier les dépenses dans les services d’hébergement et les services hospitaliers.
Le tableau 8 présente certaines économies qui pourraient être réalisées dans ces dépenses au Québec par des investissements massifs en SAD. Il est important d’insister sur le fait que cette liste n’est pas exhaustive et que plusieurs économies supplémentaires mais difficiles à chiffrer pourraient être faites, comme l’illustre le différentiel important des dépenses de santé en pourcentage du PIB entre le Québec et les pays nordiques.
Actuellement au Québec, les personnes de 75 ans et plus représentent 20 à 30 % des usagères et usagers des services d’urgence104. Dans la majorité des cas, elles se présentent aux urgences pour « une problématique de santé subaiguë, ou chronique, de faible acuité105 », c’est-à-dire pour des problèmes de santé qui auraient pu être prévenus ou mieux pris en charge par des services de première ligne, dont le SAD. Sur cette base, on peut estimer que 10 % des dépenses liées aux services d’urgence pourraient être éliminées par des services efficaces de SAD, ce qui représente pour 2023 des économies de 100 millions de dollars.
On sait par ailleurs que la même année, 500 millions ont été dépensés pour des services d’hébergement en centre hospitalier en raison du manque de places en centres d’hébergement ou de l’incapacité des CISSS et des CIUSSS à fournir des services de SAD adéquats106. Or, le coût horaire de ces services est beaucoup plus élevé dans les hôpitaux qu’à domicile ou en CHSLD. On peut estimer entre 300 et 400 millions de dollars les économies qui pourraient être réalisées si ces services étaient offerts à l’extérieur des hôpitaux.
Enfin, le gouvernement actuel est engagé dans la construction de maisons alternatives et des aîné·e·s dont la pertinence n’a pas été démontrée. En 2023, on peut estimer que 1,3 milliard de dollars ont été investis dans la construction de 21 des 46 maisons promises par la CAQ107. Or, des projections réalisées jusqu’en 2050 ont conclu qu’avec un virage vers le SAD, aucune nouvelle construction de places en CHSLD ne serait nécessaire d’ici 2030, et que les constructions nécessaires d’ici 2050 pour répondre aux besoins croissants d’hébergement pourraient être réduites de 26 052 places108. Au coût moyen actuel de 800 000 $ par place, les économies potentielles sont de plus de 20 milliards sur 30 ans, ce qui représente 700 millions de dollars par année.
Au total, ce sont donc au minimum entre 1,1 et 1,2 milliard de dollars qui pourraient être économisés annuellement en soins hospitaliers et en services d’hébergement par un virage réussi vers le SAD. Si on soustrait ces économies potentielles des investissements supplémentaires nécessaires en SAD pour atteindre le niveau de la Norvège, on obtient une somme de 8,6 milliards pour laquelle il faut trouver de nouvelles sources de financement.
3.3.3 Sources de financement potentielles du virage vers le SAD
Le tableau 9 présente diverses sources de financement possibles d’un virage réussi vers le SAD. L’une de ces sources, déjà acquise, concerne les nouveaux transferts de 240 millions de dollars consentis récemment par le gouvernement fédéral pour financer les soins de longue durée au Québec109. Ceux-ci pourraient être intégralement consacrés au virage vers le SAD.
Par ailleurs, deux publications récentes de l’IRIS offrent des pistes intéressantes pour trouver des sources de financement permettant de réaliser ce virage. La première concerne la surrémunération des médecins qui, comme nous l’avons mentionné, atteignait 1,6 milliard de dollars en 2022110. Nous proposons de consacrer 45 % de cette somme au financement du SAD111.
La deuxième publication porte sur la réduction importante de la contribution des entreprises au Fonds des services de santé, et donc au financement des services de santé, en proportion de leurs revenus et de leurs bénéfices au cours des deux dernières décennies112. Nous avons estimé que les pertes fiscales de cette évolution pour le système de santé avaient atteint jusqu’à 10 milliards pour 2019, ce qui équivaut à 11,7 milliards en dollars de 2023. Dans ce contexte, nous proposons que les entreprises assument au minimum la moitié du coût restant du virage vers le SAD (soit 3,8 milliards de dollars), ce qu’elles font d’ailleurs dans certains des modèles assurantiels comme celui de l’Allemagne. Exiger cette contribution des entreprises représenterait environ le tiers du manque à gagner provoqué par la diminution relative des cotisations des entreprises au Fonds des services de santé.
L’autre moitié serait assumée par les contribuables par le biais de l’impôt, ce qui permettrait de répartir équitablement le coût en fonction des niveaux de revenu. Il ne s’agit pas ici de proposer une « contribution santé » ou une « cotisation spéciale » à une caisse d’assurance, mais plutôt de modifier légèrement le taux d’imposition appliqué à chaque tranche de revenu.
À titre indicatif, le tableau 10 illustre ce que représenterait cette contribution fiscale supplémentaire si elle était répartie selon les mêmes proportions que la répartition actuelle de l’impôt à payer par tranche de revenu. On constate que pour l’ensemble des contribuables, la contribution annuelle moyenne par personne serait de 550 $, ce qui représente 1 % du revenu moyen des contribuables en 2020. Il est intéressant de mettre ce chiffre en contraste avec le fait qu’actuellement, les ménages québécois dépensent en moyenne 840 $ par année pour l’achat de soins de longue durée dans le secteur privé (tableau 2, section 1.1.1).
On remarque également au tableau 10 que pour la très grande majorité des contribuables, soit près des deux tiers, la contribution annuelle moyenne au financement du virage vers le SAD serait de 120 $, soit à peine 0,5 % de leur revenu moyen en 2020. Pour ceux et celles situé·e·s dans la tranche de revenu mitoyenne, la contribution annuelle serait de 780 $, soit 1,1 % de leur revenu. Pour la minorité des contribuables les plus fortuné·e·s, la contribution annuelle moyenne représenterait 1,6 % de leurs revenus, ou 2 900 $, ce qui équivaut à peu près au taux de cotisation uniforme du modèle assurantiel allemand (3,05 % sur les revenus du travail, réparti également entre les employeurs et les employé·e·s) et reste très loin du modèle néerlandais (9,65 % de cotisation des employé·e·s sur leurs salaires et 6,7 % de la masse salariale des employeurs)113.
De plus, il est important de préciser que ces contributions fiscales supplémentaires seraient faites dans un contexte où, comme pour les entreprises, le fardeau fiscal des contribuables a fortement diminué depuis 20 ans sur la scène provinciale en proportion de leur revenu. Autrement dit, entre 2000 et 2020, le revenu des contribuables a connu une croissance beaucoup plus rapide que l’impôt qu’ils et elles ont eu à payer.
Cela est vrai dans toutes les catégories de revenus, mais on constate au tableau 11 que ce sont les contribuables avec les revenus les plus élevés qui ont le plus profité de ces baisses d’impôt. Ce tableau présente ce qu’aurait été l’impôt additionnel à payer en moyenne par contribuable au Québec en 2020 si la croissance de leur contribution fiscale avait été équivalente à la croissance de leur revenu depuis 2000. À ces pertes fiscales importantes pour l’État depuis 20 ans se sont additionnées les baisses d’impôt massives et régressives consenties par le gouvernement à la suite de l’élection de 2022114. À titre indicatif, nous ajoutons dans le tableau l’effet de ces baisses pour l’année 2023. La comparaison des moyennes par contribuable présentées aux tableaux 10 et 11 montre que l’effort fiscal à faire pour financer un virage réussi vers le SAD est loin d’être démesuré ou irréaliste.
Conclusion
Bien que la nécessité d’un virage majeur vers le SAD fasse consensus depuis très longtemps au Québec, l’histoire de la province est jalonnée par les nombreuses tentatives ratées de le réaliser. Ces échecs répétés des gouvernements successifs partagent la même cause : dans tous les cas, l’objectif principal était de réduire les coûts du système de santé, et aucun de ces gouvernements n’a accepté d’effectuer les investissements massifs qui sont absolument indispensables pour réussir ce virage.
Face aux nombreuses faillites du modèle québécois actuel de SAD, et devant l’impératif d’offrir une réponse adéquate aux besoins croissants d’une population vieillissante, il est désormais urgent et incontournable de se doter d’un modèle de SAD digne des pays les plus exemplaires à cet égard. Les expériences québécoises et internationales nous enseignent que pour éviter les conséquences néfastes du sous-financement, de la privatisation et de la nouvelle gestion publique, ce modèle devra être adéquatement financé, basé sur une prestation entièrement publique et géré de manière locale et démocratique.
Avec cette publication, nous avons posé les bases d’un tel modèle en nous inspirant de celui des pays nordiques, réputé comme l’un des plus aboutis et généreux au monde. Nous proposons de confier la prestation du SAD aux CLSC et leur gestion à 400 pôles sociaux locaux et démocratiques. Enfin, nous avons calculé la hauteur des investissements nécessaires à la réalisation d’un véritable virage vers le SAD, et montré que le Québec a largement les moyens financiers d’y parvenir.
1 C’est aussi le constat auquel est parvenue la Commissaire à la santé et au bien-être (CSBE) dans son plus récent rapport sur le sujet : CSBE, Bien vieillir chez soi, tomes 1 à 4, 2023 et 2024.
2 MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (MSSS), Orientations en soutien à domicile – Actualisation de la politique de soutien à domicile « Chez soi : le premier choix », 2023, publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2023/23-704-01W.pdf.
3 Ce crédit d’impôt couvre une part des dépenses engagées par les personnes de plus de 70 ans pour l’achat de services à domicile auprès de fournisseurs privés, et plus de 80 % des dépenses fiscales liées à ce crédit est versé à des résident·e·s de RPA. En effet, bien que la grande majorité de ces résidences offrent des services qui s’apparentent à ceux offert dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), elles sont officiellement considérées comme des domiciles, et leurs résident·e·s peuvent donc utiliser ce crédit d’impôt pour financer leur loyer et les services « à domicile » offerts par ces résidences. Voir Anne PLOURDE, Les résidence privées pour aîné·e·s. Portrait d’une industrie milliardaire, Étude, IRIS, juin 2021, iris-recherche.qc.ca/publications/les-residences-pour-aine%C2 %B7e%C2 %B7s-au-quebec-portrait-dune-industrie-milliardaire/.
4 « Aide domestique », Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), www.ramq.gouv.qc.ca/fr/citoyens/programmes-aide/aide-domestique (consulté le 8 septembre 2024)
5 Nous présumons que la proportion des dépenses de santé consacrée aux soins de longue durée est la même au Québec qu’au Canada. Puisque le sous-financement public de ces services est plus important au Québec, on peut considérer qu’il s’agit d’une estimation prudente.
6 Il s’agit des heures pour les services ayant fait l’objet d’une évaluation professionnelle des besoins. Ces heures sont estimées en combinant les données du rapport de la CSBE ainsi que celles obtenues en vertu d’une demande d’accès à l’information (DAI). Il s’agit d’une estimation puisque les heures compilées dans le rapport de la CSBE incluent l’ensemble du SAD (de courte et de longue durée), alors que les données obtenues par la DAI concernent uniquement le SAD de longue durée. CSBE, op. cit.; MSSS, demande d’accès à l’information.
7 Par exemple, entre 2015-2016 et 2019-2020, le nombre d’heures de services offerts par les CISSS et les CIUSSS a augmenté de 81 % pendant que le nombre d’usagères et usagers n’augmentait que de 7 %. CSBE, op. cit.
8 Voir section précédente, tableau 1.
9 Yves VAILLANCOURT, Christian JETTÉ et François AUBRY, L’économie sociale dans les services à domicile, PUQ, 2003.
10 Revoir l’encadré 1 pour la distinction entre ces différents types de services.
11 Anne PLOURDE, Les agences de placement comme vecteurs centraux de la privatisation des services de soutien à domicile, Note, IRIS, janvier 2022, iris-recherche.qc.ca/publications/les-agences-de-placement-comme-vecteurs-centraux-de-la-privatisation-des-services-de-soutien-a-domicile/.
12 La privatisation des autres catégories de services professionnels à domicile (travail social, physiothérapie, ergothérapie, etc.) existe également et elle est aussi en forte croissance, mais elle est beaucoup moins avancée que dans les soins infirmiers à domicile.
13 COMMISSAIRE À LA SANTÉ ET AU BIEN-ÊTRE (CSBE), Bien vieillir chez soi, tome 1, 2023.
14 Pour une description et une analyse critique de ce programme, voir Myriam LAVOIE-MOORE, Le chèque emploi-service améliore-t-il les services à domicile au Québec ?, Fiche, IRIS, octobre 2021, iris-recherche.qc.ca/publications/cheque-emploi-service/; Louise BOIVIN, Stéphanie BERNSTEIN et Marie-Hélène VERVILLE, Un travail de soins à valoriser : pour une pleine protection des travailleuses employées via le programme québécois d’Allocation directe/Chèque emploi-Service, Au bas de l’échelle, novembre 2023, www.aubasdelechelle.ca/publications/recherches/.
15 Anne PLOURDE, Le capitalisme c’est mauvais pour la santé, Montréal, Écosociété, 2021.
16 Ibid.; Anne PLOURDE, Réforme Dubé : portrait-robot de l’agence Santé Québec, IRIS, juin 2023, iris-recherche.qc.ca/publications/organigramme-agence-sante-quebec/.
17 Anne PLOURDE, Santé Québec : une agence pour gérer le système de santé comme une usine d’automobiles, Article, IRIS, 25 août 2023, iris-recherche.qc.ca/blogue/sante/reforme-sante-usine-automobile/; Anne PLOURDE, Santé inc. : mythes et faillites du privé en santé, Montréal, Écosociété, 2024.
18 Myriam LAVOIE-MOORE, La coproduction des services de santé : pour qu’efficacité rime avec qualité, Fiche, IRIS, avril 2023, iris-recherche.qc.ca/publications/coproduction-services-de-sante/.
19 Josée GRENIER, Isabelle MARCHAND et Mélanie BOURQUE, « Les services de soutien à domicile au Québec : une analyse des réformes (1980-2000) », Nouvelles pratiques sociales, vol. 32, n° 1, 2021, p. 26-46.
20 Pier-Luc TURCOTTE, Dave HOLMES et Amélie PERRON, « L’outil d’évaluation multi-clientèle comme mécanisme de contrôle des soins à domicile : une analyse poststructuraliste », Recherche en soins infirmiers, n° 146, 2021, p. 7-18.
21 Ibid.; Maude BENOIT, Léonie PERRON et Gabriel LÉVESQUE, Aux premières lignes du soutien à domicile : une enquête auprès de 697 travailleuses du programme de soutien à l’autonomie des personnes âgées à travers le Québec, État 21, UQAM, 2020, tableaineslaval.ca/wp-content/uploads/2022/06/Aux-premieres-lignes-du-soutien-a-domicile-2020.pdf; ORDRE DES TRAVAILLEURS SOCIAUX ET DES THÉRAPEUTHES CONJUGAUX ET FAMILIAUX DU QUÉBEC, « Clarification des enjeux », Mots sociaux, 4 avril 2019, www.otstcfq.org/mots-sociaux/actualites/clarification-des-enjeux/; Alexandre TOUCHETTE, « Les algorithmes provoquent un malaise dans les services sociaux », Radio-Canada, 5 novembre 2018, ici.radio-canada.ca/nouvelle/1134036/soins-domicile-algorithmes-questionnaire-malaises-services-sociaux.
22 Fanny LÉVESQUE, « Moins de formulaires, plus de temps auprès des patients », La Presse, 20 octobre 2023, www.lapresse.ca/actualites/sante/2023-10-20/soins-a-domicile/moins-de-formulaires-plus-de-temps-aupres-des-patients.php.
23 Sara CHAMPAGNE, « Soins à domicile : tollé contre la méthode Toyota », La Presse, 3 novembre 2012, www.lapresse.ca/actualites/sante/201211/03/01-4590068-soins-a-domicile-tolle-contre-la-methode-toyota.php.
24 Ibid.
25 Julie BOURGAULT et Louise BOIVIN, « Nouvelle gestion publique, action syndicale et défense du droit à des conditions de travail justes et raisonnables », dans Josée GRENIER et Mélanie BOURQUE, Les services sociaux à l’ère managériale, Québec, Presses de l’Université Laval, 2018, p. 247-274
26 Maude BENOIT et autres, op. cit.
27 Ibid.
28 Marie-Hélène VERVILLE, Continuités et ruptures des soins dans les réseaux de services public-privés d’aide à domicile : une analyse féministe du travail de soins, mémoire de maîtrise (relations industrielles), Université du Québec en Outaouais, 2024.
29 Anne PLOURDE, Santé inc., op. cit.
30 La majorité des travailleuses et travailleurs du SAD pensent qu’il n’existe aucun mécanisme de contrôle de la qualité des services sous-traités aux agences privées et aux entreprises d’économie sociale dans leur établissement. Voir Maude BENOIT, Léonie PERRON et Gabriel LÉVESQUE, Aux premières lignes du soutien à domicile : une enquête auprès de 697 travailleuses du programme de soutien à l’autonomie des personnes âgées à travers le Québec, État 21, UQAM, 2020, tableaineslaval.ca/wp-content/uploads/2022/06/Aux-premieres-lignes-du-soutien-a-domicile-2020.pdf.
31 CSBE, op. cit.; Marie-Hélène VERVILLE, op. cit.
32 Marie-Hélène VERVILLE, op. cit.; Edward CHAU, Laura C. ROSELLA, Luke MONDOR et Walter P. WODCHIS, « Association between continuity of care and subsequent diagnosis of multimorbidity in Ontario, Canada from 2001-2015: A retrospective cohort study », PLoS ONE, vol. 16, n° 3, 2021; COLLÈGE DES MÉDECINS DE FAMILLE DU CANADA, La valeur de la continuité des soins : un investissement dans les soins primaires pour réduire des coûts et améliorer la qualité de vie, 2021, www.cfpc.ca/CFPC/media/Ressources/Prestation-des-soins-de-sant%C3%A9/Continuity-of-Care-one-pager-FRE.pdf; Esther CLOUTIER, Hélène DAVID, Élise LEDOUX et autres, Importance de l’organisation du travail comme soutien aux stratégies protectrices des auxiliaires familiales et sociales et des infirmières des services de soins et de maintien à domicile, Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, 2005; François-Xavier DEVETTER, Annie DUSSUET et Emmanuelle PUISSANT, Aide à domicile, un métier en souffrance, Paris, L’Atelier, 2023.
33 Louise BOIVIN, Représentation collective et qualification du travail dans les services d’aide à domicile au Québec et en Outaouais : comparaison entre secteur public, chèque emploi-service, économie sociale et agences privées, Conférence au Colloque Penser, observer et « travailler » le care : propositions et défis pour l’analyse des rapports de pouvoir, ACFAS, UQO, 30 mai 2019; Louise BOIVIN, Régulation juridique du travail, pouvoir stratégique et précarisation des emplois dans les réseaux : trois études de cas sur les réseaux de services d’aide à domicile au Québec, thèse de doctorat, Université de Montréal, 2014.
34 Kandice A. KAPINOS, The effect of working conditions on patient care: a systematic review, Washington DC, Department of Veterans Affairs, 2012; Marie-Hélène VERVILLE, op. cit.; Louise BOIVIN, « Réorganisation des services d’aide à domicile au Québec et droits syndicaux : de la qualification à la disponibilité permanente juste-à-temps », Nouvelles questions féministes, vol. 32, n° 2, 2013, p. 44-56; Louise BOIVIN, Régulation…, op. cit.; Hildegard THEOBALD, Marta SZEBEHELY, Yayoi SAITO et Nobu ISHIGURO, « Marketisation policies in different contexts: consequences for home-care workers in Germany, Japan and Sweden », International Journal of Social Welfare, vol. 27, 2018, p. 215-225; Hildergard THEOBALD et autres, op. cit.; Hildergard THEOBALD et Yongho CHON, « Home care development in Korea and Germany: the interplay of long-term care and professionalization policies », Social Policy and Administration, vol. 54, n° 5, 2020, p. 615-629.
35 Marie-Hélène VERVILLE, op. cit.; Marie-Hélène VERVILLE, « Combien valent les travailleuses de l’aide à domicile », Gazette des femmes, 31 janvier 2017, gazettedesfemmes.ca/13597/combien-valent-les-travailleuses-de-laide-a-domicile/#note1; Louise BOIVIN. « “Just in time” labour: the case of networks providing home assistance service in Quebec », International Journal of Comparative Labour Law and Industrial Relations, vol. 32, no 3, 2016, p. 301-321.
36 Anne PLOURDE, Les résidences…, op. cit.; MINISTÈRE DES FINANCES DU QUÉBEC, Plan budgétaire, Budget 2024-2025, mars 2024, www.finances.gouv.qc.ca/Budget_et_mise_a_jour/budget/documents/Budget2425_PlanBudgetaire.pdf.
37 « Obligations des agences de placement de personnel », Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/demarches-formulaires/agences-placement-personnel-recrutement/agences-placement-personnel/obligations-agences-placement-personnel (consulté le 10 septembre 2024).
38 Karen S. PALMER, Rosa STALTERI, Clémence ONGOLO ZOGO, Nathan M. STALL, Peter JÜNI et Susan LAW, Soins à domicile pour les personnes âgées pendant la pandémie de COVID-19 : leçons tirées des Pays-Bas, du Danemark et de l’Allemagne en vue de renforcer et d’étendre les soins à domicile au Canada, Note d’enjeux, CanCOVID, mars 2022, cancovid.ca/wp-content/uploads/2022/04/CanCOVID-Issue-Note-2-HOME-CARE-FINAL-FRENCH.pdf.
39 Pamela NADASH, Pamela DOTY et Matthias VON SCHWANENFLÜGEL, « The German long-term care insurance program: evolution and recent developments », The Gerontologist, vol. 58, n° 3, p. 588-597; Hildegard THEOBALD, Marta SZEBEHELY et autres, « Marketisation… », op. cit.
40 Hildergard THEOBALD et autres, « Marketisation… », op. cit.; Hildergard THEOBALD et autres, « Home care… », op. cit.
41 Hildergard THEOBALD et autres, « Home care… », op. cit.
42 OCDE, Panorama de la santé 2023, www.oecd-ilibrary.org/docserver/health_glance-2003-fr.pdf.
43 Hildergard THEOBALD et autres, « Marketisation… », op. cit.
44 L’utilisation par le gouvernement du Canada des surplus de l’assurance-emploi à d’autres fins que celles prévues par le programme, avalisée par la Cour suprême en 2008, montre toutefois que rien n’empêche un tel détournement dans le contexte canadien. Alec CASTONGUAY, « Jugement de la Cour suprême au sujet de la caisse de l’assurance-emploi – Les syndicats perdent une bataille de 57 milliards de dollars », Le Devoir, 12 décembre 2008, www.ledevoir.com/societe/222923/jugement-de-la-cour-supreme-au-sujet-de-la-caisse-de-l-assurance-emploi-les-syndicats-perdent-une-bataille-de-57-milliards-de-dollars.
45 Karen S. PALMER, op. cit.; « Impôts », Service pour l’Égalité de Traitement des travailleurs de l’UE, www.eu-gleichbehandlungsstelle.de/eugs-fr/service/vivre-et-travailler-en-allemagne/impôts (consulté le 10 septembre 2024).
46 Anne PLOURDE, Rétablir le financement des services de santé par les entreprises, Fiche, IRIS, octobre 2024, iris-recherche.qc.ca/publications/financement-sante-entreprises/.
47 Hildergard THEOBALD et autres, « Marketisation… », op. cit.
48 Ibid.; Hildergard THEOBALD et autres, « Home care… », op. cit.
49 Hildergard THEOBALD et autres, « Marketisation… », op. cit.
50 Hildergard THEOBALD et autres, « Home care… », op. cit.
51 Ibid.; Hildergard THEOBALD et autres, « Marketisation… », op. cit.; Hildergard THEOBALD, « Combining welfare mix and New Public Management: the case of long-term care insurance in Germany », International Journal of Social Welfare, n° 21, 2012, p. 61-74.
52 Pamela NADASH et autres, op. cit.
53 Karen S. PALMER et autres, op. cit.
54 Marta SZEBEHELY et Gabrielle MEAGHER, « Nordic eldercare – Weak universalism becoming weaker? », Journal of European Social Policy, vol. 28, n° 3, 2018, p. 294-308.
55 Ibid.; Karen S. PALMER et autres, op. cit.
56 Linda MOBERG, « Marketisation of Nordic eldercare – Is the model still universal? », Journal of Social Policy, vol. 46, n° 3, 2017, p. 603-621.
57 Marta SZEBEHELY et autres, op. cit.
58 Ibid.
59 Hildergard THEOBALD et autres, « Marketisation… », op. cit.; Karen S. PALMER et autres, op. cit.
60 Marta SZEBEHELY et autres, op. cit.
61 OCDE, op. cit.
62 Ces données doivent être interprétées avec prudence puisque dans certains contextes, elles pourraient traduire une diminution dans l’accès aux soins de longue durée plutôt qu’une meilleure prise en charge par le SAD. C’est d’ailleurs peut-être ce qui explique la baisse observée au Canada. À noter également que pour les pays qui nous intéressent, la pandémie de COVID-19 n’a pas eu d’effet significatif sur les tendances 2011-2021 puisqu’elles sont semblables à celles de 2009-2019. OCDE, Panorama de la santé 2021.
63 Ibid. Pour plus de détails sur le concept de défamilialisation, voir Ellen VERBAKEL, Karen GLASER, Yasmina AMOUR, Martina BRANDT et Majolein BROESE VAN GREONOU, « Indicators of familialism and defamilialization in long-term care: a theoretical overview and introduction of macro-level indicators », Journal of European Social Policy, vol. 33, n° 1, 2023, p. 34-51.
64 OCDE, op. cit.
65 Marta SZEBEHELY et autres, op. cit.
66 Ibid.
67 Ibid.; Linda MOBERG, op. cit.; Hildergard THEOBALD et autres, « Marketisation… », op. cit.
68 Ibid.
69 Karen S. PALMER, op. cit.; CSBE, op. cit.
70 MSSS, op. cit.
71 CSBE, op. cit., tome 4, p. 27.
72 Patrice BERGERON, « La CAQ dit non aux CLSC 24/7 demandés par une coalition d’aînés », La Presse, 9 mai 2024, www.lapresse.ca/actualites/sante/2024-05-09/la-caq-dit-non-aux-clsc-24-7-demandes-par-une-coalition-d-aines.php.
73 MSSS, L’autonomie pour tous, Livre blanc sur la création d’une assurance autonomie, 2013; Projet de loi n° 67 : Loi sur l’assurance autonomie, Assemblée nationale du Québec, Québec, Éditeur officiel du Québec, 2013.
74 Jacques ROY, « L’histoire du maintien à domicile ou les nouveaux apôtres de l’État », Service social, vol. 43, n° 1, 1994, p. 7-32; Anne PLOURDE, Le capitalisme…, op. cit.
75 CSBE, op. cit.; Ministre responsable des Aînés, Pour des services de proximité – Les CLSC deviendront la porte d’entrée pour les personnes aînées, communiqué, 3 mai 2024, www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/pour-des-services-de-proximite-les-clsc-deviendront-la-porte-dentree-pour-les-personnes-ainees-55574.
76 Isabelle PORTER, « Les CLSC, la bataille de Shirley Dorismond », Le Devoir, 18 mai 2024, www.ledevoir.com/societe/sante/813222/sante-clsc-mission-shirley-dorismond; Marie-Eve COUSINEAU, « Du “sans rendez-vous” en CLSC pour les problèmes de santé mentale », La Presse, 9 septembre 2024, www.lapresse.ca/actualites/sante/2024-09-09/cisss-de-la-monteregie-centre/du-sans-rendez-vous-en-clsc-pour-les-problemes-de-sante-mentale.php.
77 Patrice BERGERON, op. cit.
78 CSBE, op. cit.
79 Des modalités particulières pourraient être développées pour réformer le programme du chèque emploi-service, auquel sont attachées nombre de personnes en situation de handicap physique souhaitant cogérer une partie de leurs services d’aide à domicile. Il faudrait veiller à ce que cette cogestion soit collectivisée et que les travailleuses et travailleurs de ce programme jouissent des mêmes niveaux de formation, conditions de travail et protection des droits du travail que le reste de la main-d’œuvre du SAD. Ces modalités pourraient être élaborées à partir des recommandations contenues dans les rapports suivants, en collaboration notamment avec les organismes de défense des droits des personnes en situation de handicap : Louise BOIVIN et autres, op. cit.; Myriam LAVOIE-MOORE, op. cit.
80 Guillaume HÉBERT, Myriam LAVOIE-MOORE et Anne PLOURDE, Six remèdes pour révolutionner le système de santé au Québec, Brochure, IRIS, novembre 2023, iris-recherche.qc.ca/publications/six-remedes-pour-revolutionner/.
81 Stéphane Bordeleau, « Québec lance une formation plus courte et payée pour les préposés au soutien à domicile », Radio-Canada, 13 février 2024, ici.radio-canada.ca/nouvelle/2048992/quebec-formation-payee-preposes-soins-domicile.
82 Anne PLOURDE, Portrait-robot…, op. cit.; Anne PLOURDE, Une agence…, op. cit.
83 Myriam LAVOIE-MOORE, Pour qu’efficacité…, op. cit.
84 Puisqu’il existe actuellement près de 500 « installations » avec une mission CLSC au Québec, cela signifie que certains pôles sociaux seraient responsables de la gestion de plus d’un CLSC. Pour les détails concernant cette proposition et des explications sur le nombre de pôles sociaux envisagés, voir Guillaume HÉBERT, Myriam LAVOIE-MOORE et Anne PLOURDE, Six remèdes pour révolutionner le système de santé au Québec, Brochure, IRIS, novembre 2023, iris-recherche.qc.ca/publications/six-remedes-pour-revolutionner/.
85 Guillaume HÉBERT et autres, op. cit.
86 Ibid.
87 CSBE, op. cit.
88 Nicholas-James CLAVET, Réjean HÉBERT, Pierre-Carl MICHAUD et Julien NAVAUX, Les impacts financiers d’un virage vers le soutien à domicile au Québec, cahier de recherche, Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels, mai 2021, creei.ca/wp-content/uploads/2021/05/cahier_21_04_impacts_financiers_virage_soutien_domicile_quebec.pdf.
89 Il s’agit d’une évolution qui était prévisible par rapport à la situation décrite dans Anne PLOURDE, Les agences de placement comme vecteurs centraux de la privatisation des services de soutien à domicile, Note, IRIS, janvier 2022, iris-recherche.qc.ca/publications/les-agences-de-placement-comme-vecteurs-centraux-de-la-privatisation-des-services-de-soutien-a-domicile/.
90 Statistique Canada, Établissements privés de soins infirmiers et pour bénéficiaires internes, statistiques sommaires, Tableau 13-10-0102-01, consulté le 13 septembre 2024.
91 Maude BENOIT et autres, op. cit.
92 Ibid.
93 Marie-Hélène VERVILLE, op. cit.
94 Calculs basés sur des estimations faites dans Réjean HÉBERT, Pierre-Carl MICHAUD et Julien NAVAUX, Les impacts financiers d’un virage vers le soutien à domicile au Québec, cahier de recherche, Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels, mai 2021, creei.ca/wp-content/uploads/2021/05/cahier_21_04_impacts_financiers_virage_soutien_domicile_quebec.pdf.
95 Guillaume HÉBERT et autres, op. cit.
96 Anne PLOURDE, Santé inc., op. cit.
97 OCDE, op. cit.
98 Ibid.
99 Philippe HURTEAU et Anne PLOURDE, Réduire la rémunération des médecins pour refinancer le réseau de la santé et des services sociaux, Fiche, IRIS, septembre 2021, iris-recherche.qc.ca/publications/reduire-remuneration-medecins-pour-refinancer-reseau-sante-services-sociaux/. Données mises à jour pour 2022.
100 Ibid.
101 OCDE, op. cit.
102 ASSOCIATION POUR LA SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC, Le livre de la réduction de la maladie au Québec, février 2023, aspq.org/app/uploads/2024/01/2024-livrereductionmaladie-aspq-vf.pdf.
103 « Taux de pauvreté », OCDE, www.oecd.org/fr/data/indicators/poverty-rate.html (consulté le 24 septembre 2024); « Inégalité de revenu », OCDE, www.oecd.org/fr/data/indicators/income-inequality.html (consulté le 24 septembre 2024); « Le coefficient de Gini basé sur le revenu ajusté », Institut de la statistique du Québec, statistique.quebec.ca/fr/produit/publication/coefficient-de-gini-revenu-ajuste (consulté le 24 septembre 2024).
104 MSSS, Vers un service d’urgence adapté pour la personne âgée : cadre de référence, 2022, publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2022/22-905-03W.pdf.
105 Ibid.
106 Nicholas-James CLAVET, Réjean HÉBERT, Julien NAVAUX et Michel RAÎCHE, Horizon 2040 : projection des impacts du soutien à l’autonomie au Québec, 2023, cjp.hec.ca/wp-content/uploads/2023/11/rapport-principal-CSBE.pdf.
107 Ces estimations sont basées sur les déclarations de la Société québécoise des infrastructures, qui estime à 2,8 milliards le coût de construction des 46 maisons prévues, pour un coût moyen de 61 millions. Il s’agit d’estimations prudentes puisque les coûts réels ont largement dépassé ces prévisions. Marie-Michèle SIOUI, « Retards de livraison et chambres vides pour les maisons des aînés », Le Devoir, 12 janvier 2024, www.ledevoir.com/societe/805193/retards-livraison-chambres-vides-maisons-aines.
108 Nicholas-James CLAVET et autres, Les impacts…, op. cit.
109 LA PRESSE CANADIENNE, « Ottawa signe l’entente en santé de 3,7 milliards avec Québec », La Presse, 27 mars 2024, www.lapresse.ca/actualites/sante/2024-03-27/ottawa-signe-l-entente-en-sante-de-3-7-milliards-avec-quebec.php.
110 Philippe HURTEAU et Anne PLOURDE, op. cit.
111 Cette proposition est cohérente avec l’une de celles faite dans Six remèdes…, qui consistait à consacrer une part substantielle des nouveaux investissements recommandés en première ligne au financement de 4 secteurs prioritaires, la santé mentale, la santé publique, le SAD et le secteur communautaire, dans le but de le doubler. Les dépenses en SAD représentaient 45 % du total des dépenses dans ces quatre secteurs. Voir Guillaume HÉBERT et autres, op. cit.
112 Anne PLOURDE, Rétablir…, op. cit.
113 Karen S. PALMER et autres, op. cit.
114 Guillaume HÉBERT et Pierre-Antoine HARVEY, Baisses d’impôt : quels effets pour les ménages et les finances publiques ?, Fiche, IRIS, mars 2023, iris-recherche.qc.ca/publications/baisses-impot-qc-2023/.