Société des alcools du Québec et marché de l’alcool au Canada : état des lieux et constats
20 octobre 2025
Une fois de plus, le débat sur le monopole public de la vente de vin et de spiritueux refait surface au Québec. Face à l’évolution de la situation économique nord-américaine et aux changements observés dans les habitudes de consommation de la population québécoise, des voix s’élèvent pour critiquer la manière dont la Société des alcools du Québec (SAQ) remplit son rôle ou encore pour appeler à une libéralisation du marché de l’alcool. Ce type de proposition n’est pas nouveau. L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) s’est penché plus d’une fois sur le modèle actuel de commercialisation de l’alcool au Québec et ailleurs au Canada afin notamment de réfléchir à la pertinence de le réformer.
Dans cette fiche, nous présentons une synthèse des études produites par l’IRIS dans les deux dernières décennies au sujet de la société d’État et du secteur des boissons alcooliques au Québec et au Canada. Les résultats obtenus dans ces différentes publications constituent autant d’éléments d’information susceptibles d’éclairer les discussions actuelles sur la SAQ et l’évolution du marché québécois de l’alcool.
Table des matières
Situation actuelle du marché de l’alcool au Québec
La stagnation de la consommation de vins et de spiritueux, un phénomène qui s’observe au Québec depuis une dizaine d’années, est en train de bousculer le marché de l’alcool1. Ce changement d’habitudes se traduit par une faible hausse des ventes depuis 10 ans à la SAQ. Notons que la consommation de bière, vendue principalement par des détaillants privés, est pour sa part en diminution depuis environ 15 ans.
C’est dans ce contexte qu’est remis en question le modèle actuel de commercialisation de l’alcool et que se font entendre des appels à une libéralisation accrue du marché (où, rappelons-le, sont déjà présentes différentes catégories d’entreprises privées). L’arrivée de nouveaux acteurs dans le commerce des vins et spiritueux encouragerait, selon certains, la SAQ à revoir certaines de ses pratiques pour stimuler ses ventes. Elle aurait aussi pour effet d’accroître l’offre pour les consommateurs et les consommatrices, et de mieux répondre à l’évolution de la demande.
À l’inverse, certain·e·s reprochent à la société d’État d’agir comme une entreprise privée2 et de faire de la maximisation des profits sa priorité au détriment, par exemple, de la vitalité des cœurs villageois du Québec3. Selon ce point de vue, si l’entreprise n’a pas comme objectif le bien-être collectif, elle ne devrait pas conserver le monopole du commerce des vins et spiritueux4.
Tout récemment, la question de l’encadrement du marché de l’alcool a aussi ressurgi en réaction à un tout autre phénomène, soit l’imposition par Washington de tarifs douaniers sur différents produits exportés aux États-Unis. Cette décision a en effet relancé les discussions sur la stimulation du commerce interprovincial afin de compenser en partie la diminution anticipée des exportations. Dans la dernière année, les appels à l’élimination des obstacles au commerce entre les provinces se sont multipliés, et la réglementation entourant le commerce de l’alcool est dans la mire des partisan·e·s d’une plus grande libéralisation des échanges.
En ce moment, l’importation de boissons alcooliques (y compris les achats en ligne), notamment en provenance d’autres provinces canadiennes, est une prérogative de la SAQ5. Toutefois, les lois ont déjà fait l’objet de plusieurs modifications au cours des dernières années. Par exemple, les limites concernant la quantité de boissons alcooliques qu’une personne pouvait acheter dans une autre province et rapporter au Québec ont été abolies en 20226. Un protocole d’entente sur la vente directe d’alcool aux consommateurs et consommatrices a aussi été signé en juillet 2025 par les 10 provinces et un territoire7. Les signataires se sont engagé·e·s à établir un système permettant à la clientèle de commander directement auprès d’un producteur des boissons alcooliques à des fins de consommation personnelle et de se les faire livrer à leur domicile.
Principaux constats dressés par l’IRIS au sujet de la SAQ et du marché de l’alcool
La libéralisation (et, à une autre époque, la privatisation) a souvent été présentée comme un moyen d’accroître l’offre de produits alcooliques et, donc, de stimuler la demande. Cette position est défendue par plusieurs entreprises privées qui produisent ou commercialisent des boissons alcooliques ainsi que par les associations qui les représentent, dont certaines ont des mandats de lobbyisme auprès du gouvernement du Québec. Certain·e·s politicien·ne·s, chroniqueurs et chroniqueuses tiennent d’ailleurs le même discours que l’industrie.
Les études que l’IRIS a consacrées à la SAQ et au marché de l’alcool depuis la fondation de l’institut en 2000 tendent à montrer que l’ouverture au privé n’est pas garante d’une offre accrue et qu’elle comporte d’autres inconvénients.
La première étude produite par l’IRIS à propos du marché de l’alcool remonte à 20038. Nous y analysions les conséquences de la privatisation de la vente d’alcool en Alberta survenue 10 ans plus tôt. Parmi celles-ci, nous observions une baisse des revenus gouvernementaux, une hausse plus forte des prix que dans le reste du Canada, une détérioration des conditions de travail du personnel des détaillants de produits alcooliques, ainsi qu’une diminution du nombre de produits vendus dans la majorité des magasins privés de vente d’alcool.
Nous avons examiné de nouveau le cas de l’Alberta en 2015, en comparant le marché de l’alcool dans cette province à celui du Québec9. Nous avons constaté que les prix des vins et des spiritueux avaient crû deux fois plus rapidement en Alberta qu’au Québec depuis la privatisation, en plus de noter que le prix des produits vendus à la SAQ avait crû moins rapidement que celui de la bière, qui est vendue principalement par des entreprises privées au Québec (dépanneurs et épiceries). Le nombre de produits vendus par la SAQ était aussi près de deux fois plus élevé que le nombre qu’on pouvait alors trouver chez les détaillants privés albertains. La comparaison avec l’Alberta nous a permis de voir que la SAQ générait des revenus gouvernementaux équivalents à ceux que tire le gouvernement albertain de la taxation des produits de l’alcool dans cette province, tout en offrant de meilleures conditions de travail à son personnel.
L’année suivante, nous nous sommes penchés sur le cas de la Colombie-Britannique, où la vente d’alcool a été libéralisée en 200210. La comparaison avec le Québec a montré que les prix des produits étaient plus élevés dans les magasins privés de la Colombie-Britannique que dans les succursales de la BC Liquor Store, l’entreprise publique, mais aussi plus chers que ce que demande la SAQ pour les mêmes produits. De plus, la présence d’acteurs privés ne se traduisait pas par une offre plus importante de produits sur l’ensemble du territoire britanno-colombien. Les boutiques qui offraient des produits spécialisés (magasins de type caviste avec conseillers et offre de produits de niche) existaient bel et bien, mais seulement dans les grandes villes telles que Vancouver ou Victoria.
Nous n’avons pas observé une diminution des prix de l’alcool dans les années suivant la libéralisation. Nous avons aussi noté que la consommation d’alcool avait augmenté plus rapidement au Québec qu’en Colombie-Britannique durant la période observée. Les frais généraux et administratifs en pourcentage des ventes nettes de la SAQ avaient par ailleurs connu une diminution constante sur la période étudiée, tandis qu’ils avaient stagné en Colombie-Britannique. Notons que le poids relatif de ces frais a continué de diminuer au Québec depuis 2016-2017, alors qu’il a subi une légère hausse en Colombie-Britannique11.
Une mise à jour des données sur les produits alcooliques révèle que le modèle québécois continue de donner de bons résultats pour les consommateurs et les consommatrices. En effet, la SAQ a su assurer une stabilité des prix équivalente ou meilleure que l’Alberta ou la Colombie-Britannique dans les 20 dernières années, comme on peut le voir aux graphiques 1 et 2. De 2004 à 2024, le prix du vin acheté en magasin a crû de 22 % au Québec, soit une hausse similaire à celle observée en Alberta et en Colombie-Britannique. Les prix des spiritueux achetés en magasin ont pour leur part augmenté de 23 % dans la belle province sur la même période, mais de 25 % en Alberta et de 36 % en Colombie-Britannique. Notons que dans ces trois provinces comme au Canada en moyenne, les prix, et plus particulièrement ceux du vin acheté en magasin, ont augmenté plus rapidement depuis le début de la pandémie de COVID-19. Ces données portent à croire que le facteur qui a pesé le plus sur les prix de l’alcool dans les dernières années est le même partout au pays, et ce, peu importe le modèle de commercialisation.
Nous nous sommes également penchés sur l’idée d’ouvrir le marché à de nouveaux joueurs privés dans une étude parue en 2022. Les scénarios que nous avons étudiés nous ont permis de conclure que la présence de nouveaux acteurs privés exploitant de petits commerces de type caviste dans le marché québécois des vins et des spiritueux ne ferait pas augmenter l’offre de produits pour la clientèle partout au Québec, car selon nos estimations, seul un nombre limité de ces entreprises serait profitable et aurait donc la chance de voir le jour. Notons que ces résultats découlent de l’analyse de la situation avant la période inflationniste, qui a notamment fait grimper le coût des baux commerciaux. Constatant à l’époque une hausse de la consommation de vin au Québec, nous en avions par ailleurs déduit que le monopole public avait su maintenir une offre attrayante pour la clientèle durant une période où la vente de bière, assurée principalement par le secteur privé, avait plutôt eu tendance à diminuer.
Revoir le modèle de la SAQ plutôt que de modifier la structure du marché de l’alcool
Si l’on se fie aux partisan·e·s de la libéralisation du marché de l’alcool, la présence accrue du secteur privé aura pour effet d’améliorer l’offre de produits alcooliques. Les études que l’IRIS a réalisées par le passé contredisent cette présomption. De plus, dans les provinces où le secteur privé occupe une plus grande place, nous avons constaté que la vente de l’alcool était assurée principalement par des épiceries, des dépanneurs ou des petits détaillants vendant des produits d’appel12, et non par des commerces de type caviste se démarquant par la variété et la qualité de l’offre.
Nous estimons donc, sur la base de nos précédents constats, qu’une révision du modèle d’affaires actuel de la SAQ serait plus susceptible de faire évoluer l’offre de boissons alcooliques et d’améliorer le service. Comme nous l’avons montré dans l’ouvrage Du vin et des jeux, qui retrace l’histoire de la Société des alcools et de Loto-Québec, la SAQ a opéré un virage commercial au début des années 1990 qui a fait évoluer sa mission de strict intermédiaire entre les consommateurs et consommatrices et les producteurs et productrices vers une entreprise vouée à la commercialisation des produits alcooliques dans le but de générer d’importants revenus pour le gouvernement. Depuis, l’entreprise doit à la fois rapporter des revenus au gouvernement du Québec en vendant un produit réputé être source de problèmes sur le plan de la santé publique et « [b]ien servir la population de toutes les régions du Québec en offrant une grande variété de boissons alcooliques de qualité13 ».
Dans notre étude de 2022, nous soutenons que la croissance du dividende ne devrait plus être prioritaire pour la SAQ14. En se recentrant sur l’objectif d’offrir partout sur le territoire des produits de qualité et au meilleur prix possible, la société d’État pourrait plus facilement s’adapter aux nouvelles habitudes de consommation de la population. Elle pourrait, par exemple, offrir davantage de produits spécialisés, notamment de producteurs québécois, en éliminant l’exigence pour un fournisseur d’approvisionner plusieurs succursales, ou encore en revoyant ses règles de majoration et en profitant de son pouvoir de négociation pour proposer des bouteilles à meilleurs prix. Le maintien et l’ouverture de points de service pourraient s’arrimer à des objectifs de développement économique local et, ainsi, contribuer à la vitalité de certains cœurs villageois.
En somme, plutôt que de miser sur une croissance des ventes dans un contexte de diminution de la consommation, la SAQ pourrait veiller à l’amélioration de la qualité de son offre. L’histoire de la société d’État et l’évolution de ses stratégies d’affaires nous rappellent que l’entreprise publique a les moyens d’améliorer son propre modèle sans avoir à céder une partie de la vente d’alcool au privé. Cette dernière option serait certainement bénéfique pour plusieurs entreprises, à commencer par les grands enseignes de supermarchés et de dépanneurs, mais du point de vue de la clientèle ainsi que de la santé publique, rien n’indique que les avantages soient au rendez-vous.
1 STATISTIQUE CANADA, Valeur des ventes de boissons alcoolisées des régies des alcools et d’autres points de vente au détail, selon le type de boisson (x 1 000), Tableau 10-10-0011-01.
2 Stéphanie GRAMMOND, « Soif de concurrence pour la SAQ », La Presse, 26 octobre 2024.
3 Philippe MERCURE, « Et si la SAQ amenait SA game dans NOTRE game ? », La Presse, 24 septembre 2024.
4 Marie-Claude LORTIE, « La SAQ, son monopole et ses décisions irresponsables », Le Droit, 15 mars 2025.
5 « Importation de boissons alcooliques », Société des alcools du Québec, www.saq.com/fr/importation-boissons-alcooliques (consulté le 29 août 2025).
6 « Allègement réglementaire pour faciliter le commerce interprovincial – Québec modifie son règlement sur la possession et le transport de boissons alcooliques achetées ailleurs au Canada », Gouvernement du Québec, communiqué, 15 mars 2022, www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/allegement-reglementaire-pour-faciliter-le-commerce-interprovincial-quebec-modifie-son-reglement-sur-la-possession-et-le-transport-de-boissons-alcooliques-achetees-ailleurs-au-canada-38602 (consulté le 29 août 2025).
7 Protocole d’entente (PE) concernant la vente de boissons alcooliques directement aux consommateurs, Accord de libre-échange canadien, www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2025/07/PE-VDC-ALEC-Juillet-2025.pdf (consulté le 29 août 2025).
8 Martin POIRIER et Martin PETIT, Les impacts de la privatisation de la vente des produits de l’alcool en Alberta, IRIS, octobre 2003.
9 Philippe HURTEAU et Simon TREMBLAY-PEPIN, Doit-on privatiser la SAQ ?, IRIS, avril 2015.
10 Simon TREMBLAY-PEPIN et Julia POSCA, Faut-il mettre fin au monopole de la SAQ ? Comparaison du commerce des vins et des spiritueux au Québec et en Colombie-Britannique, IRIS, mai 2016.
11 STATISTIQUE CANADA, Bénéfice net des régies des alcools et recettes des administrations publiques de la vente des boissons alcoolisées (x 1 000), Tableau 10-10-0012-01, calcul de l’IRIS.
12 Produit vendu à faible prix et mis de l’avant par différentes techniques de vente dans le but d’attirer la clientèle dans un commerce et l’inciter à acheter les autres produits qui y sont offerts.
13 SAQ, Rapport annuel 1992-1993, p. 5.
14 TREMBLAY-PEPIN et POSCA, op. cit.

Photo: IRIS
Faits saillants
- Les études que l’IRIS a consacrées à la Société des alcools du Québec (SAQ) et au marché de l’alcool depuis la fondation de l’institut en 2000 tendent à montrer que l’ouverture au privé n’est pas garante d’une offre accrue et qu’elle comporte d’autres inconvénients.
- En Alberta et en Colombie-Britannique, la privatisation ou la libéralisation du marché n’ont pas été synonymes d’une réduction notable des prix des produits alcooliques.
- Dans ces deux provinces canadiennes, l’ouverture partielle ou totale du marché à des acteurs privés a surtout donné lieu à un transfert de parts de marché vers des supermarchés, des dépanneurs ou des commerces spécialisés vendant des produits d’appel. Les petits commerces proposant des produits de niche occupent une part restreinte du marché et sont concentrés dans les grands centres urbains.
- Plutôt que de miser sur une croissance des ventes dans un contexte de diminution de la consommation, la SAQ devrait améliorer la qualité et la diversité de son offre. L’histoire de la société d’État et l’évolution de ses stratégies d’affaires nous rappellent que l’entreprise publique a les moyens d’améliorer son propre modèle sans avoir à céder une partie de la vente d’alcool au privé.