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Le financement public caché de l’école privée

23 septembre 2024

  • Eve-Lyne Couturier

Selon plusieurs expert·e·s, le système scolaire québécois serait le plus inégalitaire du Canada, particulièrement au niveau secondaire. Le système à trois vitesses, caractérisé par une forte présence de l’école privée et de programmes sélectifs (et payants) à l’école publique, est en cause. Ce système incite à la ségrégation sociale et académique dans les écoles du Québec, ce qui alourdit la tâche des enseignant·e·s, limite les contacts entre des élèves plus et moins doué·e·s, et crée des castes scolaires qui reproduisent et creusent les inégalités socioéconomiques. Le financement public des écoles privées est souvent présenté comme l’une des principales sources des problèmes associés à la ségrégation scolaire qui affectent le réseau éducatif québécois. Dans cette note, nous proposons de mettre en lumière une source de financement public des écoles privées plus méconnue : le crédit d’impôt pour les organismes de bienfaisance.

Ce constat d’un système inégalitaire n’est pas nouveau. Le rapport Parent publié dans les années 1960 faisait écho aux dangers de la ségrégation socioéconomique, tout comme les États généraux de 1996. En 2016, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) publiait un rapport détaillant comment la concurrence scolaire se faisait au détriment des élèves1. La Coalition avenir Québec (CAQ) a depuis revu le mandat de cet organisme indépendant pour qu’il consacre ses analyses aux études supérieures2. En 2019, le professeur Pierre Casinius Kamanzi publiait un article sur les parcours postsecondaires différenciés des élèves selon le type de programme fréquenté3. Le constat était clair : si les diplômé·e·s du secteur privé ou des programmes sélectifs du secteur public continuent en majorité leurs études jusqu’à l’université, une minorité des finissant·e·s du public général choisissent cette voie. Le gouvernement a rejeté ces conclusions, prétendant que faire autrement insinuerait que le succès passe nécessairement par des études universitaires4. Pourtant, ce n’est pas ce que suggère l’article scientifique, qui s’attelle plutôt à montrer la tendance à l’uniformisation des résultats selon les parcours et, par extension, le manque de diversité dans les établissements scolaires induit par ce cloisonnement. Or, la diversité est un indicateur important de la qualité de l’éducation. Retirer les élèves les plus performant·e·s des classes nuit à la réussite des élèves qui se situent dans ou sous la moyenne.

On explique cette tendance à la ségrégation scolaire d’abord par la grande place qu’occupe l’école privée au Québec. Notons à ce propos que le Québec est l’endroit au Canada où la proportion d’élèves fréquentant le privé est la plus élevée pour l’éducation secondaire (tableau 1). Alors que le taux de fréquentation se situe sous la moyenne canadienne pour les niveaux préscolaire et primaire (6,1 % et 6,3 % au Québec, contre 8,5 % et 6,6 % pour l’ensemble du pays), il est plus de 2 fois plus élevé qu’ailleurs pour le niveau secondaire (20,6 % contre 9,7 %). Ailleurs au pays, ces taux sont au contraire très similaires entre les différents niveaux.

Dans cette note, nous souhaitons ajouter aux analyses sur les conséquences de l’école à trois vitesses au Québec. Pour ce faire, nous regarderons les cotes de défavorisation des écoles publiques sur les territoires de centres de services scolaires ou de municipalités avec une forte présence d’écoles privées. Sans être exhaustif, cet exercice permet d’illustrer de manière nouvelle les effets de la ségrégation scolaire.

Nous porterons aussi un regard sur le financement public des services éducatifs privés, un des éléments qui expliquent leur popularité. En effet, dès la création du réseau public québécois, un aménagement a été fait pour les écoles privées existantes (puis les nouvelles). En échange de leur adhésion aux programmes et exigences du ministère de l’Éducation, les écoles privées reçoivent 60 % des subventions par élève allouées aux écoles publiques. Elles bénéficient également d’autres subventions et programmes de soutien,ce qui porte la contribution de l’État à environ 75 % du financement par élève5. En 2023, c’est plus de 786 M$ qui ont été versés à l’enseignement privé6. Or, au-delà des programmes de financement visant directement les écoles, il existe une autre forme de contribution publique dont celles-ci peuvent aussi profiter. En effet, les écoles privées reçoivent des sommes considérables en dons, dont des millions qui sont déductibles d’impôt. Nous avons utilisé la base de données de l’Agence de revenu du Canada (ARC) afin d’analyser et de quantifier ce phénomène, et de voir comment l’école publique a adopté cette pratique, sans grand succès d’ailleurs.

Développement de l’école à trois vitesses au Québec

En réponse à la force d’attraction des écoles privées, plusieurs écoles publiques se sont mises à offrir leurs propres programmes particuliers contingentés, liés souvent à des tests de sélection et à des coûts supplémentaires. Environ le cinquième des élèves du public au primaire et au secondaire suivent un tel parcours (sports-études, arts-études, concentrations, profils, etc.)7. Les parcours particuliers sont surreprésentés au secondaire8.

C’est ce système à trois vitesses (privé, parcours particulier public et public) qui a fait dire au CSE que le système scolaire québécois est le plus inégalitaire au Canada. La transformation du système scolaire en un « marché » où les parents sont encouragés à choisir une école en fonction de leurs moyens a eu pour effet de renforcer la segmentation des élèves9.

On remonte généralement à la commission Parent pour expliquer le modèle particulier du système scolaire québécois et les valeurs qui le soutiennent. Déposé entre 1963 et 1966, le rapport de la commission demande la création d’un réseau scolaire universel, public et gratuit. Il innove en suggérant un modèle complètement différent de ce qu’il y avait alors au Québec ou ailleurs au Canada, en Amérique du Nord ou en Europe. En effet, il n’y a qu’au Québec que l’éducation primaire est suivie d’une éducation secondaire de cinq ans, puis, toujours dans le réseau public, d’une formation collégiale qui permet d’obtenir une formation technique ou préuniversitaire. Bien que certaines de ses recommandations n’aient jamais été mises en œuvre, le réseau scolaire actuel doit beaucoup aux travaux de cette commission réalisés il y a près de 60 ans. Encore aujourd’hui, de nombreux expert·e·s, observateurs et observatrices réfèrent aux conclusions de son rapport.

L’une des propositions les plus importantes du rapport Parent porte sur la création d’un réseau d’écoles secondaires « polyvalentes » afin d’offrir une formation générale de qualité à l’ensemble des jeunes de 12 à 17 ans. Pour remplacer le cours classique accessible uniquement aux élèves les plus doué·e·s et menant généralement à une formation universitaire, les commissaires suggèrent plutôt de créer de grandes écoles favorisant l’émergence d’une culture commune et la rencontre entre des enfants de milieux et d’intérêts différents. Ce chamboulement du curriculum et du parcours scolaire doit également s’appliquer à l’école privée, dont ils et elles reconnaissent le droit d’existence, tant qu’elle est subordonnée à l’autorité de l’État, à ses critères et à ses exigences. Alors que plusieurs écoles privées sont intégrées au réseau public, les commissaires ouvrent la porte à des subventions de fonctionnement pour celles qui souhaitent conserver leur indépendance, à condition que le programme public soit enseigné selon le même principe de polyvalence qui leur est cher. Le gouvernement libéral suivra cette recommandation.

Bien que des moratoires aient été mis en place entre 1976 et 1986 et depuis 2006, aucun gouvernement n’a réduit la place du privé en éducation ni les subventions publiques versées aux écoles de ce réseau. Au contraire, des études indépendantes permettent de voir que l’argent qui leur est versé représente un pourcentage plus élevé que les 60 % prévus par la loi. En effet, comparant avec des élèves similaires, ces établissements parviennent à obtenir jusqu’à 75 % de ce que les écoles publiques reçoivent10.

Quant à l’école publique, son ouverture aux mécanismes de marché remonte à la fin des années 1980 avec l’émergence de la « nouvelle gestion publique » (NGP). Issue du néolibéralisme, qui prône une déréglementation et une privatisation des services publics, la NGP consiste pour l’essentiel à importer dans le secteur public les pratiques du secteur privé. En 1986, des États généraux sur l’éducation sont convoqués. Le rapport final suggère de donner plus de « marge de manœuvre » aux écoles, ce qui leur permettrait de se spécialiser dans des domaines particuliers (arts, sciences, langues, etc.), à condition que le recrutement soit non sélectif, précise-t-il11. Derrière la marge de manœuvre accrue suggérée par les commissaires se trouve un nouveau modèle de l’école publique, enraciné dans une vision plus proche de l’entreprise privée. On encourage la création de projets par établissement, exige une plus grande reddition de comptes et suggère des objectifs axés plus sur la réussite que sur l’égalité des chances ou la diversité que devrait inclure l’éducation publique. Les premières écoles internationales (PEI, maintenant programme d’éducation intermédiaire) voient le jour l’année suivante, en 1987, et s’apparentent à des « écoles privées au sein du réseau public12 » puisque, pour les fréquenter, il est nécessaire de passer par un processus de sélection et de payer des frais pour couvrir les dépenses liées au programme particulier.

En 1998, l’Institut Fraser publie son premier palmarès des écoles secondaires. En utilisant des indicateurs tels que le taux de diplomation et les résultats aux examens ministériels, des chercheurs et chercheuses ont classé l’ensemble des écoles publiques et privées. Les écoles privées – sélectives – dominaient le classement. Parmi les écoles ayant obtenu un score de 9 / 10 ou plus dans le premier palmarès, 4 seulement, soit 13 %, sont dans le réseau public. De nombreuses critiques ont été faites à l’endroit de ce palmarès. En 2023, les écoles publiques représentaient 15 % des meilleures écoles du Québec, une proportion un peu plus élevée que 25 ans plus tôt. Notons toutefois qu’il s’agit d’écoles entièrement consacrées à l’enseignement d’un programme sélectif.

Selon l’Institut Fraser et l’Institut économique de Montréal, la publication du palmarès a comme objectif à la fois d’aider les parents à faire le meilleur choix en leur donnant plus d’informations et de briser « le monopole d’État sur l’information portant sur l’école », ce qui permet d’influencer le débat public13. Ce classement serait donc un outil pour améliorer les performances scolaires tant des élèves que des écoles elles-mêmes. Ce n’est toutefois pas ce qu’on a observé au cours des dix premières années du palmarès. Au contraire, on assiste à un élargissement du fossé entre les résultats des écoles privées et publiques14. On note également un bond important de la fréquentation des établissements scolaires privés à la suite de la publication du premier palmarès. Entre 1998 et 2008, alors que le nombre de personnes d’âge scolaire (5-16 ans) a diminué d’environ 7 %15, on constate un bond de près de 25 % de l’effectif scolaire au privé16.

De plus, on assiste à une certaine privatisation endogène de l’éducation en ce sens que l’école publique calque son fonctionnement de plus en plus sur l’école privée, particulièrement au niveau secondaire où la concurrence est féroce17. Envrion 43 % des élèves qui poursuivent leurs études secondaires au public sont inscrits dans un projet pédagogique particulier18. Aux programmes internationaux et de sport-études s’est ajouté un nombre important de programmes particuliers sélectifs pour attirer les meilleur·e·s élèves et leurs parents. Le rapport que le ministère de l’Éducation publie sur ces programmes en 2020 révèle que la majorité de ces programmes sont assortis de frais supplémentaires, exigés soit par des partenaires (par exemple, les fédérations sportives dans le cas du sport-études), soit par l’école elle-même. Dans ce dernier cas, les frais peuvent s’élever à 7 000 $ par année, ce qui est supérieur à ce que facturent plusieurs écoles privées19. À la suite de ce rapport, le gouvernement a annoncé qu’il financerait jusqu’à 200 $ de ces frais directement aux écoles, permettant de garantir la « gratuit[é] pour 60 % des participants20 ». Ce montant a été ajusté à 300 $ depuis21, mais aucun bilan officielle de cette mesure n’est disponible à ce jour. Selon les données du ministère de l’Éducation22, 42 % des élèves inscrits à des programmes pédagogiques particuliers en 2023-2024 avaient des frais plus élevé que 300 $, pouvant même atteindre plus de 30 000 $ dans certains programmes de sports-études.

Le réseau scolaire d’aujourd’hui est bien différent de celui analysé par la commission Parent, mais certains constats ont des échos dans le présent. Par exemple, l’une des failles du système que les commissaires souhaitent corriger est la stratification des élèves selon leur potentiel académique et social dans des écoles ou des parcours distincts. Ils et elles dénoncent le cloisonnement des « sections », c’est-à-dire des différents parcours (cours classique, enseignement technique, formation artistique, etc.). Selon eux et elles, bien qu’il soit nécessaire d’offrir des cours de différents niveaux pour accommoder les compétences des élèves (cours régulier, ralenti ou d’enrichissement, par exemple23), il est impératif de mettre en commun ces jeunes. Les commissaires considèrent en effet qu’il devrait être possible pour chaque élève d’avoir un horaire à sa mesure, avec certains cours enrichis et d’autres ralentis, en plus des classes générales. En d’autres mots, ils ne recommandent pas la création de filières distinctes pour séparer entièrement les élèves forts des faibles, mais plutôt de les laisser se côtoyer.

Pourtant, près de 60 ans plus tard, on pousse encore de jeunes préadolescent·e·s et adolescent·e·s à se spécialiser sans leur laisser de la latitude pour explorer d’autres avenues. D’un côté, la fréquentation des écoles privées par un nombre important de jeunes nuit à la mixité des établissements publics et, de l’autre, les programmes sélectifs au public cloisonnent souvent les groupes dans des cohortes séparées, soit dans des établissements différents, soit dans des parcours spécifiques. Cette absence de mixité et de diversité peut paraître attrayante pour les élèves performant·e·s ou leurs parents. Cependant, elle a globalement pour effet de diminuer la qualité de l’enseignement dans le système scolaire pour les enfants « moyens » ou aux prises avec des difficultés, sans améliorer les résultats des meilleur·e·s élèves.

Inégalités scolaires et défavorisation

Il existe au Québec 2 384 écoles publiques, dont 24,9 % offrent une formation secondaire24. À cela s’ajoutent 312 écoles privées qui complètent le réseau scolaire, dont une majorité de ces établissements (61,2 %) offrent une formation secondaire. Le ministère de ­l’Éducation calcule des indices de défavorisation pour chaque école publique. Ceux-ci sont obtenus au moyen de deux indicateurs distincts, soit l’indice de milieu socioéconomique (IMSE25) et le seuil de faible revenu (SFR26). Les écoles sont classées par décile en fonction du niveau de défavorisation révélé par ces indicateurs : plus la cote est élevée, plus le milieu est considéré comme défavorisé. Les écoles qui accueillent des élèves provenant des milieux moins avantagés sur le plan socioéconomique reçoivent des ressources supplémentaires et ont la possibilité de réduire la taille des classes. Ces mesures sont accordées en reconnaissance des désavantages liés aux conditions sociales et économiques des familles. Cela dit, les cotes ne concernent pas directement les élèves, mais plutôt l’endroit où ils et elles habitent. À partir des données de Statistique Canada, le ministère de l’Éducation découpe le territoire du Québec en 3 680 unités, qu’il utilise ensuite pour faire ses calculs. Cela veut dire que certaines écoles peuvent avoir un IMSE sous-estimé ou surestimé en raison du taux de fréquentation des écoles privées ou des écoles publiques offrant des programmes sélectifs. Par exemple, une école pourrait conserver une cote de défavorisation élevée même si elle rassemble toutes les familles les plus scolarisées ou déclarant les plus hauts revenus d’un quartier globalement défavorisé ; ou, au contraire, elle pourrait voir sa cote diminuer en raison de l’attrait d’un seul programme au sein de son établissement. C’est le cas notamment des écoles dites alternatives ou des écoles avec des programmes sélectifs27.

Précisons que les cotes de défavorisation ne permettent pas de déterminer la qualité des écoles ni la performance des élèves, mais bien de déterminer quelles écoles ont besoin de soutien supplémentaire pour répondre aux besoins de leur population.

Comme nous l’avons vu plus haut, le taux de fréquentation de l’école privée au secondaire du Québec, à plus de 20 %, est le plus élevé de l’ensemble du Canada. Les pourcentages sont encore plus hauts dans certaines régions du Québec. À Montréal, 34 % des élèves du secondaire fréquentent l’école privée, une proportion atteignant 26 % dans la Capitale-Nationale (BDSO, 2022). Si on trie les données par centre de services scolaire, on constate qu’au moins le tiers des élèves fréquente le privé dans cinq d’entre eux, avec les plus hauts taux pour le CSS des Découvreurs, dans la région de la Capitale-Nationale (41,5 %), et pour celui de Marguerite-Bourgeoys, à Montréal (39,4 %)28.

Pour mieux comprendre l’effet de l’écrémage sur les cotes de défavorisation, nous avons calculé la cote globale pour l’ensemble des écoles primaires des cinq CSS où plus de 30 % des élèves fréquentent l’école privée et l’avons comparée à la cote pour l’ensemble des écoles secondaires publiques des mêmes CSS, ce qui est illustré au graphique 1. Comme les taux de départ sont différents, nous les avons convertis sur une base 100 afin de mettre en lumière la variation entre les deux niveaux scolaires. En théorie, les écoles primaires et secondaires répondent aux besoins de la même population, donc les indices devraient rester relativement similaires. C’est ce qu’on voit avec le CSS des Découvreurs, où l’on observe une légère diminution du niveau de faible revenu entre les écoles primaires et secondaires. Toutefois, dans les quatre autres centres de services, les différences sont beaucoup plus importantes et pointent dans une même direction : les écoles secondaires enseignent à une population relativement plus défavorisée que les écoles primaires du même territoire. La ségrégation scolaire provoquée par la présence d’écoles privées à proximité et la surreprésentation des élèves plus défavorisés dans les écoles publiques qui en découle n’est pas étrangère à cela.

Penchons-nous maintenant sur le cas de la ville de Westmount, où le revenu moyen d’un ménage de 2 personnes ou plus est de 370 640 $ (comparé à 123 500 $ pour la région de recensement de Montréal). On compte quatre écoles secondaires privées et trois publiques sur son territoire. Parmi ces dernières, une a le mandat suprarégional d’accueillir les élèves anglophones sourds ou aveugles de l’ensemble de la province, et une autre offre le programme international et ne se définit pas comme une école de quartier, puisqu’elle accepte des élèves provenant de tout le territoire du CSS de Montréal. En d’autres mots, seule une école secondaire publique offre un programme général et accepte tous et toutes les élèves résidant sur le territoire de Westmount qui s’y inscrivent. Malgré la richesse relative des familles de la ville, le niveau de défavorisation de sa seule école publique est de 10, plus du quart (28,8 %) de ses élèves étant jugés à faible revenu. De plus, cette unique école secondaire fait partie de la Commission scolaire English Montreal, ce qui veut dire que tous et toutes les élèves qui ne sont pas admissibles à l’enseignement en anglais29 et n’ont pas été accepté·e·s dans les écoles sélectives privées ou publiques doivent se rendre à l’extérieur de leur ville pour poursuivre leurs études. Cet exemple permet de voir comment la ségrégation scolaire tend à écrémer les élèves les plus favorisé·e·s et à regrouper celles et ceux qui n’ont pas accès aux mêmes avantages, au détriment d’une mixité socioéconomique bénéfique à l’apprentissage et à la mobilité sociale. Si l’exemple de Westmount est parlant, il est intéressant de noter que, dans l’ensemble du CSS de Montréal, seules 2 écoles (primaires) ont une cote de moins de 7 pour l’indice SFR et que toutes les écoles secondaires sont dans le 9e ou 10e décile.

Les positionnements sont légèrement meilleurs pour l’IMSE, avec 22 écoles primaires sur 128 dans la première moitié du classement, et 2 écoles secondaires sur 31 dans le 5e décile. Cette différence entre le classement des écoles primaires et des écoles secondaires ne serait pas possible sans un certain écrémage socioéconomique des élèves du secondaire provoqué par la forte présence d’écoles privées sur le territoire du CSS.

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Les indices de défavorisation sont utilisés essentiellement par le ministère de l’Éducation à des fins d’allocation de ressources. Les écoles avec les cotes les plus élevées peuvent bénéficier notamment d’un plus grand nombre de professionnel·le·s, de classes moins nombreuses, ou encore d’un budget plus élevé pour financer des programmes alimentaires. Toutefois, en comparant ces indices entre les différents niveaux (primaire et secondaire), il est également possible de voir certains des effets de la ségrégation scolaire sur un territoire. Lorsque l’école privée attire et retient les élèves les plus favorisé·e·s, la mixité socioéconomique des établissements scolaires s’en trouve réduite. Le travail de répartition des ressources devient alors plus ardu puisque la composition des cohortes scolaires d’un même territoire change entre le primaire et le secondaire.

Organismes de bienfaisance et financement scolaire

Nous nous pencherons maintenant sur une tendance peu documentée dans le secteur de l’éducation, soit la présence de fondations privées dont la mission est de financer les écoles privées ou publiques du réseau scolaire québécois. Au Canada, les organismes de bienfaisance doivent s’enregistrer auprès de l’Agence de revenu du Canada (ARC) afin de pouvoir recevoir des dons et produire des reçus officiels. Cela permet d’encourager la charité à travers des outils fiscaux. En analysant les montants reçus par les organismes de bienfaisance liés à des écoles, nous sommes à même de constater que non seulement les écoles publiques copient de plus en plus le modèle privé en sélectionnant leurs élèves et en les séparant selon leurs intérêts et aptitudes, mais elles reprennent également l’appel au financement privé à travers la mise en place de fondations.

Tant Québec qu’Ottawa offrent des crédits d’impôt pour les dons faits à des organismes de bienfaisance enregistrés. Ces crédits d’impôt sont non remboursables, c’est-à-dire qu’il faut payer de l’impôt pour y avoir droit. Avec ces crédits, il est possible de réduire l’impôt à payer d’un montant équivalent à 15 à 33 % d’un don admissible au fédéral, et d’un montant équivalent à 20 à 25,75 % au Québec, tant que les sommes représentent un maximum de 75 % du revenu brut. Par exemple, une personne gagnant 100 000 $ peut réclamer un crédit d’impôt pour des dons totalisant un maximum de 75 000 $. Notons que le pourcentage du crédit est plus élevé pour les personnes qui sont plus fortunées. Par exemple, en 2023, une personne avec un revenu de plus de 235 675 $ pouvait recevoir un crédit fédéral de 33 % sur ses dons excédants 200 $ alors que ce taux était de 29 % pour un contribuable avec un revenu plus modeste30.

Les agences de revenu publient pour chaque année, avec un certain délai, le coût des mesures fiscales ainsi que le nombre de personnes qui les utilisent. En 2020, soit les statistiques fiscales disponibles les plus récentes, le crédit a représenté une dépense fiscale de 3 milliards de dollars au fédéral et de 302 millions de dollars pour le gouvernement du Québec31. Il n’y a malheureusement pas moyen d’obtenir les données par catégorie d’organismes de bienfaisance, ou par ordre de grandeur de dons, mais les données disponibles montrent clairement que ce sont les plus riches qui en bénéficient le plus. Si environ le quart des contribuables québécois a réclamé ce crédit, plus de la moitié des individus ayant déclaré des revenus de plus de 200 millions de dollars ont réduit leur contribution grâce à leurs dons (tableau 2). Ce sont ces individus, qui représentent 5 % des contribuables ayant fait des dons admissibles, qui récoltent 45 % des bénéfices de ce crédit.

Les dons faits aux écoles sont financés en partie par le gouvernement qui accepte ainsi de réduire la facture des personnes – généralement fortunées – qui choisissent de verser des contributions aux organismes de bienfaisance scolaires. Comme nous le verrons plus bas, il s’agit de sommes considérables qui, malgré une croissance des fondations liées aux écoles publiques, profitent essentiellement au réseau privé.

Après une brève présentation de la méthodologie, nous regarderons de plus près les résultats de notre analyse des données sur les organismes de bienfaisance liés à des écoles au Québec.

Méthodologie

Chaque année, les organismes doivent remplir un rapport pour justifier leurs activités, leurs revenus et leurs dépenses auprès de l’ARC, qui rend ces données disponibles sur son site web. La prochaine section est basée sur ces données. Au moyen de l’outil de recherche web de l’ARC, nous avons circonscrit notre recherche aux organismes de bienfaisance situés au Québec et ayant comme mission le soutien à l’éducation par le biais de transferts aux écoles ou enregistrés comme établissements d’enseignement. Nous n'avons retenu que les organismes dont l’objectif principal était le soutien à une école ou à un CSS particulier plutôt que les élèves d’une région ou répondant à certaines caractéristiques. Ayant remarqué certaines absences, nous avons également recherché les mots « école », « collège », « académie » et « scolaire », sans égard pour les mission des organismes, et avons vérifié que nous avions l’information pour toutes les écoles privées enregistrées. Cela nous a permis de constituer une base de données de 501 fondations et organismes de bienfaisance, liés à 411 établissements scolaires uniques. Bien que nous ayons tenté de recenser tous les organismes répondant aux critères, il est possible qu’il en manque quelques-uns qui auraient été mal classés ou dont le nom est trop éloigné de celui de l’établissement scolaire associé. La grande majorité des organismes sont liés directement aux écoles ou aux CSS, mais certains semblent émaner d’une initiative privée (par exemple, la Fondation Paul Tex Lecor de l’école des Hauts-Bois).

Nous avons retranscrit, entre autres, l’année de constitution, les sommes reçues dans la dernière année pour lesquelles des reçus officiels ont été remis et les dépenses liées aux collectes de fonds ou à la promotion et à la publicité. Dans la mesure du possible, nous avons regroupé les données pour un même établissement lorsque plus d’un organisme avait comme vocation de le financer. Dans la grande majorité des cas, ces doublons concernaient les écoles privées qui ont à la fois un organisme pour gérer l’école elle-même et une fondation qui a comme mission de recueillir des fonds. Cela étant dit, les deux peuvent recevoir des dons individuels. Par exemple, l’école Loyola High School a reçu 943 592 $ directement à l’école et sa fondation, 759 036 $ en dons. Aux fins de cette note socioéconomique, nous additionnerons ces sommes et considérerons que l’école a récolté 1 702 628 $ en dons. Ce sera le cas pour chaque doublon, au public comme au privé.

Par ailleurs, les données recensées concernent les organismes qui existaient encore en 2023. Il est possible que certaines écoles se soient brièvement dotées d’un numéro de bienfaisance, mais qu’elles l’aient abandonné au profit d’autres stratégies. De plus, les données publiées par l’ARC n’ont pas été vérifiées et peuvent contenir des erreurs ou des omissions. Par exemple, ce ne sont pas toutes les fondations qui ont rendu disponibles les montants de leurs dépenses ou de leurs actifs. Dans certains cas, les données pour l’année 2023 n’étaient pas encore disponibles, auquel cas nous avons utilisé les dernières données pour 2022. Finalement, ces données présentent le portrait d’une année seulement. Il est possible, comme on le verra plus bas, que certains dons aient été exceptionnels.

Évolution des fondations scolaires

La compilation des données nous a d’abord permis d’analyser la répartition des organismes par type d’organismes. Le graphique 4 permet de voir l’augmentation du nombre d’organismes de charité liés à des écoles en fonction de l’année d’enregistrement. Afin d’illustrer l’évolution de cette stratégie, chaque fondation est représentée dans les données, même lorsque plusieurs d’entre elles concernent un même établissement. Nous avons séparé les écoles par réseau (public ou privé) et mis les centres de services et commissions scolaires dans une catégorie distincte (comme elles sont liées à un ensemble d’écoles plutôt qu’à une seule).

Le graphique 4 rend évident que l’utilisation des organismes de bienfaisance pour financer l’éducation n’est pas nouvelle, mais que cette stratégie a d’abord été utilisée par l’école privée. Dès 1967, alors que le réseau scolaire public, universel et gratuit en est à ses balbutiements, 24 écoles privées ont déjà leur organisme de charité. Ce nombre augmente légèrement jusqu’en 1976, année de l’entrée en vigueur d’un moratoire sur l’ouverture de nouveaux établissements privés, qui s’est maintenu jusqu’en 198632. Cela semble avoir accéléré l’adoption du modèle de bienfaisance par les écoles existantes, car 33 écoles s’enregistrent comme telles en 1977. Les années suivantes, ce nombre croît en moyenne d’environ cinq organismes de charité par an. En 1987, lorsque le moratoire est levé, le rythme reprend à la hausse, avec une moyenne annuelle de plus de huit nouveaux organismes pendant les sept années suivantes. En 2023, 267 organismes distincts sont recensés dans le réseau privé.

De nombreux centres de services scolaires (anciennement « commissions scolaires ») ont également leur fondation. Le graphique 4 permet de voir que c’est en 1997 que la majorité des CSS ont enregistré leur organisme de bienfaisance. C’est aussi l’année de la création de la plupart d’entre eux. En effet, avant 1997, les écoles étaient gérées par des commissions scolaires confessionnelles. Lors de leur transformation en commissions scolaires linguistiques, le territoire et le nom de certaines d’entre elles ont été modifiés. Est-ce que ces changements les ont incitées à s’enregistrer pour recevoir des dons ? Est-ce qu’il ne s’agissait que d’un réaménagement pour s’adapter au nouveau modèle de commission scolaire ? Les données disponibles ne permettent pas de trancher. On note toutefois que la transformation des commissions scolaires en centres de services, en 2020, n’a pas eu d’effet similaire : un seul CSS s’est ajouté depuis à la liste de ceux qui sont rattachés à un organisme de charité. Il faut dire que, contrairement à la dernière réforme, les territoires et les écoles concernés sont restés les mêmes.

Dans le réseau public, il faut attendre 1970 avant d’avoir un premier organisme enregistré. Il s’agit du Richmond Regional High School Scholarship & Loan Fund Association. Dix ans plus tard, en 1980, seules trois écoles ont adopté ce modèle et ce n’est qu’à partir de 1984 que l’on observe une tendance marquée à la hausse. Un peu moins de trois organismes s’ajoutent chaque année jusqu’en 1995, où l’on assiste à une augmentation considérable. Entre 1995 et 2008, la hausse annuelle moyenne est d’environ huit écoles. Deux éléments peuvent expliquer cette accélération. D’une part, les États généraux ont ouvert la porte à plus de projets particuliers. Vient ensuite la publication du palmarès des écoles, en 1998, qui présente celles-ci comme des produits dont la qualité peut être évaluée et comparée, et qui invite les parents à choisir la meilleure option pour leurs enfants. Cette création d’un marché scolaire pousse les écoles publiques non seulement à se distinguer, mais également à se faire connaître. Cette concurrence induite par le réseau scolaire privé vient avec des coûts, qui sont parfois transférés aux parents, soit sous forme de frais de scolarité pour des projets particuliers ou de demandes de dons pour couvrir les dépenses supplémentaires.

On voit d’ailleurs que le recours à des fondations privées pour financer l’école publique est relativement récent, surtout en comparaison avec la longue tradition du côté des écoles privées. Toutefois, bien que cette stratégie ait gagné en popularité à la fin des années 1990 et dans les années 2000, elle demeure marginale compte tenu du nombre total d’écoles publiques. Après 2005, le rythme ralentit. En 2023, aucune nouvelle fondation scolaire ne s’est ajoutée à la liste, qui en compte alors 185 dans le réseau public.

Il existe actuellement 60 centres de services scolaires (CSS) en plus de 9 commissions scolaires (CS) anglophones et de trois CS à statut particulier (Crie, Kativik et du Littoral). Un peu moins de la moitié des CSS et CS (31) sont constitués en organismes de bienfaisance, et ce sont ces organismes qui reçoivent les sommes versées par le gouvernement pour financer les services scolaires de leur territoire. Les dons faits à ces organismes sont généralement destinés à des écoles particulières, en échange de frais qui servent à payer « le traitement administratif, l’émission du reçu d’impôt [sic] et la reddition de compte auprès du donateur33 ». En moyenne, les CSS reçoivent chacun 100 000 $ en dons. Toutefois, une trentaine de CSS et CS ne sont pas constitués en organismes de bienfaisance et n’ont pas non plus de fondation. Ici aussi, on voit une grande différence entre les organismes, dont les effectifs varient énormément. Alors que le CSS de la Baie-James répond aux besoins d’un peu plus de 1 000 élèves, celui de Montréal a un bassin de près de 75 000 jeunes. Il n’est donc pas surprenant que ce dernier reçoive le plus d’argent (703 223 $). Bien qu’un nombre croissant d’écoles publiques choisissent de mettre en place un organisme de charité pour soutenir leurs efforts de financement de manière autonome, il n’en demeure pas moins que celles-ci sont encore minoritaires. Comme on peut le voir au tableau 3, seuls 7,8 % des écoles publiques ont leur propre organisme de charité. Même si l’on tient compte des fondations liées aux CSS et CS, qui, comme on le verra plus loin, reçoivent des dons pour les écoles de leur territoire, le phénomène est loin d’être aussi répandu que dans le réseau privé, où plus de 80 % des écoles utilisent ce moyen de financement. De plus, plus du quart des écoles publiques ayant des organismes de bienfaisance n’ont fait état d’aucun don en 2023, une proportion plus de deux fois supérieure à celle qu’on observe au privé. Nous verrons aussi que la hauteur des dons n’est pas comparable. Le succès de la stratégie d’émulation est plus que mitigé en ce qui concerne le financement des écoles publiques. Le rôle des CSS dans la distribution des dons demeure donc central dans un modèle de financement qui dépend de la générosité de la communauté.

Ainsi, la majorité des organismes de bienfaisance liés au système scolaire québécois finance les écoles privées, et une très grande majorité de ces écoles se sont dotées d’une ou de plusieurs fondations. Québec recense 312 écoles privées aux niveaux primaire et secondaire, dont la majorité (169) était agréée en 2021, ce qui signifie qu’elles reçoivent des subventions publiques. Quelques-uns de ces établissements offrent une formation primaire et secondaire. Il faut noter, cependant, qu’il est possible que ceux-ci reçoivent des contributions gouvernementales pour seulement un des deux niveaux. En effet, certaines écoles offrent un programme primaire non subventionné et un programme secondaire subventionné ou le contraire. Les écoles non agréées correspondent généralement à l’un des trois cas suivants :

  1. des écoles qui se veulent prestigieuses et qui préfèrent conserver leur indépendance ;
  2. des écoles qui profitent de leur indépendance soit pour offrir de l’enseignement où le français n’est pas prépondérant sans demander un certificat d’admissibilité, soit pour offrir une éducation religieuse ;
  3. de jeunes écoles – le gouvernement n’a accepté de subventionner aucune nouvelle école depuis plus de 15 ans34.

C’est par l’intermédiaire de leur organisme de charité que la plupart des écoles privées agréées (c’est le cas de 141 d’entre elles) touchent les subventions publiques, mais rien ne les y oblige. Notre recension ne permet donc pas de distinguer les écoles privées agréées de celles qui ne le sont pas. Puisqu’il est impossible de séparer les dons sur la base des agréments, nous traitons les écoles privées ensemble, sans distinction quant à leur agrément. Notons toutefois que la grande majorité des écoles remettant des reçus officiels reçoivent également des subventions de l’État.

Notre analyse permet de dénombrer 266 organismes distincts récoltant des fonds pour financer des écoles hors du système public, liés à 181 écoles différentes. C’est donc dire que 85 % des écoles privées (subventionnées ou non) sont dotées de tels organismes. On notera toutefois que 131 de ces écoles reçoivent plus de 1 million de dollars du gouvernement, ce qui permet d’estimer que la grande majorité des écoles affiliées à des organismes de charité sont agréées et reçoivent des subventions publiques.

Dons aux écoles : un fossé public-privé

À travers les données recueillies par l’ARC, il est possible de comparer l’argent reçu en dons par les écoles des deux réseaux. Au graphique 5, on peut voir que les fondations représentant des écoles privées ont reçu environ 65 ­millions de dollars en 2023, une somme considérablement plus élevée que celle versée aux écoles publiques (1,5 million de dollars). Même en ajoutant l’argent donné aux CSS et CS (4,2 millions de dollars), le rapport demeure largement à l’avantage des écoles privées.

Le graphique 6 permet de voir ce que cela représente en moyenne par école. Nous avons également distingué les écoles privées selon leur caractère confessionnel ou non. En moyenne, les écoles publiques reçoivent environ 10 000 $ en dons chacune. Cela dit, comme nous l’avons mentionné plus haut, le quart des organismes liés à ce type d’établissement n’a remis aucun reçu officiel en 2023. Si on prend seulement les fondations qui ont reçu du financement privé de cette sorte, la moyenne augmente à 11 000 $, ce qui reste largement sous la moyenne des dons reçus par les écoles privées qui se situe à près de 65 000 $.

Six écoles publiques ont reçu plus de 50 000 $ en dons en une année. Ce sont majoritairement des écoles secondaires auxquelles s’ajoute une école primaire de la ville de Mont-Royal. L’école secondaire anglophone de Cowansville, Massey-Vanier High School, domine le classement avec plus de 150 000 $ collectés à travers 2 organismes distincts. Suit ensuite une école secondaire de Saint-Marc-des-Carrières avec près de 125 000 $ de dons. Si l’école de Cowansville reçoit annuellement des sommes similaires (voire beaucoup plus importantes), celle de Saint-Marc-des-Carrières est plutôt exceptionnelle. Dans les 4 dernières années, cette école n’a reçu aucun don lors de 2 d’entre elles, et les 2 autres indiquent des montants d’environ 10 000 $. La somme record pour 2023 correspondrait à la fin d’une campagne de sociofinancement visant la rénovation de leurs installations sportives35. Les entreprises Alcoa, Promutuel Assurances et Desjardins ont également versé des contributions dans le cadre de cette collecte de fonds. En effet, le recours aux organismes de bienfaisance comme outil de financement s’accompagne bien souvent de partenariats avec des entreprises privées qui y trouvent un espace de rayonnement en plus de profiter de déductions fiscales avantageuses.

Du côté des écoles privées, le portrait est différent. Non seulement elles sont plus nombreuses en proportion à recevoir des dons, mais les sommes reçues sont beaucoup plus importantes. Plus d’une vingtaine d'écoles, dont une majorité sont des établissements confessionnels juifs, musulmans ou catholiques, ont remis des reçus officiels pour des montants dépassant le million de dollars.

Il n’existe pas de répertoire des écoles privées à vocation religieuse. Certaines s’affichent clairement comme telles, alors que d’autres se font beaucoup plus discrètes. En faisant les recoupements nécessaires, nous en sommes arrivés à 66 organismes de bienfaisance rattachés à des écoles privées confessionnelles. Cette estimation se veut prudente, puisqu’une recension exhaustive n’a pas pu être effectuée. En plus de recevoir plus de 207 millions de dollars en subventions gouvernementales à travers leurs organismes de bienfaisance, ces écoles ont reçu 44,7 millions de dollars en dons donnant droit à des crédits d’impôt. Cette somme est sans commune mesure avec ce que les écoles publiques (1,5 million de dollars) ou les centres de services scolaires (4,2 millions de dollars) ont reçu. Pourtant, elles représentent plus d’écoles et doivent soutenir un effectif beaucoup plus important.

En tout, ce sont environ 65 millions de dollars de dons donnant droit à des crédits fiscaux que les écoles privées ont reçus. On ne peut distinguer les dons des individus de ceux des entreprises ni connaître le revenu des donateurs et donatrices pour déterminer le coût fiscal réel de ces crédits, mais il s’agit néanmoins de sommes importantes qui ne bénéficient pas au réseau public. Si l’ensemble de ces dons avaient été fait par des individus et qu’ils avaient utilisé leur reçu officiel pour déduire leur facture fiscale à l’aide du crédit d’impôt, le coût serait entre 12 et 15 millions de dollars pour l’État québécois et 10 et 21 millons de dollars au fédéral. Au total, les dons aux écoles privées coûte entre 22 et 36 millions de dollars aux contribuables du Québec.

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En plus de fournir des informations sur le nombre de fondations liées à des écoles ainsi que le montant des dons qu’elles ont reçus, les données de l’ARC permettent de voir les dépenses effectuées par les organismes de bienfaisance en publicité ou pour soutenir des collectes de fonds. Bien entendu, toutes les écoles publiques ne sont pas enregistrées comme des organismes de bienfaisance, et les budgets qui sont associés à leurs fondations ne représentent pas l’ensemble de leurs dépenses. Donc, on ne peut obtenir qu’un portrait partiel des dépenses en publicité des écoles sur la base des données de l’ARC. Au total, peu d’écoles publiques ont déclaré des dépenses de collectes de fonds (seulement 30) ou de publicité (seulement 15). En tout, environ 520 000 $ ont été investis pour faire connaître les écoles et leurs programmes ou promouvoir les campagnes de collectes de fonds. Chacune des écoles concernées a dépensé en moyenne 14 000 $, mais n’a collecté qu’environ 12 000 $ en dons attestés par des reçus officiels.

Alors que les CSS ont comme mission de scolariser l’ensemble des élèves de leur territoire, réparti·e·s dans les différentes écoles en fonction de leur lieu de résidence, nous verrons maintenant que la concurrence que se livrent les écoles pour attirer les élèves entraîne un coût sous forme de dépenses publicitaires. Au total, 28 CSS ont dépensé plus de 5 millions de dollars en publicité et en promotion à travers leurs organismes de bienfaisance. Cela représente plus d’argent que ce que ces dernières ont recueilli en dons pour lesquels des reçus fiscaux ont été remis (3,6 millions de dollars). À cela, on peut ajouter 15,5 millions de dollars investis en collecte de fonds par 11 CSS. Là encore, le succès n’est pas passé par les dons avec reçu pour fins d’impôt, car seulement 1,9 million de dollars ont été récoltés. Cependant, les dons sans reçus pour fins d’impôt sont beaucoup plus importants (28,2 M$). Ces montants proviennent, entre autres, de commandites pour lesquelles les entreprises privées reçoivent en échange de la visibilité.

Le graphique 7 permet de voir la répartition des CSS en fonction du niveau de dépenses dans ces catégories. Les deux tiers des organismes dépensent plus de 100 000 $ pour récolter plus de dons ou se faire connaître.

Dans un réseau scolaire marchandisé, la concurrence pour attirer les meilleur·e·s élèves client·e·s est forte. Il en va de même pour le financement des programmes particuliers ou de toutes autres initiatives lancées par les écoles pour se distinguer, d’autant plus que le financement public n’est pas à la hauteur des besoins. La création de fondations spécifiques pour les écoles publiques ainsi que les budgets de promotion et de collectes de fonds participent à cette dynamique. Toutefois, bien que l’on observe une augmentation du nombre d’organismes de bienfaisance dans le réseau scolaire public, c’est au privé que l’on voit le plus de ces organismes et où les dons sont les plus importants. Ces sommes ne permettent pas de soutenir les élèves là où les besoins sont les plus pressants ni dans les chantiers les plus prioritaires. Au contraire, elles permettent de financer des écoles qui disposent généralement de plus de moyens et souhaitent attirer et retenir des élèves déjà privilégiés.

Conclusion

L’école publique devait permettre une plus grande égalité des chances en offrant une éducation de qualité à tous et toutes, sans égard aux moyens financiers. Elle devait également permettre à des jeunes issu·e·s de milieux divers de se côtoyer et d’apprendre au contact de la diversité. Cet idéal se réalise de moins en moins si on en croit les statistiques de fréquentation des écoles privées et des projets particuliers au public. En plus de séparer les élèves selon leurs origines socioéconomiques, elle les classe en fonction de leurs intérêts et aptitudes et limite les interactions entre ceux et celles qui ont des réalités ou des besoins différents. S’il est louable de vouloir accompagner chacun·e selon ses particularités, la diversité est un indicateur important de qualité dans les parcours scolaires.

Face au manque de données sur l’évolution des parcours particuliers, de leurs coûts et de leurs conséquences ; à l’absence de politiques publiques visant à protéger la diversité dans les écoles et à reconnaître leur rôle démocratique ; et au maintien d’un financement public aux écoles privées qui nuit à une scolarisation misant sur l’égalité des chances, il est impératif de poursuivre la recherche sur l’école à trois vitesses et les moyens d’éviter la dérive du système d’éducation.

Au-delà des problèmes liés à la réussite scolaire, à la diplomation et à l’appartenance à une culture commune, nous avons vu dans cette note que la ségrégation scolaire opère aussi un clivage en ce qui a trait aux moyens financiers dont disposent les écoles de chaque réseau. Depuis l’émergence des écoles internationales, puis des projets particuliers de toutes sortes, le nombre d’écoles dans le système public qui possèdent leur propre fondation ou leur propre organisme de bienfaisance a augmenté. Bien qu’il demeure marginal dans le réseau public, l’adoption de ce modèle témoigne autant du sous-financement du réseau, qui dépend de plus en plus de la charité pour offrir des programmes de qualité, que d’un recours accru à une stratégie qui favorise ceux et celles qui ont des moyens plutôt que ceux et celles qui ont des besoins. De l’autre côté, les écoles privées qui utilisent ce mode de fonctionnement depuis des décennies tirent encore leur épingle du jeu. D’une part, elles profitent de familles jouissant de revenus considérables qui peuvent se permettre à la fois de payer d’importants frais de scolarité tout en contribuant volontairement à leur organisme de charité à hauteur de plusieurs dizaines de millions de dollars ; d’autre part, elles obtiennent de l’État un double financement, d’abord à travers les subventions publiques, puis, indirectement, grâce aux crédits d’impôt pour dons de charité avec lesquels les donateurs et les donatrices réduisent leur contribution fiscale.

La ségrégation scolaire induite par l’école à trois vitesses réduit les ressources disponibles pour les écoles publiques et les parcours généraux. Elle retire des écoles de quartier les élèves les plus privilégié·e·s, tant sur le plan académique que socioéconomique, ce qui change la composition des classes et réduit les possibilités d’apprentissage par la diversité. Les cotes de défavorisation gagneraient à être utilisées pour mieux comprendre l’effet de cet écrémage. D’ailleurs, une analyse plus fine qui permettrait de connaître le statut socioéconomique réel des classes plutôt que celui induit par le voisinage de chaque élève serait éclairante. Bien que l’excellence soit un objectif noble pour l’école publique, essayer de l’atteindre au détriment de l’égalité des chances risque de handicaper les générations futures en négligeant des principes essentiels dans une société démocratique.


1 Hélène GAUDREAU, Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016 : remettre le cap sur l’équité, Québec, Conseil supérieur de l’éducation, 2016, p. 25.

2 Hélène MARCEAU, « La réforme Drainville : le ministre de l’Éducation s’octroie d’importants pouvoirs », Radio-Canada.ca, 4 mai 2023.

3 Pierre Casinius KAMANZI, « Marché scolaire et reproduction des inégalités sociales au Québec », Revue des sciences de l’éducation, volume 45, numéro 3, 2019, p. 140-165.

4 Marie-Michèle SIOUI, « Drainville défend bec et ongles sa réforme de l’éducation », Le Devoir, 16 mai 2023.

5 Stéphane VIGNEAULT, « Déségrégation scolaire : l’étendue de la tâche », Nouveaux Cahiers du socialisme, 26, 2021, p. 175.

6 MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, Éducation préscolaire et enseignement primaire et secondaire – Guide général du financement édition 2023-2024, p. 20.

7 DIRECTION DES ENCADREMENTS PÉDAGOGIQUES ET SCOLAIRES, Collecte de données sur l’inventaire des projets pédagogiques particuliers, ministère de l’Éducation, 2020, p. 11.

8 Hélène GAUDREAU, Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016 , op. cit., p. 25.

9 Ibid., p. 40.

10 ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Rapport du comité d’experts sur le financement, l’administration, la gestion et la gouvernance des commissions scolaires, 2014, p. 128.

11 États généraux 1986, p. 27.

12 Claude LESSARD, « Privé / public : une différence qui s’estompe », Nouveaux Cahiers du socialisme, 26, 2021, p. 37-46.

13 Ibid., p. 12.

14  Ibid., p. 20.

15 STATISTIQUE CANADA, Tableau17-10-0005-01 – Estimations de la population au 1er juillet, par âge et genre, calculs de l’IRIS.

16  Jean-Étienne BERGERON, Écoles privées, financement public et justice en éducation : herméneutique d’un débat multidimensionnel au Québec, Université de Montréal, 2009, p. 7.

17 MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, Étude des crédits 2024-2025 – Réponses aux demandes de renseignements particuliers du deuxième groupe d’opposition et du troisième groupe d’opposition, 2RP_EDUC-02 Annexe, 24 avril 2024.

18 Claude LESSARD, op. cit., p. 44.

19 Ibid., p. 19.

20 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, « Investissement de 29,5 M$ afin de rehausser l'accès aux programmes pédagogiques particuliers pour les jeunes du secondaire », 6 juin 2022.

21 MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, Étude des crédits 2024-2025 – Réponses aux demandes de renseignements particuliers du deuxième groupe d’opposition et du troisième groupe d’opposition, 3RP_EDUC-50, 24 avril 2024.

22 Geneviève LAJOIE, « Programmes particuliers : le ministre Drainville n’interdira pas aux écoles de sélectionner les élèves », Le Journal de Québec, 29 mai 2024.

23 Claude CORBO, L'éducation pour tous: une anthologie du Rapport Parent, Presses de l'Université de Montréal, 2002, p. 187.

24 Cela comprend les écoles secondaires et les écoles qui offrent à la fois un programme primaire et secondaire.

25 Calculé à partir du niveau de scolarisation de la mère et du taux d’emploi des parents.

26 Calculé à partir du niveau de revenu du ménage.

27 Alec LAROSE, Les projets particuliers à l’école publique en contexte de concurrence scolaire : un état des lieux, Note de recherche, FSE-CSQ, septembre 2016, p. 9.

28 « Dans une école de Saint-Roch, un fossé d’inégalités sépare les élèves », Radio-Canada, 31 octobre 2019, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1358815/ecole-des-berges-imse-cote-indice-parents-syndicat-enseignants.

29 Pour être admissible à l’école anglophone, il faut détenir une déclaration d’admissibilité qui consiste généralement à démontrer que son propre parcours, celui de sa fratrie ou de ses parents s’est essentiellement déroulé en anglais au Québec ou au Canada. Voir « Admissibilité à l'enseignement en anglais », Ministère de l’Éducation, https://www.education.gouv.qc.ca/contenus-communs/parents-et-tuteurs/admissibilite-a-lenseignement-en-anglais/admissibilite (consulté le 29 août 2024).

30 CHAIRE EN FISCALITÉ ET EN FINANCES PUBLIQUES, Crédit d’impôt pour dons, fiche, année d’imposition 2023, https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/outils-ressources/guide-mesures-fiscales/credit-impot-dons/.

31 AGENCE DE REVENU DU CANADA, Statistiques fiscales détaillées des contribuables imposables et non imposables 2020 ; REVENU QUÉBEC, Statistiques fiscales des particuliers – Année d’imposition 2020, 2023, p. 114.

32 J.-É. BERGERON, op. cit., p. 7.

33 FONDATION POUR LES ÉLÈVES DE MONTRÉAL, « Types de soutien », https://fondationelevesmtl.ca/demander-du-soutien/types-de-soutien/ (consulté le 23 août 2024).

34 FÉDÉRATION DES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT PRIVÉS, Financement des écoles privées québécoises, des OSBL essentiels à notre système d'éducation, mémoire présenté dans les cadre des crédits budgétaires 2024-2025, février 2024, p. 7.

35 Pierre PAQUET, « La construction du nouveau gymnase de l’école secondaire de Saint-Marc-des-Carrières débutera bientôt », Courrier de Portneuf, 15 mai 2024.

Faits saillants

  1. Le Québec affiche le plus haut taux de fréquentation de l’école privée au secondaire au Canada, et de loin, avec plus de 20 % des élèves dans ce réseau. Un nombre encore plus importants d’élèves sont inscrits à des projets pédagogiques particuliers au public, qui s’accompagnent souvent d’un processus de sélection et de frais supplémentaires.
  2. Plus de 80 % des écoles privées sont enregistrées en tant qu’organismes de bienfaisance ou possèdent leur propre fondation ce qui leur permet de récolter des dons. De plus en plus d’écoles publiques adoptent également cette stratégie ; cependant, cela demeure marginal (8 % des écoles), et plus du quart de ces fondations n’a reçu aucun don en 2023.
  3. En plus de recevoir des subventions gouvernementales représentant entre 60 et 75 % du coût des services éducatifs au public, les écoles privées ont reçu près de 65 millions de dollars en dons donnant droit à des crédits d’impôt, dont la majeure partie était destinée à des écoles à vocation religieuse. Cela représente un coût entre 22 et 36 M$ pour les contribuables du Québec.
  4. Lorsque l’on compare les cotes de défavorisation de la population étudiante au primaire et au secondaire dans les centres de services scolaires où les taux de fréquentation du privé sont les plus hauts, il est possible de voir un effet de déplacement du niveau de défavorisation. Les cotes pour les écoles secondaires sont plus élevées qu’au primaire.

 


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