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Richesse et productivité : le Québec doit-il rattraper l’Ontario ?

7 mars 2024


Depuis l’élection en 2018 de la Coalition avenir Québec de François Legault, le gouvernement québécois a pour objectif de « combler l’écart de richesse » avec l’Ontario. Ce qui prend la forme d’un véritable mantra a été réitéré dans la mise à jour économique de novembre 2023. Cette obsession du « rattrapage » soulève plusieurs questions relatives à ce qu’il signifie réellement. En effet, pour le gouvernement Legault, la richesse se mesure par le calcul du produit intérieur brut (PIB) par habitant·e et la seule manière d’accroître la valeur de cet indicateur est d’améliorer la productivité de l’économie québécoise. Nous verrons dans cette fiche que le gouvernement fait fausse route tant en ce qui concerne l’état de la situation que les politiques économiques qui en découlent.

Qu’est-ce que la richesse ?

Avant de chercher à comparer la richesse du Québec à celle d’un autre territoire, il faut d’abord déterminer ce que l’on entend par la notion même de « richesse ». Il s’agit bien entendu d’une notion a priori subjective puisqu’elle dépend de ce qu’on valorise à titre d’enrichissement. Il n’en demeure pas moins que la richesse est communément associée à des avoirs ou à des revenus dont on peut mesurer la valeur monétaire1. Pour un pays, le calcul du produit intérieur brut (PIB), qui mesure la production sur un territoire donné pendant une certaine période, est un des principaux indicateurs utilisés pour mesurer la richesse des habitant·e·s. La division du PIB total par le nombre d’habitant·e·s permet d’avoir une moyenne par personne (PIB par habitant·e).

Or, le PIB par habitant·e est une mesure qui met de l’avant une vision étriquée du bien-être et qui comporte plusieurs lacunes. Premièrement, l’impact de la production, comme la pollution ou la détérioration des écosystèmes, n’y est pas pris en compte. De même, le PIB ne mesure pas l’ensemble de l’activité économique ; le travail effectué dans la sphère domestique, notamment, en est exclu. On comptabilise la production des restaurants, par exemple, mais pas les repas préparés à la maison. Finalement, le niveau du PIB ne dit rien de la répartition de la richesse : le PIB pourrait être élevé même si la richesse était concentrée entre les mains d’une minorité aux dépens d’une majorité qui vit dans la précarité. Ainsi, plutôt que de se concentrer sur l’augmentation du PIB par habitant·e, le gouvernement gagnerait à mieux cibler les besoins de la collectivité pour répondre aux défis du XXIe siècle (crise des inégalités, crise écologique, crise des services publics, etc.). Nous y reviendrons en conclusion.

Néanmoins, on peut considérer que le PIB par habitant·e donne une certaine idée du dynamisme économique ou d’une certaine richesse collective. Prenant l’Ontario comme point de référence, le ministre des Finances, Eric Girard, estime un écart de 14 % du PIB par habitant·e pour 2022 et s’est donné pour objectif de réduire cet écart à moins de 10 % en 2026, et de l’éliminer complètement d’ici 20362.

L’intérêt d’une telle comparaison n’est pas évident, dans la mesure où elle ne permet pas d’évaluer directement le niveau de bien-être de la population québécoise3. Cela dit, on peut quand même faire l’exercice si on pense que l’Ontario représente un exemple de ce qui est possible dans le contexte québécois.

Le Québec est-il moins riche que l’Ontario ?

Il y a deux manières de concevoir le PIB par habitant·e comme indicateur de richesse. On peut se pencher sur ce qu’il permet à une personne moyenne de consommer ou on peut se demander quelle est la production moyenne par personne. Prenons d’abord l’angle de la consommation.

Pour qu’une comparaison du pouvoir d’achat d’une personne moyenne tienne la route, il faut tenir compte du prix des biens et services qu’elle achète. Bien que le ministère des Finances du Québec (MFQ) prenne soin de comparer les données du Canada et des États-Unis en fonction de la parité de pouvoir d’achat, il néglige de considérer la différence du niveau des prix entre le Québec et l’Ontario4. Or, cette conversion est nécessaire si l’on veut déterminer le pouvoir d’achat qu’offre une même somme d’argent dans différents pays ou différentes régions.

L’économiste Pierre Fortin a développé une méthode de calcul permettant de comparer les niveaux de richesse de l’Ontario et du Québec qui prend en considération cette différence du niveau des prix entre les deux provinces. Il écrit que si « l’objectif poursuivi par les politiques publiques [est] le bien-être matériel dont jouit réellement la population », il faut mesurer sa consommation (niveau de vie) plutôt que sa production (PIB par habitant·e) comme le fait le MFQ5. Si l’on procède ainsi, au lieu d’observer un écart de richesse de 14 % entre le Québec et l’Ontario, on constate que le pouvoir d’achat du Québec se situe tout juste au-dessus de celui de l’Ontario (+ 0,6 %) en 2022. Par conséquent, sur le plan du niveau de vie, il n’y a pas d’écart significatif en 2022.

La productivité de la main-d’œuvre québécoise est-elle inférieure à celle de l’Ontario ?

Si on considère maintenant la production elle-même comme un indicateur de richesse, le total de ce qui est produit est déterminé par le nombre d’heures consacrées à la production et la productivité associée à ces heures travaillées. Moins on doit collectivement travailler d’heures pour atteindre un niveau de richesse donné, plus ces heures sont considérées comme productives. De la même manière, pour un total donné d’heures travaillées, plus ces heures sont productives, plus la production sera grande. Là encore, une comparaison minutieuse des données vient remettre en perspective l’écart avec l’Ontario.

En termes monétaires, la productivité du travail est la valeur produite en fonction d’une unité de temps. Par conséquent, on peut mesurer la productivité en divisant le produit intérieur brut par le nombre d’heures travaillées dans une économie. Le graphique 1 montre l’évolution de la productivité au Québec par rapport à celle de l’Ontario de 1997 à 2022, en dollars de 2017.

La productivité du Québec y apparaît inférieure et progresse moins rapidement que celle de l’Ontario. De 1997 à 2022, elle passe de 46,35 $ par heure travaillée à 59,90 $ (+13,6) pendant que celle de l’Ontario passe de 50,25 à 65,07 $ (+14,8). De prime abord, il y a donc un écart entre le Québec et l’Ontario.

Est-ce à dire que les travailleuses et travailleurs québécois·es sont moins productifs que leurs vis-à-vis en Ontario ? Pour répondre à cette question, il faut se pencher sur les différentes industries qui composent le tissu industriel de chacune des provinces. Le tableau 1 indique la productivité calculée dans les différentes industries du Québec.

On constate les différences marquées de productivité qui existent entre certaines industries. Par exemple, la valeur moyenne de la production dans l’hébergement et les services de restauration est de 22,64 $ de l’heure alors que pour la production publique6 – industrie composée essentiellement d’Hydro-Québec – elle s’élève plutôt à 226,73 $ de l’heure. La mesure de la productivité globale sera donc tributaire du nombre d’heures travaillées dans différentes industries. Au Québec, il y a beaucoup plus de travailleuses et de travailleurs dans les services d’hébergement et de restauration (5,16 % des heures travaillées au Québec de 1997 à 2022) que dans la production publique (0,79 % des heures travaillées au Québec).

Si l’on examine les industries où travaille la main-d’œuvre au Québec et en Ontario, on observe plusieurs différences. Le tableau 2 montre que les Québécois·es travaillent davantage que les Ontarien·ne·s dans le commerce, l’enseignement, l’administration publique et le secteur primaire (agriculture, foresterie, pêche, extraction minière, extraction de pétrole et de gaz, etc.). En Ontario, le travail se concentre davantage dans les secteurs de la construction, de la finance, des assurances et des services immobiliers, de l’information, de la culture et des loisirs ainsi que des services professionnels, scientifiques et techniques.

Afin de comparer la productivité de la main-d’œuvre du Québec et de l’Ontario, nous avons calculé ce que serait la productivité globale du Québec si sa structure industrielle était la même que celle de son voisin ontarien. Le résultat est clair : si le travail effectué au Québec se concentrait dans les mêmes secteurs que l’Ontario et que la main-d’œuvre québécoise maintenait sa productivité actuelle dans chacune des industries, les Québécois·es seraient globalement aussi productifs, voire plus productifs que les Ontarien·ne·s, comme le montre le graphique 2.

Ainsi, selon ce scénario à structure industrielle égale, le PIB par heure travaillée aurait augmenté plus rapidement au Québec qu’en Ontario entre 1997 et 2020. On observe une tendance à la hausse du ratio sur toute la période et la parité est atteinte durablement à partir de 2013. Vue sous cet angle, la productivité de la main-d’œuvre québécoise ne serait donc pas à la traîne par rapport à l’Ontario.

Le Québec bénéficierait-il d’un rattrapage du PIB par heure travaillée ?

La comparaison que nous établissons montre que ce n’est pas la productivité du travail qui diffère entre les deux provinces, mais plutôt la configuration de l’économie. Par exemple, le fait que le secteur financier soit plus important en Ontario qu’au Québec contribue à créer un écart de PIB par heure pour l’économie dans son ensemble. Ce constat contredit les affirmations trop simplistes du gouvernement québécois voulant que les Québécois·es soient moins productifs que les Ontarien·ne·s. Il incite par ailleurs à demeurer prudent face au mode de développement mis de l’avant par la CAQ pour remédier à un supposé retard.

Si le gouvernement du Québec tient à rattraper l’Ontario en ce qui a trait au PIB par heure travaillée, une avenue possible est d’orienter la stratégie industrielle vers une croissance des secteurs où la valeur ajoutée par heure travaillée est élevée, par exemple en tentant de faire en sorte que Montréal supplante Toronto comme centre financier au Canada. Cela exigerait une impulsion considérable de la part de l’État. La situation actuelle est le fruit d’une trajectoire historique particulière et infléchir celle-ci pour changer fondamentalement la composition de l’économie québécoise exigerait une véritable planification stratégique, et non pas simplement de faire plus de place à l’entreprise privée, comme le suggère le gouvernement Legault.

Plus généralement, est-ce que la politique industrielle du Québec devrait être guidée par l’objectif de rattraper le PIB par heure travaillée de l’Ontario ? On l’a vu, il n’y a pas d’écart de niveau de consommation ni de productivité du travail avec l’Ontario. Pourquoi alors s’entêter à gonfler l’indicateur du PIB par habitant·e plutôt que de cibler explicitement le mieux-être de l’ensemble des Québécois·es, par exemple en améliorant les services publics ? Si les politiques économiques permettent d’accroître le PIB par habitant·e, mais que, ce faisant, elles dégradent l’environnement ou la santé de la population, est-ce que le moyen n’est pas en train de nuire à l’objectif énoncé, voire de le contredire ? En d’autres mots, est-ce que ce changement de structure industrielle améliorerait le bien-être et la qualité de vie au Québec ? On peut en douter et très bien conclure à l’inverse.

Conclusion

Le gouvernement québécois affirme volontiers que l’augmentation de la richesse du Québec par le biais d’un accroissement de sa productivité est indispensable pour maintenir le financement des services publics et réduire la dépendance aux transferts fédéraux7. Or, non seulement nous avons montré que la productivité du travail au Québec n’est pas inférieure à celle de l’Ontario, mais que le niveau de vie des Québécois·es n’est pas inférieur à celui des Ontarien·ne·s lorsque comparé en parité de pouvoir d’achat.

L’histoire a montré que l’obsession du rattrapage de l’Ontario pouvait mener à un gaspillage de ressources considérable. Dans les années 1960, le gouvernement québécois a créé une entreprise publique de sidérurgie (SIDBEC) afin de faire concurrence à l’Ontario. Après une série d’investissements majeurs, le projet a périclité et s’est soldé par un échec coûteux sur toute la ligne8.

Cela dit, les constats de cette fiche ne signifient en aucun cas que le Québec ne doit rien faire pour modifier sa structure industrielle. Au contraire, les défis socioéconomiques et écologiques actuels rendent nécessaire une transformation de l’économie québécoise. Il faut certes avoir un bon dynamisme économique, mais aussi s’assurer d’opérer en respectant les limites écologiques et en favorisant avant tout le bien-être de la population.

Pour y parvenir, le Québec doit urgemment adopter des indicateurs de bien-être beaucoup plus complets et pertinents que le PIB par habitant·e et la productivité9. Le recours à ce type d’indicateurs au moment de définir les priorités d’un gouvernement permettrait de considérer les indicateurs de richesse non pas comme une fin en soi, mais comme un guide parmi d’autres pouvant servir à déterminer les moyens à mettre en œuvre pour favoriser le bien-être d’une communauté.


1 Formellement, la richesse réfère aux avoirs (qui sont un stock) et pas aux revenus (qui sont un flux), mais comme les deux s’entremêlent dans le discours du gouvernement et qu’il adopte un flux comme mesure de richesse, c’est cette mesure que nous analyserons. Voir aussi Baudelaire AUGUSTIN et Dimitri SANGA, « La richesse et le revenu », L’emploi et le revenu en perspective, Statistique Canada, novembre 2002, vol. 3, no 11.

2 MINISTÈRE DES FINANCES DU QUÉBEC, « Accroître le potentiel économique du Québec : des ambitions et des moyens pour y parvenir », fascicule, Gouvernement du Québec, 7 novembre 2023.

3 De la même manière que d’être bien logé est plus important que la taille relative d’une maison par rapport à celle des voisin·e·s, c’est sur l’économie québécoise en elle-même que devrait porter l’analyse.

4 MINISTÈRE DES FINANCES DU QUÉBEC, op. cit., p. 11.

5 Pierre FORTIN, Observations sur le document de consultation du ministère des Finances du Québec intitulé « Combler l’écart de niveau de vie entre le Québec et ses principaux partenaires », mémoire, 17 octobre 2023.

6 Statistique Canada désigne en réalité l’industrie « production publique » sous le nom « services publics ». Comme les services publics font habituellement référence, au Québec, à la santé et à l’éducation, entre autres secteurs, nous avons remplacé le terme de Statistique Canada pour éviter toute confusion.

7 Francis FORTIER, Le Québec, dépendant de la péréquation ?, IRIS, 12 mars 2014.

8 Robert DUTRISAC, « “Maîtres chez nous” » – On souhaitait transformer ici le minerai de fer de la Côte-Nord... », Le Devoir, 10 avril 2010.

9 Philippe HURTEAU et Renaud GIGNAC, Mesurer le progrès social : vers des alternatives au PIB, IRIS, 31 août 2011.

Faits saillants

  • Si l’on tient compte des différences de prix entre les deux provinces, les Québécois·es ont un revenu équivalent à celui des Ontarien·ne·s.
  • Pour comparer la productivité du travail, il faut prendre en considération la structure industrielle. Or, à structure industrielle égale, la productivité du travail est plus élevée au Québec qu’en Ontario.
  • La structure industrielle du Québec doit être transformée pour affronter les défis du XXIe siècle. Ce faisant, chercher à faire croître la productivité à tout prix est un piètre objectif. Il faut plutôt avoir recours à d’autres indicateurs de richesse pour réellement servir le bien-être de la population.

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