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Une éducation au surendettement viable?

9 novembre 2011

  • EP
    Éric Pineault

C’est dans l’esprit d’un nécessaire dialogue social et citoyen qu’on aurait pu accueillir avec intérêt la proposition de réinscrire dans le cursus du secondaire une formation d’initiation à l’économie et aux questions économiques. Or, c’est avec stupeur que l’on a appris dans Le Devoir que le projet d’une nouvelle formation est soumis par des acteurs de la communauté financière, ceux-là même qui, non seulement profitent du surendettement des ménages canadiens et québécois, mais la cultivent activement à travers l’innovation constante dans l’offre de produits d’endettement, par l’investissement important dans la publicisation de ces produits auprès de toutes les catégories d’âge, des adolescents jusqu’aux retraités, et par l’innovation dans les technique de conversion de ces créances fait aux ménages en titres financiers complexes. La formation que le groupe dirigé par le président pour le Québec du groupe BMO veut proposer au ministère de l’éducation n’a pas pour contenu l’économie, mais bien la finance et ce d’un point de vue pratique, c’est-à-dire qu’il ce programme se présente comme une initiation à l’utilisation raisonnée des produits financiers d’endettement et d’épargne ainsi qu’à la planification financière.

Il s’agit d’un projet qui se situe dans la mouvance du mouvement pour la « littératie financière ». Que signifie ce barbarisme? Traduction boiteuse de l’anglais – “financial literacy” – il s’agit d’offrir aux usagés des services financiers une formation de base en gestion des actifs et des passifs qui marquent la condition des salariés contemporains. Les salaires stagnent, les dettes reliées à la consommation s’accumulent, on doit apprendre à gérer notre passif, les entreprises n’offrent plus de régimes de retraite à prestations définies, le régime publique est trop limité dans sa couverture, les salariés doivent s’improviser investisseurs financiers et boursicoteurs afin d’accumuler de l’épargne retraite dans des fonds gérés par … des gens comme les monsieur Ménard de la communauté financière. L’engouement pour ce mouvement d’éducation à la finance a pris un certain envol depuis la crise de 2007–2008 en particulier aux États-Unis où les républicains voyaient dans celui-ci une réponse politique alternative à la règlementation des grandes banques. En fait, pour plusieurs à la droite de l’échiquier politique, la crise de 2007–2008 avait justement pour origine, non pas une instabilité intrinsèque d’une finance libéralisée, mais un manque d’éducation financière de la part des usagers de crédit. Si seulement les pauvres ménages qui ont contracté des hypothèques subprime auvaient su lire et comprendre la structure en escalier des taux d’intérêt, il n’y aurait pas eu de crise… Et pour ramener ça chez nous, si seulement les gestionnaires des trésoreries des Jean-Coutu, Air Transat, STM et autres grandes entreprises publiques et privés avaient su lire et comprendre la nature des fameux PCAA, il n’y aurait pas eu de si grandes pertes…

Plutôt que de se questionner collectivement sur le rôle et la nature des processus financiers qui actuellement dominent notre économie, le mouvement pour la litératie financière nous propose une initiation aux bons usages des instruments de crédit et de placement de plus en plus complexes que génèrent les institutions financières. Elle propose une formation qui s’adresse aux jeunes du secondaire axé sur la pratique, plutôt que sur de vagues connaissances théoriques comme :

  • comprendre de quoi est composé le PIB,
  • comment se distingue la richesse financière de la richesse productive,
  • comment se détermine le taux d’investissement productif,
  • le rôle du niveau des salaires dans la demande effective,
  • le lien entre croissance et emploi, entre croissance et fiscalité
  • et les impasses écologiques de la croissance.

Toutes ces platitudes abstraites seront ignorées au profit d’une initiation concrète à l’usage de la carte de crédit et au choix des divers types de REER. Une initiation “pratique” à l’usage des services financiers par ceux qui produisent ces services et les vendent. C’est comme si le ministère d’éducation demandait à l’entreprise “Starfrit” de nous proposer un nouveau cours d’économie familiale.

Qu’il faille mettre en garde les jeunes du secondaire contre les pièges que leur tend l’industrie des services financiers, qu’il doivent apprendre à utiliser de manière raisonnée le crédit et les véhicules de placement est incontestable. Cela peut bien faire partie d’un cursus plus large d’initiation à l’économique où des questions plus générales et des enjeux collectifs sur lesquels ils seront portés à agir comme citoyens pourront aussi être présentés. Même si on se limite à “l’expérience concrète” des jeunes, il y a beaucoup plus que la seule finance à discuter. En effet, comme le souligne lui-même Monsieur Ménard, une nombre très important des jeunes du secondaire travaillent. Effectivement à titre de travailleurs ils gagnent un salaire et donc peuvent épargner, placer ou s’endetter, ils sont des “acteurs” de l’économie comme il nous le rappelle. Or, ne sont-ils pas aussi justement des acteurs à titre de “travailleurs”, c’est-à-dire de producteurs d’une part de notre richesse collective? Et, dans le cadre de cette production n’y a-t-il pas des enjeux économiques à comprendre et à débattre: la nature du travail, la question des rémunérations, les droits qui s’y déploient, comme par exemple le droit à la syndicalisation, ou celui des conditions de travail minimales (je pense au cas “Couche Tard” où plusieurs jeunes travaillent). À titre d’acteurs n’auront-ils pas bientôt des choix plus importants à faire que celui entre deux forfaits de carte de crédit, tel que la direction à prendre en vue de la formation pour le marché du travail? N’y-a-t-il pas un lien minimal à faire entre ces choix et l’étude de la structure de notre économie? Ne pourraient-ils pas, à travers leur choix et leur formation, contribuer activement à produire les contours et la structure de notre économie de demain? À moins que cela soit réservé aux seules élites financières?

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