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Une nouvelle ligne sous la ligne (1) : comment baisser les standards

17 novembre 2017

  • VL
    Vivian Labrie

​Cette semaine, le Comité d’experts sur le revenu minimum garanti (RMG) a publié son rapport. Il se présente dans la continuité (style de mise en page compris) du cahier budgétaire 2016-2017, mis à jour en juin 2016, sur Le régime québécois de soutien du revenu. Le document comprend 23 recommandations, certaines qui semblent positives (comme l’attention portée aux situations de non recours), et plusieurs qui pointent vers des reculs (comme la confusion entre l’aide financière et l’aide à l’emploi et de plus grandes discriminations liées à l’aptitude au travail)

Il faudra prendre le temps de les analyser en détail. Un élément mérite toutefois qu’on s’y attarde aujourd’hui : le choix d’établir le seuil de référence pour la protection minimale du revenu à l’aide sociale en dessous de la mesure du panier de consommation (MPC).

L’approche préconisée

Le problème n’est pas dans la définition du RMG choisie par le comité, soit «tout système offrant une garantie de ressources monétaires pour tous, le montant de ces ressources étant relié à un seuil minimal». Cette définition qui englobe les diverses formes de garanties de revenu possibles (allocation universelle, impôt négatif, régimes de base) correspond à un des sens donné à ce terme, qui est également utilisé comme synonyme d’une allocation universelle inconditionnelle. D’où beaucoup de confusions. Dans le cas qui nous occupe, c’est un choix logique pour tenir compte de l’ensemble du système de soutien du revenu au Québec.

Le problème n’est pas non plus dans les trois principes évoqués, soit l’équité, l’incitation au travail et l’efficience.

Il est dans celui qui manque : où est l’attention à ce qu’il en coûte pour vivre ? L’absence de ce critère au cours des ans a favorisé des révisions à la baisse, au nom de l’incitation à l’emploi. On l’a bien vu ces derniers mois avec le Programme objectif emploi. Ces révisions à la baisse ont par ailleurs coïncidé dans le temps avec des décisions politiques qui ont favorisé la concentration de la richesse.

Le comité d’experts se positionne ainsi dans une approche «pro-marché», dite aussi de type «Ministère des Finances», qui fait confiance à des marchés compétitifs pour réduire la pauvreté et qui met beaucoup de contraintes sur les épaules des personnes jugées «inactives» et aptes au travail qu’il suffirait d’«activer» vers l’emploi. D’autres approches sont pourtant possibles, de type «société civile» ou «développement social» par exemple, qui, sans rejeter la part des marchés, en constatent les ratés inhérents, considèrent que les plus pauvres agissent déjà pour s’en sortir et prennent la question plus largement.

Le comité a beau recommander de ne pas reculer sur les acquis actuels, c’est ici que les choses se corsent sérieusement et en viennent quand même à les menacer en allant à l’encontre de deux objectifs, résultant de vingt ans de croisements d’expertises diverses, qui permettraient de se diriger véritablement vers un Québec sans pauvreté :

  • les protections sociales de base devraient permettre la couverture des besoins de base, ce pour quoi la MPC (qui supposait en 2016 un revenu après impôt de 18 956 $ pour une personne seule à Montréal) constitue un bon indicateur ;
  • le salaire minimum à temps plein devrait permettre de sortir de la pauvreté, ce pour quoi il n’existe pas en ce moment d’indicateur reconnu, mais qui pourrait ressembler aux estimations faites pour un salaire viable ou un salaire minimum à 15 $.

L’art de baisser le standard pour la hauteur de la barre : le repère plafonné à 55 % de la MPC envisagé pour l’aide sociale au Québec

Dans  ses recommandations 7 à 10, le comité d’experts présente la MPC comme «l’outil adopté au Québec et au Canada pour définir le seuil de pauvreté». Ensuite, «pour maintenir une incitation au travail» et «ne pas inciter les personnes déjà présentes sur le marché du travail à le quitter», il recommande d’établir «un seuil de référence» distinct «déterminant de façon explicite le soutien du revenu minimum à assurer aux personnes». Ce seuil varierait «selon la capacité des individus à intégrer le marché du travail». Et il se limiterait à la couverture des «besoins immédiats», à 55 % de la MPC, pour le niveau de revenu à garantir par l’aide sociale à une personne qui est sans emploi et jugée apte au travail. Ce qui serait une amélioration en faisant passer cette couverture de 52 % à 55 %.

En clair, le comité propose non seulement le statu quo, soit de continuer d’aligner le salaire minimum sur la MPC et les protections sociales minimales sur la moitié de ce seuil, mais un plafonnement structurel sur ce statu quo. Il introduit même un recul vers de vieux standards des années 1990, où il semblait acceptable de séparer la couverture des besoins de base en besoins de court terme, de moyen terme et de long terme, et de limiter aux besoins de court terme la couverture assurée aux personnes jugées aptes au travail. Un peu plus et on commence à compter les calories. Ceci alors que le chemin conceptuel accompli depuis l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale en 2002 pousse vers mieux.

Pourtant, en 2009, le Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion sociale (CÉPE) a recommandé, dans un avis reconnu par le gouvernement, d’utiliser la MPC comme indicateur «afin de suivre les situations de pauvreté sous l’angle de la couverture des besoins de base». Il a spécifié très précisément que cette mesure «ne permet pas de mesurer la sortie de la pauvreté selon la définition donnée par la Loi». Et il a laissé ouverte la question d’un seuil à déterminer comme repère pour la sortie de la pauvreté.

Il est incompréhensible que le comité d’experts, dont deux des trois membres ont déjà fait partie du comité de direction du CÉPE, ne mentionne pas cette recommandation fondamentale du CÉPE, d’autant plus qu’il cite extensivement d’autres extraits. Il est tout aussi inconcevable qu’il passe à côté des avertissements maintes fois donnés par Statistique Canada à l’effet que les mesures de faible revenu en usage, comme la MPC, ne sont pas des «seuils de pauvreté».

Par ailleurs, la MPC ne tient pas compte d’un ensemble de dépenses non discrétionnaires pour lesquelles, selon le CÉPE, il faudrait ajouter 7% en moyenne à ce seuil pour estimer un revenu après impôt correspondant. Ce que le comité d’experts n’a pas fait.

Toujours en 2009, le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CCLPES), une institution qui a pour mandat de « conseiller le ministre » responsable de ce dossier, a fait un pas de plus dans un avis recommandant d’évoluer vers un «régime intégré de soutien aux personnes et aux familles» au Québec, où la satisfaction des besoins de base, au niveau de la MPC, fonderait «le soutien financier minimal garanti» et où on ferait en sorte «que les travailleuses et les travailleurs échappent à la pauvreté». Il a aussi proposé de porter «dans une première étape» la garantie minimale de revenu à 80 % du seuil de la MPC, et préconisé d’assurer que de travailler 16 heures au salaire minimum permette, avec l’ensemble des dispositifs de soutien, l’atteinte d’au moins le seuil de la MPC. Ce qui suppose un salaire minimum à temps plein à un seuil plus élevé que la MPC.

Ces cibles ont également été ignorées par le comité d’experts qui ne cite aucune fois les travaux du CCLPES.

On pourrait voir une amélioration à saluer dans la proposition du comité d’experts de relever légèrement la couverture présentement assurée par l’aide sociale. À court terme, peut-être, mais pas dans la perspective de progresser vers une meilleure couverture des besoins de base puisque l’aide plafonnerait ensuite à ce niveau. Le graphique suivant montre où se situerait ce plafond de couverture à 55 % de la MPC par rapport à une simulation publiée par l’IRIS à l’automne 2016 pour résumer l’histoire des critères de couverture des besoins à l’aide sociale.  Comme on peut le constater, ce serait le seuil de référence le plus bas à avoir été envisagé dans l’histoire de l’aide sociale au Québec.

Revenu disponible estimé* d’une personne à l’aide sociale de base en 2016 selon les critères historiques déterminant la valeur de la prestation de 1970 à 2016 et comparaison à divers seuils de couverture des besoins ($), Québec

* Le revenu disponible estimé comprend la prestation de base, le crédit pour solidarité et le crédit pour la TPS.

Source: Adapté de Vivian Labrie, La hauteur de la barre à l’aide sociale.

Malgré cela, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale a tout de même trouvé le moyen de critiquer la minime augmentation proposée par le comité. Il a montré plus d’intérêt pour une autre recommandation à l’effet d’augmenter la Prime au travail : «Si vous augmentez la Prime au travail, vous n’augmentez pas l’aide sociale, mais vous augmentez le revenu disponible des personnes pauvres au travail», a-t-il dit à la presse.

Cette façon de raisonner centrée sur le salut par le marché et faisant l’impasse sur les croisements d’expertise ayant conduit aux recommandations du CÉPE et du CCLPES doit-elle prévaloir dans les décisions publiques ? Il semble en tout cas qu’on en ait vu les limites en Ontario et qu’on ait aperçu l’importance de penser plus large et à plus d’acteurs, ce que nous explorerons dans un prochain billet.

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