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Striketober et « grande démission » : aux États-Unis, les travailleurs et les travailleuses sont d’humeur frondeuse

9 novembre 2021

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5min

  • XL
    Xavier Lafrance

Plusieurs grèves ont été déclenchées aux États-Unis au cours du mois d’octobre, dans un contexte marqué par un nombre record de démissions à travers le pays. L’ampleur de ces grèves demeure relativement limitée sur une échelle historique, mais elle n’en révèle pas moins un réel potentiel de revitalisation du mouvement syndical états-unien.

Le nombre de grévistes répertorié aux États-Unis lors du mois d’octobre dernier est impressionnant : 10 000 salarié·e·s de John Deere; 1400 employé·e·s de Kellogg’s; 2000 infirmières et employé·e·s de l’hôpital Mercy de Buffalo; 450 métallos de la Special Metals à Huntington, en Virginie-Occidentale; 2000 travailleurs et travailleuses des télécommunications en Californie. Ces grévistes se sont joint·e·s à 1000 mineurs et mineuses de charbon en Alabama, en grève depuis août; 700 infirmières au Massachusetts, en grève depuis avril; 400 employé·e·s de Heaven Hill Distillery, au Kentucky, en grève depuis septembre ; 200 chauffeurs et chauffeuses d’autobus à Reno, au Nevada, qui ont débrayé en septembre. 37 000 salarié·e·s des hôpitaux Kaiser en Californie, en Oregon et à Hawaï ont aussi obtenu un mandat de grève, tout comme 61 000 salarié·e·s de l’industrie du cinéma et de la télévision.

Les grévistes s’opposent à des offres salariales souvent inférieures à l’inflation et à une dégradation des conditions de travail qui dure depuis des décennies et s’intensifie dans le contexte pandémique. Après avoir été célébré·e·s en tant que travailleuses et travailleurs essentiel·le·s, elles et ils veulent que cette reconnaissance se matérialise. Les salarié·e·s de Kaiser, de John Deer et de Kellogg’s luttent aussi contre l’imposition de clauses orphelins qui auraient pour effet de réduire les salaires et avantages sociaux de futur·e·s employé·e·s, alors que les profits de ces entreprises sont déjà en forte hausse.

Bien que l’ampleur de ces grèves ait popularisé l’expression striketober, on ne peut pas encore parler d’une vague de grève. Il y a eu 270 grèves cette année aux États-Unis, dont 57 en octobre. Certes, il s’agit d’une forte augmentation par rapport aux 54 grèves pour l’ensemble de 2020, qui fait suite à une hausse amorcée en 2018, alors que le nombre de grévistes impliqué·e·s dans des conflits majeurs (plus de 1000 salarié·e·s) avait été décuplé par rapport à 2017. Des dizaines de milliers d’enseignant·e·s avaient alors débrayé, souvent dans le cadre de grèves illégales. On est pourtant encore loin des 5 millions de grévistes au sortir de la Seconde Guerre mondiale, des 821 grèves tenues en 1970, ou encore des 235 grèves de plus de 1000 salarié·e·s de 1979 (contre 12 en 2021). Il n’en demeure pas moins que le regain de combativité des dernières années marque une rupture avec le creux historique des années 2010.

On parle aussi beaucoup par les temps qui courent d’une « grande démission » : 4,3 millions de personnes ont quitté leur emploi en août dernier seulement aux États-Unis, ce qui représente 2,9 % de la population active. Si on remonte au printemps de cette année, on dénombre 20 millions de démissions. Et ces démissions pourraient bien être suivies par d’autres puisque 48 % des répondant·e·s d’un sondage Gallup de juillet 2021 ont affirmé rechercher activement un emploi ou s’intéresser à de nouvelles opportunités d’emploi.

Alors que de nombreuses entreprises peinent à combler des postes et se plaignent d’une pénurie de main-d’œuvre, le taux de chômage demeure paradoxalement plus élevé qu’il ne l’était tout juste avant la pandémie. C’est sans compter le fait que ce taux de chômage officiel donne une image déformée du marché du travail, puisqu’il n’inclut pas les trois millions de sans-emploi qui ont cessé de chercher un travail. Cette masse de sans-emploi qui s’est retirée de la population active officielle provient en majorité des secteurs de la restauration, de l’hôtellerie et du commerce de détail – des secteurs caractérisés par de faibles salaires, de mauvaises conditions de travail et des risques plus élevés pour la santé, qui sont augmentés par la pandémie.

Comment expliquer cette situation? Bien que limitée, l’épargne des ménages est en ce moment substantiellement plus élevée qu’elle ne l’était en 2019, et cela est aussi vrai pour les ménages à plus faible revenu. Ceci s’explique en partie par les aides financières offertes par les gouvernements dans le cadre de la récession induite par la pandémie. Cette aide et la hausse de l’épargne ont partiellement et temporairement réduit la dépendance au marché des travailleurs et des travailleuses (leur obligation de vendre leur force de travail pour subvenir à leurs besoins), ce qui leur permet d’être plus sélectifs face aux emplois offerts ou de démissionner. Ce phénomène risque cependant de ne durer que pour un temps seulement, puisque ce coussin financier semble déjà s’estomper pour un nombre croissant de ménages.

Les entreprises font ainsi face à une pénurie de main-d’œuvre vulnérable et contrainte d’accepter de mauvais emplois, ce qui nourrit l’esprit frondeur des salarié·e·s – exprimé sans ambages par cette employée démissionnaire de Wal-Mart – et peut les conforter dans leur choix d’entrer en grève, puisqu’il devient plus difficile pour les entreprises de les remplacer. Autrement dit, il existe une pénurie d’emplois bien payés et de meilleure qualité – une situation qui ressemble d’ailleurs à celle qui prévaut au Québec. Le défi actuel du mouvement syndical états-unien est ainsi de convertir le ras-le-bol individuel des travailleurs et des travailleuses en action collective, de façon à créer une véritable vague de grèves capable d’avoir un impact durable sur les conditions de travail.

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1 comment

  1. Le partage tout à fait inégal de la richesse créée par les travailleurs est rendu totalement indécent et immoral.
    Le concept de “partage équitable de la richesse” devrait être sur la base du 50-50.
    Or…
    … Des présidents d’entreprises travaillent pour entrer dans le club des 500, un club ou les membres se targent d’avoir un salaire 500 fois supérieur au salaire moyen de leurs employés.
    … Les individus les plus riches ont un revenu annuel combiné supérieur à celui des 5,000,000,000 d’humains les plus pauvres de la planète.
    … Le concept d’économie, détourné de sons sens original décrit maintenant toute activité financière, une activité ayant généralement des conséquences destructives sur l’environnement.
    … Les activités commerciales continuent de s’appuyer sur des concepts totalement inexacts du début du XX siècle, accélérant ainsi la généralisation de la destruction et la précarisation de l’approvisionnement.

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