«Les premières à agir…» ou quand François Blais contredit la loi qu’il veut modifier
26 août 2016
Au retour de l’été, deux journées en commission parlementaire sur le projet de loi 70, les 23 et 24 août 2016, auront suffi pour montrer que l’intention ministérielle de rendre l’accès à l’aide sociale plus contraignant reste la même. Ce faisant, le Programme objectif emploi préconisé à l’article 28 du projet de loi, qui vient modifier la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, pourrait s’avérer contradictoire avec l’article 2 de cette même loi. Voici les faits.
Depuis le début de mai 2016, les travaux parlementaires sur le projet de loi 70 sont stationnés au début de cet article 28, autour d’un projet d’article à ajouter à la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, l’article 83.1. Celui-ci expose dans sa formulation même, comme le détaille un précédent billet, une contradiction inhérente au nouveau programme Objectif emploi. En effet, ce projet d’article prévoit à la fois «offrir» du soutien vers l’emploi aux personnes qui y participent et contraindre tout adulte qui serait «tenu d’y participer», notamment par des sanctions qui pourraient aller jusqu’à réduire la prestation de base actuelle de 623 $ à 399 $.
Dès le départ, les député·e·s du Parti québécois et de Québec solidaire siégeant à la commission, se sont formellement opposés à la réintroduction de mesures coercitives à l’aide sociale. Leur stratégie a été d’amener amendement sur amendement pour tenter de résoudre cette contradiction dans le sens du mot «offrir».
Leur dernier amendement en date met en évidence une nouvelle contradiction entre les modalités prévues au Programme objectif emploi et la loi même qu’il viendrait changer. Il se lit comme suit : «Aucune disposition du présent chapitre ne doit aller à l’encontre de l’article 2 de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles».
Retenons que cet article 2 n’est pas modifié par le projet de loi 70 et allons voir ce que ce nouvel amendement vient ajouter au débat.
Les personnes premières à agir pour s’en sortir
L’article en question a été introduit en 2005 dans la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, la mouture actuellement en vigueur de la loi sur l’aide sociale, en lien avec le nouvel article 1 de cette loi qui la plaçait «dans le cadre des principes et orientations énoncés à la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale» adoptée en 2002. Il se lit comme suit :
«2. Les mesures, programmes et services mis en oeuvre en vertu de la présente loi sont établis afin d’accompagner les personnes dans leurs démarches vers l’atteinte et le maintien de leur autonomie économique et sociale, celles-ci étant les premières à agir pour transformer leur situation et celle des membres de leur famille.»
Ce faisant, il intégrait dans le corps de la loi, et donc dans son application et son interprétation, une considération apparaissant au préambule de la loi sur la pauvreté qui reconnaît «que les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale sont les premières à agir pour transformer leur situation et celle des leurs et que cette transformation est liée au développement social, culturel et économique de toute la collectivité».
Cet article venait en quelque sorte confirmer que le soutien apporté par l’aide sociale n’a pas à être conditionné à l’action des personnes, dont on reconnaît qu’elle est déjà là. Un détail lié à l’adoption de cet article 2 en 2005 l’illustre très bien. La formulation initiale du projet de loi indiquait «devant être les premières à agir» et après des représentations indiquant que ce n’était pas le sens du préambule de la loi sur la pauvreté, un amendement a été adopté pour transformer cette formulation pour «étant les premières à agir».
Cet article émet en quelque sorte le principe de l’inconditionnalité de l’aide, ensuite confirmée à l’article 59 dans le chapitre sur le Programme d’aide sociale : «La prestation accordée à l’adulte seul ou à la famille ne peut être réduite pour défaut d’entreprendre des démarches en vue d’intégrer le marché du travail, notamment en cas de refus, d’abandon ou de perte d’emploi».
Le nouveau programme Objectif emploi est conçu en quelque sorte pour permettre d’échapper à cet article 59, propre au programme d’aide sociale. Ceci dit, il n’échappe pas à l’affirmation de l’article 2 qui s’applique à l’ensemble de la loi et qui, répétons-le, n’est pas modifié par le projet de loi 70.
D’où l’amendement déposé le 24 août 2016.
Une bureaucratisation niant et pouvant empêcher l’action première des personnes
De son côté, le ministre a répondu qu’il était contre cet amendement parce que celui-ci est autoréférentiel. On veut bien en convenir : le programme Objectif emploi sera tenu de respecter l’article 2 de la loi où on veut l’introduire. Or dans sa formulation actuelle, il ne le respecte pas sur au moins deux points.
Tout d’abord, on l’a vu, il vient rompre avec le principe de l’inconditionnalité de la prestation et en conditionner une partie à des démarches obligatoires vers l’emploi pour les personnes tenues d’y participer, le tout selon un règlement qui reste à venir.
Ensuite, il pourrait contrevenir aux efforts premiers des personnes pour s’en sortir en bureaucratisant davantage leur accès à l’aide financière de dernier recours. Il pourrait compromettre ainsi l’efficacité de ces efforts.
Rappelons que les intentions réglementaires déposées par le ministre indiquent que le plan d’intervention auxquelles ces personnes seraient assujetties pourrait comprendre trois modalités : recherche intensive d’un emploi, formation et acquisition des compétences, développement des habiletés sociales.
Qu’adviendrait-il par exemple d’une personne dont les activités pour s’en sortir ne relèveraient pas de ces trois catégories ? Ce pourrait être le cas, par exemple, d’une personne qui a un projet d’entreprise, qui reprend son souffle après avoir subi de la violence, qui se relève d’un deuil ou d’une séparation, ou qui prépare et réalise une œuvre artistique. Toutes choses non prévues dans les trois chemins contraignants annoncés du Programme objectif emploi. Au titre de l’article 2 de la loi, le plan et les projets de cette personne devraient avoir préséance sur le projet qu’on pourrait vouloir à sa place dans le cadre du programme et de ses règles. Et ceci d’autant plus s’il s’agit de valoriser l’autonomie et le pouvoir d’agir.
On voit ici que cet amendement n’est autoréférentiel que si le ministre et son équipe s’attachent à résoudre la contradiction entre «offrir» et être «tenu» de participer. Sinon, il souligne l’incohérence possible de la loi à l’intérieur d’elle-même et la possibilité de le faire valoir.
Le débat reprendra semble-t-il dans quelques semaines. Le ministre a encore le temps de corriger le tir.