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Le rôle du vieillissement et de la pandémie dans les pertes d’emploi

27 septembre 2021

Lecture

9min

  • MJ
    Mario Jodoin

Lorsque Statistique Canada a publié son communiqué sur les données sur l’emploi d’août 2021, nous avons appris qu’il ne manquait plus que 65 200 emplois avant que le Québec ne retrouve son niveau d’emploi d’avant la pandémie en février 2020 (ou 1,5 % de ces emplois) et 156 200 avant que le Canada en fasse autant (ou 0,8 %), ce que le bulletin du marché du travail de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) et moi-même avons souligné.

Pour véritablement connaître l’impact de la pandémie de COVID-19 sur l’emploi, il faut aussi tenir compte de la hausse de la population adulte (15 ans et plus pour Statistique Canada) entre ces 18 mois (de 66 400 ou 0,9 % au Québec et de 407 400 ou 1,3 % pour le Canada) et du vieillissement de la population, qui semble avoir accéléré au cours de cette période, notamment en raison de la baisse importante du nombre d’immigrant·e·s et de résident·e·s non permanent·e·s (voir le tableau 17-10-0040-01) qui sont en moyenne beaucoup plus jeunes que la population native du Canada. D’ailleurs, la proportion de la population adulte qui était âgée de 65 ans et plus est passée de 22,7 % à 23,7 % entre février 2020 et août 2021, et de 20,8 % à 21,7 % au Canada. 

S’il est assez simple de calculer l’impact de l’augmentation de la population sur l’emploi (on n’a qu’à appliquer le taux d’emploi du mois de février 2020 à la population adulte d’août 2021), il est plus complexe d’estimer l’impact du vieillissement. J’utilise la méthode que je vais présenter ici depuis des années, mais j’ai été ravi de constater dans cette étude parue en 2017 que Statistique Canada utilise la même! Cet argument d’autorité vise simplement à montrer que cette méthode est valide.

Estimation de l’impact du vieillissement sur l’emploi

Pour estimer cet impact, il faut appliquer la structure démographique du mois de départ aux taux d’emploi du mois d’arrivée de chacune des 12 tranches d’âge de cinq ans, c’est-à-dire 15 à 19 ans, 20 à 24 ans et ainsi de suite jusqu’à 65 à 70 ans et finalement 70 ans et plus (je sais, cette tranche a plus de cinq ans!), pour lesquelles Statistique Canada fournit des données. Ainsi, on multiplie la part de la population de chacune des tranches d’âge lors du mois de départ avec les taux d’emploi du mois d’arrivée de chacune de ces tranches, puis on additionne ces 12 résultats, ce qui donne le taux d’emploi qu’il y aurait au mois d’arrivée si la population n’avait pas vieilli (ou rajeuni, mais ce n’est pas le cas!). La différence avec le taux d’emploi officiel et le taux d’emploi ainsi calculé représente l’impact des tendances (ici, surtout la pandémie) autres que le vieillissement. La méthode est la même pour estimer l’impact du vieillissement sur le taux d’activité, mais est un peu différente pour estimer cet impact sur le taux de chômage, car le taux de chômage est calculé sur la population active (personnes en emploi plus personnes au chômage) et non sur la population totale. Mais, elle repose sur les mêmes principes.

Par contre, Statistique Canada ne publie des données aussi détaillées (12 tranches d’âge) qu’en données non désaisonnalisées (voir le tableau 14-10-0017-01), ce qui fausserait des comparaisons entre un mois d’hiver comme février 2020 et un mois d’été comme août 2021. J’ai donc plutôt comparé les données d’août 2019 et d’août 2021. Dans le fond, c’est aussi bien, car les variations d’emplois au cours de la pandémie dépendaient bien plus des décisions gouvernementales (confinements, mesures sanitaires, etc.) et des changements de comportements de la population (changements de consommation, maladie et peur de la maladie, etc.) que de la saisonnalité, ce qui a causé des problèmes avec les résultats de la désaisonnalisation pour Statistique Canada et aussi pour le Bureau of Labor Statistics (BLS) aux États-Unis. Par exemple, la baisse de l’emploi dans l’hébergement et la restauration ou dans les arts et la culture a peu à voir avec les saisons, mais beaucoup avec les mesures sanitaires et la baisse du tourisme (bon, aussi avec les mauvaises conditions de travail surtout dans le cas de l’hébergement et de la restauration, mais ce n’est pas le sujet et ce n’est pas un facteur saisonnier non plus!).

Cela dit, en reculant ainsi de six mois le mois de départ, de février 2020 à août 2019, cela accentue quelque peu l’impact de la hausse de la population et du vieillissement, mais pas beaucoup, selon d’autres calculs que j’ai faits et qu’il serait fastidieux de présenter ici.

Résultats

Le tableau qui suit présente des données de base et les résultats de mes calculs pour le Québec et le reste du Canada (données du Canada moins celles du Québec) sur le taux d’emploi, l’emploi, le taux d’activité et le taux de chômage.

Les deux premières colonnes reproduisent simplement des données publiées par Statistique Canada pour les mois d’août 2019 et 2021. La troisième reproduit les taux d’emploi, d’activité et de chômage d’août 2019 et applique les taux d’emploi (62,50 % et 62,64 %) aux populations adultes du Québec et du reste du Canada en août 2021 pour obtenir le niveau de l’emploi indiqué. Notons que la hausse de cette population fut de 1,3 % pour le Québec et de 2,1 % pour le reste du Canada, où l’immigration a beaucoup moins diminué qu’au Québec, selon le tableau 17-10-0040-01. Le plaisir commence aux colonnes suivantes :

Taux d’emploi : La quatrième colonne présente le résultat des calculs selon la méthode décrite dans la section précédente pour le taux d’emploi. Si la structure démographique était restée la même, le taux d’emploi au Québec serait passé de 62,50 % à 61,86 %, une baisse de 0,64 point de pourcentage, comme indiqué dans la dernière colonne. Cette baisse est celle qu’on peut imputer aux tendances autres que démographiques qui furent depuis deux ans essentiellement celles liées à la pandémie. Le reste de la baisse du taux d’emploi de 1,57 point indiquée aux cinquième et sixième colonnes, soit la baisse de 0,93 point (61,86 % moins 60,93 %) qu’on peut voir à l’avant-dernière colonne, est donc dû au changement de la structure démographique, donc essentiellement au vieillissement de la population. Cela veut dire que le taux d’emploi aurait quand même baissé de 0,93 point sans la pandémie. Les deux dernières colonnes montrent donc que le vieillissement a été la cause de 59,3 % de la baisse du taux d’emploi (0,93 % / 1,57 %) et la pandémie de seulement 40,7 % de cette baisse. Dans le reste du Canada, le vieillissement a été la cause de 48,5 % de la baisse du taux d’emploi (0,68 % / 1,40 %) et la pandémie de 51,5 % de cette baisse.

Emploi : Cette ligne reproduit les changements décrits pour le taux d’emploi et présente donc les mêmes écarts que la ligne sur le taux d’emploi. Le résultat qui m’a le plus étonné ici est que l’impact de la pandémie (45 365 emplois), même en tenant compte de la hausse de la population, a été plus faible que la baisse de l’emploi dans les données officielles (54 100 emplois). Ce ne fut toutefois pas le cas dans le reste du Canada (174 678 emplois par rapport à 25 400).

Taux d’activité : Le plus étonnant ici, c’est que la pandémie et les facteurs autres que le vieillissement n’ont eu aucun impact sur le taux d’activité au Québec (-0,04 point) et en ont eu un positif dans le reste du Canada (-0,41 point). Notons qu’un effet négatif sur une baisse devient un effet positif sur la variable étudiée, le taux d’activité dans ce cas. Toute la baisse de 0,97 point de pourcentage observée au Québec entre août 2019 et août 2021, et même un peu plus (1,01 point) s’explique par le vieillissement de la population. C’est encore plus le cas dans le reste du Canada avec un effet négatif de 0,75 point du vieillissement sur une baisse de 0,34 point. En fait, l’effet positif de la pandémie (-0,41 point) fut même plus élevé que la baisse observée de 0,34 point. 

Taux de chômage : L’effet du vieillissement n’a presque pas eu d’impact sur la hausse du taux de chômage, en fait un impact légèrement positif (il l’a fait baisser de 0,13 point au Québec et de 0,10 point dans le reste du Canada), ce qui est normal, puisque le taux de chômage est toujours plus faible que la moyenne chez les personnes les plus âgées (qui préfèrent souvent prendre leur retraite que chercher un emploi quand elles perdent le leur). Toute la hausse du taux de chômage dans les deux territoires, et même un peu plus, vient de la pandémie. Le contraire eut été étonnant!

Et alors...

Nous savons tous et toutes que le vieillissement a un impact majeur sur le marché du travail, mais on risque d’oublier l’ampleur de cet impact dans une période de crise comme celle-ci. Il demeure étonnant que cet impact ait été aussi fort en deux ans seulement, et même en 18 mois. Avant de m’attarder à l’examen de ces données, jamais je n’aurais imaginé que le vieillissement ait eu un impact plus important que la pandémie sur la baisse de l’emploi. Et, à lire les nombreuses analyses sur la question, je pense que personne d’autre ne l’a remarqué!

Un autre résultat peut étonner encore plus, soit que, sans le vieillissement de la population, le taux d’activité serait en fait plus élevé aujourd’hui qu’avant la pandémie. Ce résultat va directement à l’encontre des plaintes des organismes patronaux, de certain·e·s chroniqueurs, chroniqueuses et politicien·ne·s qui blâment les programmes d’aide aux travailleurs et travailleuses, comme la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE) pour la baisse du taux d’activité. En effet, les facteurs autres que le vieillissement l’ont plutôt fait augmenter!

Bref, il ne faut jamais oublier les facteurs démographiques quand on analyse le marché du travail, et surtout pas au cours de la période actuelle de fort vieillissement de la population.

Note en fin de document :
Les estimations de l’emploi, de l’activité et du chômage qui sont publiées par Statistique Canada proviennent de l’Enquête sur la population active (EPA) et sont sujettes à d’importantes marges d’erreur à 95 %, soit pour l’emploi d’environ 70 000 pour le Québec et de 145 000 pour le Canada. Cela fait en sorte qu’il ne faut bien sûr pas prendre à la lettre chacun des chiffres présentés dans ce billet. Par contre, les données démographiques utilisées par l’EPA ne proviennent pas de cette enquête, mais bien des estimations postcensitaires de la division démographique de Statistique Canada, et ont une marge d’erreur beaucoup plus faible.

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2 comments

  1. Ça fait bien 50 ans que l’on sait qu’il y aura, après le “baby boom” de 1945-1960, un “elder boom” entre 2000 et 2025 et le gouvernement n’a pas préparé quoi que ce soit pour y faire face?

    Les gains de productivité à eux seuls fourniraient tout ce qu’il faut pour gérer efficacement une société vieillissante… Si les dits-gains ne s’étaient pas évaporés via des abris fiscaux éminemment anti-sociaux par nature.

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