Hausses salariales plus rapides que l’inflation : entre espoir, rattrapage et effet de structure
5 septembre 2022
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Alors que l’inflation semble ralentir sa course, les médias relayent d’autres bonnes nouvelles sur la croissance des salaires. Le Journal de Montréal du 22 août titrait : « Les salaires augmentent encore plus vite que l’inflation au Québec ». Quant à Statistique Canada, qui rapportait une inflation de 7,3 % entre juillet 2021 et 2022, son Enquête sur la population active (EPA) publiée au début du mois révélait une augmentation du salaire horaire moyen de 8,1 % au Québec sur cette même période.
Que la croissance des salaires dépasse l’inflation serait la meilleure nouvelle pour les travailleurs et les travailleuses du Québec. Après tout, si leurs revenus évoluaient plus vite que l’augmentation des prix, l’effet négatif d’une forte inflation s’en trouverait complètement effacé. C’est un objectif qu’il est légitime de se fixer collectivement, particulièrement alors que nous savons que les salaires ne sont pas responsables d’une soi-disant « spirale inflationniste ».
Malheureusement, la réalité n’est pas aussi glorieuse. 8,1 % ne représentent pas la moyenne des augmentations reçues par les travailleuses et les travailleurs. Elle représente l’augmentation de la moyenne des salaires d’un bassin d’emploi qui varie d’une période à l’autre. Nous verrons dans ce texte qu’au moins 3 points de pourcentage de cette hausse de 8,1 % s’expliquent en fait par des changements dans la composition du marché du travail (effet de structure) et qu’elle résulte aussi d’un rattrapage après une quasi-stagnation l’année précédente. Enfin, nous verrons que malgré plusieurs belles annonces, les augmentations négociées accumulent malheureusement du retard sur l’inflation et demeurent donc un chantier de mobilisation à prioriser.
Rythme erratique de la pandémie
Les différentes vagues de confinement et de restrictions sanitaires expliquent une évolution erratique du salaire moyen dans les 2 dernières années. Après un saut de près de 6 % entre février et avril 2020 qui l’a porté à près de 29 $ en raison du premier confinement et de l’élimination d’un grand nombre d’emplois à bas salaires (voir plus loin l’effet de structure), le salaire horaire moyen est redescendu rapidement avant d’osciller autour de 28,50 $ pendant 14 mois. Entre juillet 2020 et juillet 2021, il est passé de 28,13 $ à 28,42 $, soit une très faible croissance de 1,0 %, toujours en baisse de 1,7 % par rapport à son sommet d’avril 2020 (28,92 $).
Après cette relative stabilité, on constate clairement une accélération de la croissance du salaire moyen depuis juillet 2021. Dans les douze mois suivants, le salaire moyen a crû de manière presque ininterrompue pour passer de 28,42 $ à 30,71 $, soit le taux de croissance de 8,1 % rapporté par Statistique Canada et diffusé dans les médias.
Cette accélération représente-t-elle une sorte de rattrapage à la suite des dérèglements causés par la COVID ou sommes-nous face à une déviation complète de la tendance moyenne de la période prépandémique? Au graphique ci-dessous, la droite bleue pointillée représente le rythme moyen de croissance du salaire entre janvier 2015 et janvier 2020. Dans les 5 années précédant la pandémie, le salaire horaire moyen a augmenté en moyenne de 3,04 % par année. La situation du Québec était plus avantageuse que la moyenne canadienne (2,70 %) et permettait un lent rattrapage. Si la tendance s’était maintenue entre février 2020 et aujourd’hui, le salaire moyen aurait été de 29,26 $ en juillet dernier au Québec. C’est 5,0 % de moins que le résultat réel de 30,71 $. Si la tendance se maintient, on pourra conclure à une certaine accélération de l’évolution du salaire horaire moyen qui va au-delà des oscillations erratiques liées à la COVID.
Effet de structure et transformation du marché du travail
Cependant, il faut constater que les transformations du marché du travail dans les 2 dernières années expliquent une part importante de l’accélération qui se reflète dans la hausse de 8,1 %. En effet, l’augmentation du salaire moyen est biaisée par un fort effet de structure. On parle lorsque l’évolution de la moyenne d’un groupe est incohérente avec les variations connues par ses membres en raison d’un changement de composition de la population du groupe.
Par exemple, si les 1600 résident·e·s de Saint-Élie-de-Caxton sont victimes d’un gel salarial entre 2021 et 2022, mais que Shae Weber avec son salaire de 12 millions US$ y déménage en cours d’année, la transformation de la structure de la population va entraîner une augmentation du revenu moyen de 15 %[1].
On constate un phénomène similaire dans le marché du travail québécois. Depuis 2 ans, on observe une diminution du nombre d’emplois dans les professions, les statuts d’emplois et les secteurs à bas salaires, alors que les emplois offrant des salaires élevés représentent une plus grande part du marché du travail. En isolant pour l’effet de structure uniquement pour trois tranches d’âge et 40 groupes professionnels, la croissance du salaire horaire moyen passe de 8,1 % à 5,2 %[2].
Le tableau 1 illustre les principaux changements dans les emplois présents dans le marché du travail entre juillet 2021 et 2022. On constate que 12 000 emplois à temps partiel ont été perdus, mais que le nombre d’emplois à temps plein a pour sa part augmenté de 64 500. Le salaire moyen d’un emploi à temps plein est de près de 10 $ de plus. La correction de l’effet de structure pour le statut d’emploi amène une augmentation du salaire moyen légèrement plus faible (7,9 %).
La distribution des hommes et des femmes sur le marché du travail est le seul élément qui ne va pas dans le sens de la conclusion générale. Le nombre de femmes sur le marché du travail a augmenté plus vite que le nombre d’hommes alors que leur salaire est encore plus bas. Cette variable n’a pas d’effet de structure, car l’effet de la plus forte hausse du salaire horaire moyen des femmes a annulé celui de leur croissance d’emploi plus élevée.
On constate en outre qu’il y a 40 000 travailleuses et travailleurs de 15 à 24 ans de moins en emploi depuis un an. La croissance des 55 ans et plus est aussi relativement faible (7 100) alors qu’on retrouve 84 700 personnes de 25 à 54 ans de plus au travail. C’est donc un remplacement dans la structure du marché du travail de jeunes qui gagnaient en moyenne 19,46 $ en juillet 2022 par le double d’adultes qui gagnaient 33,51$ en moyenne. En stabilisant les groupes d’âge afin de corriger l’effet de structure, on obtient une augmentation du salaire moyen de 7,4 %.
Or, c’est du côté des professions que la transformation de la composition du marché du travail a eu l’impact le plus important sur la hausse du salaire horaire moyen. Lorsqu’on classe les 40 grands groupes de professions selon leur salaire moyen, on constate que les professions rémunérées en bas de 22 $ l’heure ont perdu 77 600 emplois pendant l’année. Ce sont par exemple 11 600 vendeurs ou vendeuses de moins (salaire moyen de 19,96 $), 31 800 postes pour du personnel de services spécialisés (19,51 $) ou 23 900 emplois de personnel de soutien des ventes (caissières, étalagistes… avec un salaire moyen de 16,25 $) qui n’existe plus ou qui reste à pourvoir[3].
À l’opposé, les professions dont le salaire horaire moyen dépassait 30 $ ont vu leurs effectifs exploser de 108 100 personnes en un an. Les cadres intermédiaires se multiplient (27 600 de plus avec un salaire de 55,32 $), les professionnels en sciences naturelles et appliquées (ingénieurs, informaticiens, architectes…) ont vu leur nombre augmenter de 39 100 (44,26 $) alors que l’effectif des professionnels du droit et services sociaux et communautaires (avocats, psychologues, travailleurs sociaux, économistes… salaire moyen de 42,26 $) s’est accru de 40 300 personnes. En corrigeant l’effet de structure pour les professions, on constate que l’augmentation de salaire horaire moyen était plutôt de 5,5 %. Notons en outre que si l’EPA fournissait des données fiables plus désagrégées (il y a en fait 500 professions qui ont été ici réunies en 40 groupes professionnels), l’effet de structure serait sûrement encore plus important. C’est d’ailleurs pour la variable pour laquelle l’EPA fournit les données les plus désagrégées (2 genres, 3 tranches d’âge et 16 secteurs industriels, mais 40 groupes professionnels) que l’effet de structure est le plus important.
Bien qu’on ait vu une diminution des emplois dans les secteurs à bas salaire – particulièrement le commerce de gros et de détail – et une croissance plus rapide dans les secteurs à hauts salaires, la stabilisation de la distribution pour cette variable semble moins corriger l’effet de structure, probablement parce que les données y sont moins désagrégées que pour les professions, avec 16 secteurs par rapport à 40 groupes professionnels, comme mentionné plus tôt.
Ainsi, la croissance moyenne des salaires pour une distribution stable selon les âges et les professions serait de 5,2 %. L’accélération de la croissance des salaires est encore visible, mais elle est nettement moins détachée de la moyenne de 3,04 % qu’on observait avant la crise sanitaire.
Cette tendance s’observe-t-elle dans les augmentations personnelles ?
Cela dit, tous les indicateurs pointent vers une accélération des augmentations de salaire : inflation élevée, pénurie de main-d’œuvre et chômage au plus bas. Et de fait, les occurrences de négociation qui terminent avec des augmentations importantes semblent plus fréquentes. Pensons à Siemens de Drummondville (+ 8,7 % en 2022), à l’entrepôt de Sobeys à Terrebonne (+ 6 % en 2022) ou Olymel à Princeville (+ 35 %). Certains corps d’emploi dans le secteur public se démarquent aussi. Pensons aux enseignantes ou aux éducatrices des CPE (respectivement + 5,5 % et + 8,2 % en 2022). Francis Vailles de la Presse, qui a fait une recension de 47 conventions collectives, a calculé un niveau moyen d’augmentation de 6,5 % en 2022.
Mais ces éléments ne révèlent qu’une dimension de l’évolution des salaires. Beaucoup d’augmentations accordées demeurent encore insuffisantes. Pensons à toutes celles et ceux qui avaient signé leur convention bien avant que l’inflation ne s’accélère comme c’est le cas pour la majorité des employé·e·s des services publics québécois (2 % en 2022). Si l’on analyse les données du ministère du Travail, sur les 345 conventions signées avant 2022 qui déterminent des augmentations pour 2022, l’augmentation moyenne accordée est de 2,2 %. Alors que dans les années 1970, les clauses d’indexation automatique des salaires étaient fréquentes dans les conventions collectives, cet outil de protection est maintenant très rare. Entre 2007 et 2010, seulement 16 % des ententes négociées au Québec en avaient toujours.
Encore du chemin à faire
Bien qu’il soit nécessaire de nuancer l’ampleur de l’accélération de la croissance des salaires au Québec, particulièrement en raison de l’effet de structure lié aux transformations du marché du travail, force est de constater qu’une tendance positive s’installe. Nous sommes cependant encore loin de nous assurer que l’ensemble des travailleuses et des travailleurs verra son salaire être ajusté suffisamment pour couvrir minimalement l’inflation. Il ne faut pas non plus oublier les personnes dont les revenus ne sont pas négociables (retraitées, bénéficiaires de prestations sociales, étudiants et étudiantes boursières…). Des solutions devront être exigées autant aux tables de négociation qu’auprès des gouvernements.
[1] Exemple à partir d’un revenu moyen de 50 000 $ pour les 16 000 habitants au départ.
[2] Il est difficile d’isoler pour plus de variable car on fait face à des sous-groupes si petits que les données ne sont pas publiées et cela vient créer un trop grand nombre de données manquantes.
[3] Référence au fait que le commerce de détail est un des secteurs où il y a le plus de postes vacants.
2 comments
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Bonjour,
Vous mentionnez avec raison qu'”Il ne faut pas non plus oublier les personnes dont les revenus ne sont pas négociables (retraitées, bénéficiaires de prestations sociales, étudiants et étudiantes boursières…)”. Il aurait été intéressant de connaître le pourcentage de personnes que cela représente par rapport à l’ensemble de la population générale qui reçoivent des revenus. La pauvreté extrême semble toujours augmenter au Québec.
Le salaire “moyen” ne nous informe pas non plus du fait qu’il y a sûrement des gens à 400$ de l’heure qui ont eu droit à de belles augmentations juteuses et qui font sûrement beaucoup augmenter cette “moyenne”. Et la médiane, elle?
Les médias semblent (encore!?) avoir relayé une fausse bonne nouvelle… alors merci pour cette analyse intéressante qui apporte certaines nuances importantes à considérer pour comprendre.
Augmenter les salaires contribue à augmenter l’inflation.
Pourquoi personne ne parle d’éliminer l’inflation systémique?
Il faut détruire à tout jamais le pouvoir des banques privées de créer et d’utiliser l’argent dette!