Syndicalisme | Les syndicats nuisent-ils à la productivité ?
1 Décembre 2025
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Durant la dernière année, le gouvernement de François Legault a multiplié les mesures contraignantes à l’encontre du syndicalisme au Québec. La proximité de la Coalition Avenir Québec (CAQ) avec le monde des affaires peut expliquer son biais défavorable aux organisations qui défendent l’intérêt des travailleurs et des travailleuses. Il n’en demeure pas moins que plusieurs des politiques antisyndicales – et antidémocratiques – mises de l’avant par le gouvernement sont fondées sur une analyse erronée du rôle des syndicats dans la société québécoise et des conséquences de leur présence. Dans cette série d’articles, l’IRIS déboulonne les mythes sur le syndicalisme et met en relief la grande diversité des enjeux liés à l’action de ces regroupements de salarié·e·s.
Nous avons vu dans un article précédent que le taux de syndicalisation au Québec (37 %) est plus élevé que celui de l’Ontario (25 %). Or, de nombreux commentateurs – et le premier ministre du Québec lui-même – soulignent que le Québec présente justement une productivité plus faible que celle de l’Ontario. Alors que le gouvernement s’apprête à serrer la vis aux syndicats avec des projets de loi qui restreignent leur capacité d’action, doit-on déduire que c’est parce que le taux de syndicalisation est plus élevé au Québec que la productivité y est plus basse ?
Cette question du lien entre syndicats et productivité fait l’objet de débats universitaires depuis longtemps. La théorie économique néoclassique dominante tendrait à répondre à cette question par l’affirmative. Or, certaines publications scientifiques récentes qui se sont penchées sur des cas réels plutôt que des abstractions remettent en question cette vision des choses. Citons quelques exemples.
En 2020, en se penchant sur une croissance de la syndicalisation en Norvège causée par un changement du traitement fiscal des cotisations syndicales, Erling Barth, Alex Bryson et Harald Dale-Olsen ont observé que non seulement cette croissance n’a pas nui à la productivité, mais qu’elle l’a fait croître. L’une des hypothèses pour expliquer cette amélioration est le « voice effect » : les milieux de travail nouvellement syndiqués donnent une voix aux travailleurs et aux travailleuses, ce qui favorise la résolution de problèmes. Ces réussites rendent le travail plus facile, plus agréable et plus épanouissant, ce qui a pour conséquence d’augmenter la productivité. En d’autres mots, une personne qui se sent heureuse et utile dans son emploi accomplit plus de boulot qu’une personne qui se sent aliénée par son travail.
Toujours en 2020, Girish Balasubramanian et Sanket Sunand Dash ont étudié 91 firmes avec la plus haute capitalisation boursière en Inde pour voir les effets de l’absence ou de la présence de la syndicalisation. Ils ont, eux aussi, découvert que le taux de syndicalisation avait un impact globalement positif sur la productivité des entreprises. Pour expliquer ces résultats, les deux chercheurs postulent que, comme les syndicats sont très respectés en Inde, ces organisations ressentent l’obligation non écrite de s’assurer que les firmes aient un impact positif sur les communautés où elles agissent. Cette relation plus harmonieuse avec les communautés favoriserait en retour un plus grand engagement des employé·e·s dans les entreprises.
En mars 2025, Mohamed Shaker Ahmed et Charilaos Mertzanis ont publié une étude qui prend le chemin inverse. Plutôt que de s’intéresser à la syndicalisation, ils se sont concentrés sur la mise en place de réglementations contre les syndicats (right to work laws) aux États-Unis. Leur constat est celui d’une diminution de la productivité dans les entreprises à la suite de l’imposition de ce type de loi. Les chercheurs constatent que ces résultats se vérifient en particulier pour les firmes qui dépendent davantage de l’innovation ou qui subissent d’importantes contraintes financières. Une hypothèse pour expliquer ce phénomène serait que la réduction du pouvoir syndical réduit l’engagement au travail.
Bref, il est possible d’identifier plusieurs cas de figure à l’étranger où la présence syndicale ne réduit pas, mais semble au contraire favoriser la productivité.
Et au Québec ?
Dans une étude publiée en 2024, les chercheurs Mathieu Dufour et Guillaume Hébert tentent de comprendre pourquoi la productivité est plus basse au Québec qu’en Ontario. La réponse est plus surprenante qu’il n’y paraît. En effet, il faut d’abord établir clairement que tous les secteurs économiques ne sont pas aussi productifs.
Dufour et Hébert donnent en exemple la productivité d’un restaurant et celle de la production hydroélectrique. Un restaurant produit une valeur correspondante à 22,64 $, en moyenne, pour chaque heure travaillée. En comparaison, pour la même heure de travail, la production hydroélectrique produit une valeur équivalente de 226,73 $.
Imaginons maintenant deux pays imaginaires. Dans l’un, tout le monde travaillerait dans la production hydroélectrique. Dans l’autre, tout le monde travaillerait dans des restaurants. Le premier serait beaucoup plus productif que le second, mais cette situation n’aurait rien à voir avec l’effort fourni par les travailleuses et les travailleurs. La raison de la différence se trouverait dans les secteurs industriels prédominant (la production d’électricité ou la restauration) dans chacun de ces deux pays imaginaires.
En plus, l’absence de restaurants nuirait au bien-être de la population dans le pays où tout le monde travaillerait dans la production hydroélectrique, alors que la hausse de la productivité est habituellement présentée comme un indicateur important parce qu’il permettrait soi-disant d’augmenter la qualité de vie.
Cette différence entre les secteurs industriels qui prédominent au Québec et en Ontario permet de faire une comparaison similaire à celle des deux pays imaginaires. Le Québec et l’Ontario n’ont pas investi dans les mêmes secteurs industriels pour un ensemble de raisons sociales, politiques, économiques et historiques. Or, ce que Dufour et Hébert démontrent, c’est que c’est cette différence dans le tissu industriel qui explique les écarts de productivité entre le Québec et l’Ontario et non pas les travailleurs et les travailleuses en soi.
En fait, comme le montre le graphique ci-bas, si le Québec avait le même tissu industriel que l’Ontario (les mêmes usines automobiles, le même secteur de transformation alimentaire, etc.), le Québec serait carrément plus productif que l’Ontario depuis 2013.
Ce résultat montre que la main-d’œuvre québécoise, mieux représentée par des syndicats, est plus productive que son homologue ontarienne. Le problème de productivité du Québec ne se situe donc pas dans sa force de travail, mais bien dans les choix d’investissements faits à travers les années. Ces choix, ce ne sont pas ceux des salarié·e·s ou de leurs syndicats, ce sont les choix des entrepreneurs et des gouvernements. Pour régler le problème de productivité, il ne faut donc pas s’attaquer aux syndicats, mais plutôt développer une politique industrielle qui permette de relever les problèmes auxquels le Québec est confronté (à commencer par la crise climatique).
Mais il est beaucoup plus facile de démoniser les syndicats que de s’attaquer à cet épineux problème…