Sortir du pétrole… et de l’automobile
14 janvier 2016
Le souvenir de la COP 21 plane au-dessus du plus emblématique des salons automobiles nord-américains, qui s’est ouvert hier à Detroit au Michigan. À Paris, il y a un mois, la 21e Conférence des Parties sur les Changements climatiques s’était achevée sur la promesse formulée par les pays participants de limiter leur impact sur le climat grâce à une réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Bien qu’il faille reconnaître les côtés positifs de cet accord, il faut aussi impérativement garder à l’esprit que c’est seulement en revoyant de manière radicale nos modes de production et de consommation que l’on peut espérer éviter des bouleversements climatiques désastreux.
Face à ce défi, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que les producteurs d’énergies fossiles se fassent harakiri pour encourager la cause environnementale. Au contraire, on sait maintenant que dès la fin des années 1970, des chercheurs mandatés par l’industrie pétrolière américaine avaient signalé l’apport des émissions de CO2 dans les changements climatiques, mais que ces connaissances ont par la suite été occultées pour ne pas nuire à leurs affaires.
Les actions récentes de TransCanada montrent aussi que les pétrolières sont prêtes à tout pour atteindre leurs fins. On apprenait ainsi la semaine dernière que l’entreprise albertaine avait déposé une poursuite de l’ordre de 15 milliards de dollars contre le gouvernement américain, alléguant que le rejet du projet de pipeline Keystone XL relevait d’un abus de pouvoir de la part du président Barack Obama. Comme le soulignait mon collègue Bertrand Schepper, cette cause montre bien le pouvoir démesuré de ces entreprises vis-à-vis des gouvernements et des citoyen.ne.s ordinaires. À cet effet, notons d’ailleurs que TransCanada a inscrit en décembre dernier Patrice Ryan au registre des lobbyistes du Québec en lui accordant le mandat de rendre le gouvernement provincial et les villes concernées favorables au projet de pipeline Énergie Est. Comme on l’apprenait aussi la semaine dernière, M. Ryan est, accessoirement, militant du Parti Libéral du Québec et membre de sa commission politique.
Notre dépendance aux énergies fossiles doit ainsi être interprétée à l’aune du pouvoir des entreprises qui en assurent le commerce. Cependant, la vigueur de ce secteur repose en grande partie sur un bien de consommation, la voiture, dont la diffusion massive dans la population a été et est encore une source de développement économique majeure qui a, en outre, changé drastiquement le mode de développement de nos villes. Plusieurs banlieues sont nées grâce au train, mais c’est l’automobile qui depuis environ un demi-siècle rend possible la vie en périphérie des villes plus densément peuplées – comme à Detroit d’ailleurs, dont le centre-ville s’est littéralement vidé en 50 ans.
Or tel que l’explique l’organisme Vivre en ville, « Actuellement, une personne qui réside dans les couronnes de l’aire métropolitaine de Montréal a (…), seulement pour ses transports quotidiens, un bilan carbone moyen une fois et demie plus lourd qu’un résidant de l’Agglomération de Montréal. ». Et puisque la croissance démographique est appelée à être plus forte en banlieue dans les années à venir, il faut s’attendre à voir toujours plus d’automobiles sur nos routes, alors que les émissions de gaz à effet de serre attribuables au secteur du transport ont déjà augmenté de 25% entre 1990 et 2012. En revanche, la tendance à l’étalement urbain est si forte qu’elle expliquerait en partie la diminution observée dans les deux dernières années de la circulation automobile sur les ponts et les autoroutes de Montréal. Le fait que la construction de maisons unifamiliales ait atteint un creux historique en 2015 au profit des appartements pourrait en ce sens être considéré comme une bonne nouvelle, à condition bien sûr qu’il ne s’agisse pas d’une simple phase d’un cycle qui n’aurait alors pas d’effet permanent sur l’aménagement et la densité des villes québécoises, tel que semblent malheureusement l’indiquer les données compilées par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) à ce sujet.
Sortir du pétrole n’est donc pas une mince tâche. Il faudra trouver des sources d’énergie qui aient une empreinte moins grande sur l’environnement, certes, mais c’est aussi tout notre rapport au territoire et à la mobilité qu’il faudra revoir si l’on veut s’assurer d’utiliser les ressources naturelles dans le respect de l’équilibre écologique de la planète.