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La montée des technocrates

19 mars 2012

  • Guillaume Hébert

Ce n’est pas d’hier que les tenants de la droite libérale font la promotion de traités économiques entre les nations qui limitent considérablement le champ d’action des pouvoir publics dans la société.

Mais jusqu’à présent, en Occident, ils s’étaient abstenus de faire et défaire des gouvernements comme ils l’ont fait ces derniers mois en Grèce et en Italie. Dans ces pays, la démocratie s’est inclinée devant une autre forme de légitimité, la technocratie, soit le pouvoir qui repose sur la maîtrise de la technique.

Et de nos jours, maîtriser la technique, c’est connaître les marchés financiers et en être très proche.

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En novembre dernier, un article de l’Agence France-Presse (AFP) avait beaucoup attiré mon attention. Dans ce texte, les deux auteures cherchaient une explication à ce qu’elles décrivaient comme un « faux pas majeur » du président grec d’alors, Georges Papandréou, qui avait convoqué le pays à un référendum sur un accord conclu avec les pays de la zone euro et des banquiers afin de “sauver” la Grèce.

Un peu comme si Papandréou avait annoncé qu’il siégerait désormais vêtu d’un déguisement d’Antigone, l’article citait un professeur de science politique affirmant que seul le « recours à une psychanalyse » permettrait de comprendre pourquoi Papandréou avait opté pour le référendum plutôt que soumettre illico son pays à un nouveau plan d’austérité.

Ainsi, l’article suggère de faire appel à la psychanalyse mais en aucun cas il n’évoque une légitimité politique que Papandréou pourrait avoir besoin pour appliquer des mesures aussi draconiennes au  peuple grec.

C’est dire comment, aux yeux de certains commentateurs, l’aval démocratique qui doit permettre aux élus de gouverner est secondarisé, voire carrément nié, dans les priorités de la gestion des affaires européennes.

Le cas de l’Italie confirme cette « montée de la technocratie », pour reprendre le titre d’un éditorial du journal britannique The Guardian. En effet, les marchés financiers ont réussi là où les scandales de prostitution et de corruption avaient échoué : obtenir la tête du premier ministre Silvio Berlusconi. Son remplaçant, Mario Monti, n’a pas été élu par le « démos », il a été désigné comme nouveau chef du gouvernement pour son expérience de gestionnaire (il est économiste et ex-commissaire européen) et peut-être aussi, l’hypothèse est valide, pour sa proximité avec les marchés financiers (Monti est un ancien conseiller de Goldman Sachs).

Monti, nommé sénateur à vie une semaine avant d’être nommé premier ministre, a formé un gouvernement entièrement composé de « spécialistes non-alignés [politiquement] » afin d’avoir moins de « désaccords ».

Au Vatican, le Pape est en connexion haute vitesse avec Dieu. À Rome, Monti est directement branché sur les flux de l’économie mondiale. Que diable reste-t-il à débattre ?

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En 2005, lorsque les processus démocratiques en France et aux Pays-Bas ont abouti sur un « non » au projet de Constitution européenne, les Européens ont pris acte de la décision populaire et ont abandonné… les processus démocratiques. Le traité (libéral) de Lisbonne en 2007 n’a donc pas été soumis aux populations et a été ratifié par des parlementaires plutôt que référendum.

Alors que c’est habituellement l’extrême-droite européenne qui est perçue comme la principale menace à la démocratie – à ce chapitre, la Hongrie connaît actuellement une dérive fascisante sous le gouvernement de Viktor Orban – les technocrates affichent à leur tour leur propension à dédaigner, sans subtilité aucune, les processus démocratiques.

En dernier ressort, c’est la technocratie néolibérale européenne qui prend les décisions. Ces banquiers, cambistes et économistes assoient leur autorité sur la base de leur proximité aux marchés. Ils ont réussi ces pirouettes politiques durant les dernières années en dépit de leur responsabilité dans la dernière crise. Le même entêtement néolibéral les amène à servir l’austérité comme unique plan de relance européen et comme plan de sauvetage des États en difficulté. Le remède pourrait bien tuer le patient.

Tôt ou tard, cette technocratie devra rendre des comptes aux populations qu’elle prétend servir. Ces dernières auront alors tout le loisir d’enseigner une fois de plus aux néolibéraux de tout acabit que l’économie n’est pas qu’une affaire de technique. Mais d’ici là, quels dommage auront été infligés aux capacités d’action collective ?

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