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La foi aveugle

18 février 2015

  • Julia Posca

On apprenait la semaine dernière que l’Observatoire du Mont-Mégantic (OMM) restera ouvert pour au moins deux ans grâce à des fonds débloqués par le gouvernement fédéral. Celui-ci était sous le feu de la critique depuis que le conseil d’administration de l’OMM avait annoncé que, faute de moyens pour poursuivre les activités de l’observatoire le mieux équipé et le plus performant du Canada, il mettrait la clé dans la porte le 1er avril. À moins d’un an des élections fédérales, c’est le genre d’ombre au tableau que le parti Conservateur (PC) ne pouvait se permettre de traîner.

En temps « normal », le PC n’affiche que très peu de considération pour la connaissance scientifique, et l’atteinte de l’équilibre budgétaire est devenue le prétexte idéal pour effectuer des coupes que d’aucuns considèrent comme idéologiques. Voici pour rappel certains des secteurs de la recherche qui ont écopé depuis l’arrivée au pouvoir des troupes de Stephen Harper :

  • abolition du programme de recherche de Pêches et Océans (MPO) sur les contaminants;
  • fermeture de sept des onze bibliothèques scientifiques de Pêches et Océans Canada, dont la bibliothèque de l’Institut Maurice-Lamontagne, seule bibliothèque francophone du MPO;
  • fermeture du Laboratoire de recherche atmosphérique en environnement polaire;
  • compressions aux conseils de recherche du Canada;
  • abolition du questionnaire long du recensement et coupures à Statistique Canada;
  • diminution du budget pour la recherche effectuée au sein du ministère de la Justice;

en tout, quelques 2000 scientifiques et chercheur.e.s relevant du gouvernement fédéral auraient perdu leur emploi.

Ajoutons à cette liste d’autres décisions qui semblent avoir été motivées par le mépris du parti Conservateur pour la science telles que le retrait du protocole de Kyoto, la modification de la loi sur les Pêches limitant la protection des espèces marines, la révision des processus d’évaluation environnementale ou encore les compressions à l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Et mentionnons enfin que le gouvernement est soupçonné de museler ses scientifiques afin de contrôler leurs communications avec les médias et de chercher à bâillonner des organismes en environnement jugés trop critiques d’Ottawa.

Il est tentant de voir dans ce sombre portrait le reflet de l’idéologie obscurantiste qui a cours dans les rangs conservateurs. Le penchant créationniste de l’ancien ministre d’État pour la science et la technologie Gary Goodyear (2009-2013), qui ne voulait pas qu’on l’enquiquine avec la théorie de l’évolution, a certainement contribué à alimenter cette perception. Pourtant, la croyance de certains membres du PC dans un dessein intelligent semble anecdotique à côté de la foi sans bornes de ce gouvernement dans les bienfaits de la croissance économique. Cette vision est clairement exposée dans un document stratégique de 2014 intitulé Un moment à saisir pour le Canada. Aller de l’avant dans le domaine des sciences, de la technologie et de l’innovation, dont voici un extrait, et qui fait suite à la première stratégie du PC pour les sciences et la technologie, Réaliser le potentiel des sciences et de la technologie au profit du Canada, adoptée celle-ci en 2007 :

« Partout dans le monde, des pays se livrent concurrence pour attirer et retenir des entreprises multinationales sur leur territoire, et intégrer leurs entreprises nationales aux chaînes de valeur mondiales. (…) Pour garder le pas, les pays doivent rapidement se développer et s’adapter aux nouvelles plateformes technologiques (…), exploiter des systèmes de données volumineux et complexes (mégadonnées) et adopter des politiques scientifiques ouvertes afin de faciliter la collaboration. La disponibilité d’une infrastructure de recherche et numérique de pointe est également essentielle pour réussir. (…) les pays qui excelleront en ces domaines jouiront d’un avantage concurrentiel dans les années qui viennent. (…) Maintenant, le Canada a besoin que plus d’entreprises canadiennes favorisent une croissance axée sur l’innovation et prennent de l’expansion sur les marchés mondiaux. »

On constate que le savoir est ici réduit à l’ensemble des techniques ou technologies pouvant être échangées ou qui entrent dans la chaîne de production de d’autres biens et services. Loin de se débarrasser de la science par souci d’économies budgétaires, le PC l’instrumentalise pour favoriser la productivité des entreprises du pays – et là-dessus, sa position diffère peu de celle du gouvernement Couillard. Dans ce contexte, les connaissances scientifiques montrant le caractère nocif, polluant, ou non sécuritaire d’un projet économique sont évidemment jugées inutiles ou nuisibles.

Ainsi, il se peut que notre premier ministre voie dans le divin la source de notre existence et l’explication de la gloire de notre nation. C’est loin d’être banal et il faut s’en inquiéter. Mais s’il existe un dogme au sein de ce gouvernement qui devrait nous préoccuper, c’est cette obsession pour les brillants exploits économiques que pourraient réaliser les entreprises canadiennes si seulement l’on cessait de s’en faire autant avec l’état des cours d’eau, la qualité de l’air, la richesse des sols et la longévité de toutes ces bestioles qui, comme le béluga et l’ours polaire, ne font au mieux que décorer la terre de nos aïeux.

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