Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

Campagne électorale québécoise : trois partis, trois élites

10 septembre 2012

  • Philippe Hurteau

L’élection québécoise est finalement derrière nous. Les résultats sont connus, le suspense est passé. Il ne sera pas question dans ce texte de faire un bilan de cette campagne ou du degré de satisfaction ou de désespoir que sa conclusion peut permettre. Cette campagne fut toutefois très intéressante lorsque l’on s’intéresse à la vision de l’économie projetée par les principaux partis. Il ne s’agit pas de se demander, comme trop d’analystes le font, si l’économie a occupé suffisamment d’espace dans les débats ou encore de faire la déclinaison des thèmes abordés, mais bien de comprendre de quelle économie il a été question.

La campagne des trois principaux partis, soit le Parti Québécois (PQ), le Parti libéral du Québec (PLQ) et la Coalition avenir Québec (CAQ) révèle bien évidemment de grandes similitudes chez les partis qui aspirent à gouverner le Québec. D’un point de vue d’ensemble, les trois partis en présence partagent une même vision du développement économique et de la création de la richesse. Comme le relevait le président du Conseil du patronat du Québec l’automne dernier dans une lettre ouverte, la création de la richesse doit primer sur sa distribution. Cette assertion, que l’on nous répète ad nauseam, reflète très fidèlement la conception économique des partis en présence.

Tant pour le PQ, le PLQ et la CAQ, l’économie existe de manière indépendante de la société et est donc en mesure d’imposer ses priorités à l’ensemble des différents plans sociaux d’existence. C’est au nom de l’économie que les trois partis se rejoignent et font la promotion, par exemple, de la création de nouvelles zones de libre-échange, de l’accroissement du support étatique à l’investissement privé, de l’accélération de l’exploitation des ressources non-renouvelables, etc. Dans chacun des partis, les dogmes socio-libéraux et néolibéraux ont fait leur bout de chemin : la prise en charge par l’État des questions sociales ne devient justifiable que si une rentabilité de nature économique peut en être dégagée.

Comment expliquer, malgré cette homogénéité d’ensemble, les différences qui subsistent dans l’articulation des propositions économiques des partis? Pourquoi le PLQ s’acharne-t-il autant à soutenir le secteur de la finance et l’industrie minière et énergétique? Pourquoi le PQ favorise-t-il un positionnement stratégique de l’État comme moteur de prospérité? Et pourquoi la CAQ fait-elle la promotion d’une économie de propriétaires? Une piste de réponse à ces questions se trouve dans les divisions propres aux élites québécoises et à l’alignement politique de ces dernières.

PLQ : secteur financier et investissements internationaux

Traditionnellement, le PLQ est considéré comme étant très proche du milieu des affaires en général, mais encore plus particulièrement du monde de la finance qui, au Québec, est encore aujourd’hui à forte prédominance de souche anglaise. Cette accointance historique entre d’une part un des secteurs du patronat le plus farouchement opposé aux politiques sociales et, d’autre part, le parti politique qui a gouverné le Québec durant neuf ans a produit son lot de résultats désastreux pour la population québécoise. L’action économique des trois mandats du gouvernement Charest est sans équivoque. Dès que l’État québécois a eu une occasion de favoriser le secteur de la finance, il l’a fait. Citons quelques exemples. En 2007, le gouvernement Charest a annoncé l’élimination progressive de la taxe sur le capital des institutions financières; sous couvert de lutter contre la dette publique il crée en 2006 le fonds des générations (qui n’est en fait qu’un fonds spéculatif) en finançant ce fonds au prix d’un alourdissement de l’endettement public contracté à même des emprunts auprès des compagnies financières; il annonce en 2011 la hausse des droits de scolarité, ce qui ne ferait qu’augmenter la capacité des banques à bénéficier encore davantage de l’endettement des étudiant-es; lors du dernier budget avant les élections, le gouvernement a créé les Régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER), un outil de placement qui permet d’augmenter les sommes confiées aux gestionnaires de fonds privés; etc.

La dernière campagne ne fait pas exception à cette constante du PLQ. La priorité du gouvernement défait était d’ouvrir le Nord québécois aux grandes entreprises minières et de poursuivre ses stratégies de développement basées sur sa proximité avec le monde de la finance.

PQ : technocratisme et nationalisme

Le PQ se distingue bien évidemment du PLQ, tant par sa position sur l’avenir politique du Québec que par son origine historique. Plusieurs historiens soutiennent que le PQ, à son origine, fut le premier parti politique de type populaire de l’histoire du Québec. « Populaire » en raison de son grand nombre d’adhérents, mais surtout parce qu’il aura réussi à incarner les volontés d’émancipation et de progrès social portées par une part non négligeable de la population québécoise.

Pourtant, le PQ s’est rapidement dissocié de cette base historique pour devenir un parti de gouvernement. Il conserve pourtant un fort ancrage au sein des mouvements populaires et parvient, souvent par cooptation, à maintenir dans sa sphère d’influence différents leaders de la gauche institutionnelle (syndicale, étudiante, communautaire). Dans l’univers politique québécois, le PQ est le parti de la concertation qui appuie la réalisation de son programme social et économique sur la collaboration entre une technocratie d’État progressiste, une classe d’affaires nationaliste et des représentants des mouvements sociaux « raisonnables ».

Après un virage à droite durant les années 1990, la dernière campagne électorale a vu la résurgence du projet techno-nationaliste péquiste, notamment sur la question du contrôle des ressources naturelles. Le PQ partage la plupart des objectifs économiques de ses adversaires (croissance économique soutenue, création de la richesse par stimulation des investissements, etc.), à la différence qu’il pense leur réalisation au moyen d’une alliance entre élite d’État et élite économique et non, comme c’est le cas au PLQ, par la soumission de la première à la seconde.

CAQ : élites régionales

La CAQ est un parti issu d’une scission double et d’une rencontre inédite au Québec. Le monde des affaires est traditionnellement divisé en deux au Québec. Une classe d’entrepreneurs nationalistes qui se soumettent, bon gré mal gré, à voir l’État intervenir massivement dans l’économie et une autre classe d’entrepreneurs, plus souvent farouchement fédéralistes, et qui s’opposent à toutes formes de présence de l’État dans l’économie par crainte de voir se développer une infrastructure économique capable de concrétiser le projet d’indépendance. Des parts substantielles de ces deux groupes, depuis le référendum de 1995, se sont désolidarisées de leurs partis politiques traditionaux (PQ-PLQ). La CAQ, comme parti, est la tentative d’opérer la rencontre de ces sections du patronat politiquement orphelines. Elle réussit particulièrement bien dans les régions où les entrepreneurs doivent adhérer au modèle péquiste de « subventionnariat » ou, selon la vision du PLQ, vivre au crochet d’une économie propulsée sur les marchés financiers à partir du dynamisme de la métropole ou de l’exploitation à tout crin des ressources. La CAQ offre une alternative, bien vague encore et proche de l’autonomisme adéquiste, à ces deux perspectives peu réjouissantes pour le petit entreprenariat local.

Peut donc cohabiter au sein de ce parti des éléments qui pourtant s’opposaient les uns aux autres. Plus fondamentalement, nous voyons une forme de ralliement des petites bourgeoisies régionales autour de la CAQ, autant en raison du discours nationaliste de cette dernière qu’en raison de la mobilisation d’un discours populiste antiétatique et antisocial. Le « dépassement » à droite de la question nationale, qui ne pourrait se produire à gauche tellement les forces progressistes québécoises sont acquises à l’idée d’indépendance, voit donc advenir sur la scène politique un parti rigoureusement similaire au PLQ à la différence près que les allégeances passées de son chef et de plusieurs de ses membres le rendent encore suspect aux yeux des représentants de la haute finance.

Les minces différences en matière de pensée économique entre les partis pouvant prétendre au pouvoir tiennent donc du côté des priorités mises de l’avant et ces priorités sont dictées par les assemblages de groupes qui composent leur membership, mais surtout leurs têtes dirigeantes. Pour penser les campagnes électorales économiques, on doit d’abord penser l’économie des campagnes électorales. En effet, ceux qui organisent les financements (licite ou non, on le sait maintenant) des partis, ont gros à voir avec l’uniformité de la pensée économique distillée par les différents partis.

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous