Avons-nous vraiment accès à l’information au Québec?
17 mai 2016
Après plusieurs années d’usage des demandes d’accès à l’information, j’en suis venu à croire que notre système d’accès à l’information pose de sérieux problèmes au Québec. J’en vois trois en particulier qui limitent grandement la capacité de bien comprendre ce qui se passe dans notre secteur public (parce que, bien sûr, si vous faites des recherches sur le secteur privé, vous n’avez tout simplement aucun droit d’accès à l’information, ce qui est probablement la plus grande aberration de la loi). Je les formule non comme un expert de la Loi sur l’accès à l’information, ce que je ne suis pas, mais comme une des personnes qui l’utilisent fréquemment, ayant fait probablement plus d’une centaine de demandes d’accès à des documents au cours des dix dernières années.
1. Le flou entourant la notion d’« information » et de « documents »
Le système d’accès à l’information du Québec permet d’avoir, en fait, accès à des documents. Chaque organisme, société d’État ou ministère nomme une personne responsable de l’accès à l’information. Si vous voulez avoir accès à une information, vous lui écrivez et vous lui demandez le document dont vous avez besoin. Cette personne a alors 20 jours pour vous répondre (délai qu’elle peut étendre de 10 jours). Le but n’est pas que cette personne crée un document pour vous (ce qui demanderait beaucoup de travail), mais qu’elle vous donne accès à de l’information qui existe déjà.
Si vous avez en tête un document précis ou, même simplement, une information qui est disponible dans un document précis et que la personne responsable à l’accès à l’information connaît ce document et l’information qu’il renferme, ça fonctionne plutôt bien et relativement rapidement.
Mais admettons que vous aimeriez savoir comment fonctionne tel aspect de telle organisation, une pratique de gestion quotidienne, une façon de s’organiser : tout n’est pas écrit dans la vie, beaucoup de ce qui fait la vie et l’action d’une organisation ne se trouve dans aucun document. Bien sûr, vous pouvez appeler une ligne d’information générale, mais souvent votre demande sera trop précise pour la personne qui y travaille, sans être pour autant disponible dans un document. Reste les personnes responsables aux communications – si elles veulent bien vous parler même si vous n’êtes pas journalistes – qui vous donneront généralement la « cassette » de l’organisation, c’est-à-dire le point de vue officiel et très général sur la question que vous posez.
Vous tombez donc dans la zone de flou : vous souhaitez une information qui n’est pas dans un document, mais qui existe néanmoins, et on ne vous la donnera pas à cause du fonctionnement de la loi. Qu’en est-il lorsque vous souhaitez avoir des informations sur le fonctionnement d’une application Web ou que vous désirez avoir l’ensemble du contenu d’une base de donnée sans passer par le module prévu à cet effet par l’organisme? Encore une zone de flou, qui s’aggrandit chaque année.
2. Les délais : entre refus d’accès et déni de droit
Si la personne responsable de l’accès à l’information vous refuse l’accès à un document, vous pouvez en appeler à la Commission d’accès à l’information. Or, la commission ne peut vous recevoir illico : il faut attendre un an et parfois plus avant une décision. Si vous travaillez sur du court terme, ça vous pose un sérieux problème. En effet, le refus d’accès de l’organisme en question est, d’une certaine façon, le jugement final, car l’information à laquelle vous demandez accès ne sera plus pertinente pour vous dans 8, 12 ou 18 mois.
Supposons qu’un organisme ne souhaite pas répondre à une demande, non pas parce qu’il pense que la loi lui permet de vous refusez l’accès, mais pour d’autres raisons (politiques, communicationnelles, économiques). Que perd-il à vous refuser l’accès en invoquant un article quelconque de la loi et en tablant sur le fait que vous ne contesterez pas devant la commission? De toute façon, vous n’avez aucun intérêt à recevoir cette information si tard.
Et même si vous contestiez? Au pis aller, l’organisme sera tenu de vous donner tardivement l’information (il aura donc eu le temps de se préparer adéquatement aux conséquences de sa diffusion) et ne subira aucune pénalité. Étendons la logique : certains organismes pourraient bien choisir de refuser systématiquement toutes les premières demandes et de ne rendre accessibles les documents que lorsque la commission les y force. Qu’ont-ils à perdre? Ils économisent en temps de travail et de recherche et, au pire, ils doivent diffuser, in fine, certains document sur le tard. Qui sont les seuls perdants de cette stratégie? Le public et son droit à l’information.
3. La fin de l’histoire
Supposons quelqu’un qui souhaite étudier l’histoire d’une organisation publique. La recherche historique suppose nécessairement une approche au moins partiellement inductive, c’est-à-dire qu’on regarde l’ensemble des documents d’archives et qu’on tente d’y trouver les moments forts, les points saillants. Toutefois, la loi et les habitudes des organismes ne sont pas du tout en phase avec cette démarche. Au contraire, on fonctionne plutôt en supposant qu’on sait ce qu’on veut et qu’on demande une information précise. Si vous demandez à une personne responsable de l’accès à l’information l’ensemble des documents portant sur tel secteur de l’organisation, elle aura tôt fait de dire que vous faites une demande abusive et vous refuser l’accès.
Bref, la loi suppose qu’avant d’étudier l’histoire d’une organisation, vous devriez… connaître son histoire. En bloquant le processus d’une recherche historique indépendante des organismes publics et en rendant ceux-ci à la fois juges et parties dans l’ouverture de leurs archives, notre système d’accès à l’information empêche un regard historique critique.
Les problèmes que je soulève ne se règlent peut-être pas tous par des changements à Loi sur l’accès à l’information, il y a peut-être d’autres voies à emprunter. Chose certaine, il faut commencer à concevoir de nouvelles façons d’avoir accès à l’information quant à l’action gouvernementale.