L’efficacité des campagnes de boycottage
27 février 2025
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Les appels au boycottage se multiplient depuis le mois dernier. En réaction aux tarifs douaniers que le gouvernement Trump menace d’imposer au Canada, 75% des Québécois·es disent appuyer l’idée de boycotter les produits et services américains, selon un sondage de La Presse. Dans les grands quotidiens, de nombreux lecteurs et lectrices écrivent pour signaler leur intention d’annuler un abonnement à une plateforme américaine, de cesser d’acheter des marchandises des États-Unis ou encore de changer leur destination voyage. En même temps, les travailleurs et les travailleuses des entrepôts d’Amazon appellent les Québécois·es à boycotter la compagnie pour protester contre la fermeture de ses sept entrepôts du Québec et le licenciement de plus de 4 500 personnes. Le retour en force du boycottage a suscité un débat public sur l’efficacité de cette tactique. Certains la jugent à peu près inutile, tandis que d’autres disent plutôt qu’elle peut entraîner de réelles conséquences économiques.
Qu’en est-il réellement? Est-ce que le boycottage est une arme économique efficace? La recherche n’est pas unanime à ce sujet, notamment parce qu’il est parfois difficile de distinguer les effets du boycottage de ceux d’autres facteurs économiques et sociaux. En Europe, on constate en ce moment une baisse drastique des ventes de Tesla. Cette baisse est attribuable en partie à un mouvement de boycottage contre Elon Musk, le dirigeant de la compagnie, dont la participation au gouvernement Trump et le soutien à l’extrême droite agissent comme repoussoirs pour des client·e·s potentiel·le·s. Mais la diminution des ventes coïncide aussi avec l’apparition de concurrents dans un marché des véhicules électriques qui bat de l’aile. Il est donc trop tôt pour juger de l’efficacité de ce boycottage de Tesla, même si les premiers indices sont prometteurs. Des études démontrent tout de même qu’une campagne de boycottage peut faire baisser les ventes ou encore réduire la valeur des actions des entreprises visées.
Le sociologue Brayden King s’est penché sur 189 compagnies américaines ciblées par des boycottages. Il en a conclu qu’elles avaient cédé aux demandes des boycotteurs et des boycotteuses dans 53 cas. Ce taux de succès de 28% est considérable lorsqu’on sait que les campagnes de boycottage sont souvent menées par des acteurs sociaux (groupes écologistes, organismes de défense des droits et libertés, regroupement de consommateurs et de consommatrices, etc.) dont le pouvoir face aux grandes entreprises est généralement limité.
Le boycottage des raisins de la Californie à la fin des années 1960 et au début des années 1970 demeure un exemple important de boycottage réussi. Grâce entre autres à leur campagne de boycottage qui a été endossée par de nombreux syndicats et groupes populaires en Amérique du Nord, les travailleurs et les travailleuses latino-américain·e·s des champs de Californie ont obtenu des améliorations significatives de leurs conditions de travail et un encadrement plus strict de l’usage des pesticides. Plus récemment, la campagne de soutien à la Palestine BDS (pour « Boycott, désinvestissement et sanctions ») a notamment réussi à forcer la fermeture d’une usine de SodaStream dans les territoires occupés de la Cisjordanie. Elle a aussi poussé l’opérateur de prisons et fournisseur d’équipement de sécurité G4S à se retirer d’Israël.
Il y a un consensus scientifique autour de l’idée que le boycottage a plus de chances de réussir s’il est ciblé et s’il s’appuie sur un message clair. En ce sens, Amazon apparaît comme une cible de choix. La fermeture abrupte des entrepôts québécois de la compagnie n’est que la dernière en date d’une longue série de pratiques répréhensibles, dont l’évitement fiscal, la surveillance autoritaire et la tromperie en ce qui concerne son bilan environnemental déplorable. Le deuxième plus gros employeur au monde est aussi dirigé par un multimilliardaire qui ne cache plus ses accointances avec Trump.
Jusqu’ici, le boycottage d’Amazon a permis de braquer les projecteurs sur la situation des travailleurs et des travailleuses de l’économie numérique, dont les ramifications matérielles et sociales sont invisibilisées. Il offre une occasion de reconfigurer les secteurs de la logistique, des services web et de l’achat en ligne au Québec. Plusieurs institutions, dont le cégep de Drummondville et la ville de Magog, ont décidé qu’elles cessaient de faire affaire avec la compagnie. Si d’autres administrations leur emboîtent le pas, il serait possible de réduire considérablement le poids d’Amazon dans l’économie québécoise. Sous la pression, le gouvernement Legault vient d’ailleurs d’annoncer qu’il entend décourager les achats sur les plateformes en ligne étrangères comme Amazon pour privilégier l’achat local.
La conjoncture est donc favorable à des changements de pratique qui peuvent atténuer le pouvoir des multinationales américaines et favoriser les entreprises québécoises. Ce mouvement en faveur de l’économie locale est somme toute positif, mais il ne doit pas nous faire oublier qu’une compagnie québécoise ne sera pas forcément plus respectueuse de ses employé·e·s, comme l’ont montré l’antisyndicalisme de Couche-Tard, les licenciements massifs de Bombardier ou le recours aux briseurs de grève chez Renaud-Bray. Pour faire face au vent de droite qui souffle des États-Unis, il faudra des changements plus profonds, dont la démocratisation des entreprises.