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Justin Trudeau, relationniste pour Amazon?

28 février 2023

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4min


La compagnie Amazon est le deuxième employeur privé au monde, et son patron, Jeff Bezos, un des hommes les plus riches de la planète. L’entreprise fait des profits impressionnants, notamment grâce à d’habiles manœuvres d’évasion fiscale. On s’attendrait donc à ce qu’elle puisse se payer une bonne équipe de relationnistes. On dirait pourtant qu’elle a recours aux services pro bono du premier ministre du Canada. À au moins trois reprises, Justin Trudeau a en effet participé aux conférences de presse annonçant la construction ou l’inauguration d’un nouveau centre d’Amazon, une pratique pour le moins questionnable.

La question des liens de proximité entre le gouvernement libéral et le géant du commerce en ligne avait été soulevée en 2017 par une enquête de Radio-Canada qui dévoilait qu’il y avait eu pas moins de 99 rencontres de lobbying entre des représentant·e·s d’Amazon et des membres du gouvernement dans les douze mois précédents. Puis, en 2020, le gouvernement Trudeau avait été critiqué pour avoir confié à Amazon un important contrat de distribution d’équipements de protection contre la COVID-19. Au lieu de faire appel à Postes Canada ou à des entreprises canadiennes, le gouvernement fédéral faisait affaire avec une multinationale qui était déjà dénoncée pour sa négligence en matière de précautions contre la COVID-19 dans ses entrepôts.

En 2017, alors qu’Amazon invitait les villes d’Amérique du Nord à soumettre leur candidature pour héberger son nouveau quartier général, Justin Trudeau avait envoyé une lettre à Jeff Bezos pour vanter l’environnement favorable aux affaires du Canada, dans l’espoir que la compagnie s’y établisse. On peut se demander dans quelle mesure le Canada aurait bénéficié de ces investissements, puisqu’on sait qu’Amazon est un champion de l’évitement fiscal.

Qu’en est-il des répercussions d’Amazon sur l’emploi? Chaque fois que Justin Trudeau a participé à une conférence de presse d’Amazon, il a fait l’éloge des centaines d’emplois qui seraient créés par la compagnie. En réalité, le bilan d’Amazon en la matière n’est pas nécessairement positif. En favorisant la croissance du commerce en ligne, Amazon menace les petits commerces locaux. D’après une étude de l’Institute for Local Self-Reliance, Amazon aurait fait disparaître deux emplois pour chaque emploi créé, pour une perte nette de près de 150 000 emplois en 2015 aux États-Unis. De plus, l’arrivée d’Amazon a tendance à concentrer les emplois dans de grands entrepôts excentrés, contrairement aux petits commerces qui sont généralement mieux répartis sur le territoire et qui contribuent donc au dynamisme des villes et villages.

Technologie et contrôle social

À l’inauguration du centre de distribution de Brampton en banlieue de Toronto, le premier ministre du Canada soulignait que ce nouvel entrepôt d’Amazon utiliserait des technologies robotiques de pointe (« cutting-edge robotic technology ») pour servir la clientèle de l’entreprise. Pour certaines personnes, ce genre de discours peut évoquer une sorte d’utopie technofuturiste dans laquelle nous serions libéré·e·s du travail. Malheureusement, le monde qu’Amazon veut construire est bien plus sombre.

En régime capitaliste, les nouvelles technologies ont souvent été utilisées en premier lieu pour asservir et discipliner les travailleurs et les travailleuses. Sous la direction d’Amazon, cette logique atteint de nouveaux sommets. Les technologies utilisées par la compagnie servent surtout à surveiller les employé·e·s, ainsi qu’à fragmenter et à intensifier leur travail.

Les employé·e·s de l’entreprise sont épié·e·s en permanence par de nombreuses caméras : « Tout ce que vous faites ici est sur caméra, sauf peut-être les toilettes. Tout ce que vous faites, ils le savent », dit une employée. Cette surveillance constante contreviendrait possiblement à la Charte des droits et libertés du Québec.

De manière encore plus intrusive, les employé·e·s des entrepôts doivent porter un appareil attaché à leur bras. Cet appareil dicte leurs moindres gestes. Il scanne les produits, indique où les placer et propose une séquence de mouvements à effectuer, par exemple : « utiliser cette main, puis celle-ci », en suivant précisément les instructions. Les gestes posés sont enregistrés, ce qui permet à la compagnie de connaître en temps réel la performance du personnel et de savoir en tout temps quelles erreurs ont été commises. Les employé·e·s sont alors réprimandé·e·s ou pénalisé·e·s si l’on juge que leur rythme de travail n’est pas à la hauteur ou s’ils et elles commettent trop de fautes. Avec ces méthodes, les travailleurs et les travailleuses sont davantage soumis·es aux dictats de la technologie qu’à ceux des superviseurs, qui subissent eux-mêmes la pression des quotas à atteindre.

Sans une vigoureuse opposition, il est possible que le modèle d’Amazon se répande à d’autres entreprises et à d’autres secteurs. Est-ce que c’est la « voie ensoleillée » que nous promettait Justin Trudeau?

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1 comment

  1. Les monopoles se sont payés nos gouvernements depuis des décennies… Et cela continue!

    À quand le changement de paradigme?

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