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Vérificateur général, ristournes et doigt d’honneur

19 juin 2014

  • Guillaume Hébert

Lorsque le Vérificateur général (VG) par interim a remis son rapport la veille du budget du Québec, l’attention s’est concentrée sur la méthode douteuse utilisée par Michel Samson (le VG) pour mesurer l’ampleur du déficit budgétaire. Une semaine plus tard, le VG remettait son rapport régulier et c’est le manque de coopération cette fois d’Hydro-Québec qui a accaparé l’attention du public (un fait embêtant que l’IRIS a également subi à plusieurs reprises dans le passé). Tout ceci a relégué au second plan les remarques du VG consignées au chapitre 6 sur les médicaments payés par le réseau hospitalier du Québec.

Or, les constats qu’on y trouve sont importants.

L’examen portait sur les dépenses hospitalières en services pharmaceutiques, donc à la fois les médicaments achetés par les hôpitaux (à travers quatre pôles d’achat) et les paiements à leurs pharmacien.ne.s locaux et autres professionnel.les. Ces sommes ne font pas partie des achats de médicaments via le régime public d’assurance médicaments ou les régimes privés que détiennent certain.e.s travailleurs et travailleuses. Elles s’élèvent à 865M$, soit 5,3% des dépenses des établissements qui offrent des services hospitaliers.

Une première remarque porte sur les coûts déboursés par les différents établissements pour l’achat de médicaments (p. 13). Le VG remarque que les ententes signées avec les fabricants diffèrent beaucoup et qu’il est impossible d’expliquer ces écarts de coûts. Le ministère ne compare pas les montants obtenus par les différents regroupements et ne tient pas compte des coûts en vigueur dans le régime public. Les prix de référence fixés par l’INESSS qui est pourtant chargé de réaliser une évaluation pharmaco-économique des médicaments ne servent pas non plus de comparatifs. Bref, des données existent sans être analysées et les pôles d’achat ne conjuguent pas leur pouvoir d’achat pour obtenir les meilleurs prix. L’État tient manifestement toujours à payer cher pour ses médicaments (et c’est d’ailleurs le principe de sa politique de développement économique en la matière qui vise à “récompenser” les entreprises qui s’installent au Québec).

Le VG se penche aussi sur les ruptures d’approvisionnement (p. 15). Il constate avec raison l’amplification d’un phénomène qui n’est pas propre au Québec, mais plutôt à l’état du marché pharmaceutique mondial. Sans en faire une recommandation formelle, le VG ne manque pas de noter que d’autres pays tels que la France ou les États-Unis ont désormais une législation qui force les fabricants à annoncer au moins six mois à l’avance les ruptures de stock. Cette mesure ne permet pas d’éviter complètement les pénuries, explique le VG, mais elle permet de raccourcir leur durée.

Troisièmement, le manque de vérification après l’administration des médicaments est aussi mise en lumière par le VG (p. 22). Cette lacune va de pair avec le manque « d’outils d’aide à la décision » pour les prescripteurs qui se retrouvent par conséquent plus vulnérables à la propagande de l’entreprise pharmaceutique. Il est stupéfiant de lire que le « Réseau de revue d’utilisation des médicaments » a été aboli lorsque l’INESSS a avalé le Conseil du médicament il y a quelques années. Le VG le déplore en se consolant toutefois partiellement de l’existence d’autres groupes de recherche tel que, depuis 2012, le « Réseau québécois de recherche sur les médicaments » financé notamment par… la multinationale Pfizer (p.23). Joli retournement pour ces partenaires privés. Le VG ne s’en émeut aucunement.

Un important collectif de chercheur.e.s de plusieurs pays ont étudié le comportement des médecins de quatre villes (Montréal, Vancouver, Sacramento et Toulouse) lorsqu’ils reçoivent la visite de représentant.e.s d’entreprises pharmaceutiques. Les premiers résultats publiés en 2013 – les résultats finaux seront publiés bientôt – montraient comment ces représentant.e.s omettent régulièrement de mentionner les possibles effets indésirables des médicaments et comment les médecins étaient pour leur part après coup enthousiastes à l’idée de prescrire le produit présenté. Que de bonnes raisons de ne pas laisser les médecins démunis devant ces marchands voyageurs.

Enfin, relevons une dernière observation du VG, celle qui porte sur l’éthique. Il existe un grave problème de conflits d’intérêt au Québec avec les pharmacien.ne.s. La méthode des ristournes sur la vente de certains produits, et versées aux organisations qui produisent les prescriptions, sert aux fabricants à influencer le choix des pharmacien.ne.s. Or, ces ristournes ne sont pas permises par le code d’éthique de ceux-ci et, un peu à la manière des frais accessoires qu’imposent certains cabinets de médecins, se perpétuent de différentes façons plutôt nébuleuses.

Rappelons-nous qu’il y a onze ans, la députée libérale Julie Boulet – qui vient de connaître une rentrée parlementaire très difficile entre un témoignage peu convainquant devant la juge Charbonneau et un doigt d’honneur peu gracieux à l’Assemblée nationale – avait connu ses tous premiers moments laborieux en politique lorsqu’elle avait démissionné de son poste de ministre en raison de ristournes reçues d’un fabriquant de médicaments génériques lorsqu’elle était propriétaire d’une pharmacie. On s’aperçoit  maintenant que le problème affecte aussi le réseau public puisque le VG observe simplement que « bien que tous les établissements vérifiés se soient dotés d’une politique de gestion des conflits d’intérêts, celle-ci n’est pas appliquée » (p. 28).

Espérons que ce rapport du VG fasse non seulement prendre conscience que l’enjeu du médicament doit faire l’objet d’une vigilance continuelle si l’on veut éviter les pièges des entreprises qui pensent en terme de profitabilité et non d’intérêt public ou de santé publique. De surcroît, une révision des fondements de l’approche pharmaceutique du Québec est nécessaire si l’on veut cesser de plâtrer de temps à autre un mur sur lequel on trouve immanquablement de nouvelles brèches.

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