Résidences privées pour ainé·e·s — Une industrie florissante lourdement financée par des fonds publics
18 juin 2021
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Dans une lettre ouverte publiée le 14 juin, Yves Desjardins, président du principal regroupement québécois de propriétaires de résidences privées pour aîné.e.s (le RQRA), remet en question l’idée que « le secteur des résidences privées pour aînés (RPA) serait une industrie florissante », faisant valoir que « plus de 600 RPA ont cessé leurs activités depuis 6 ans ». Cependant, il ne précise pas que ces fermetures concernent avant tout les petites et moyennes résidences, supplantées depuis quelques années par des géants multimilliardaires de l’immobilier pour personnes âgées.
Dans une étude parue la semaine dernière, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) brosse un portrait de ces grandes chaînes de RPA qui, avec le soutien actif de l’État, sont en train de redéfinir radicalement le secteur des services aux aîné.e.s au Québec.
Malgré l’image de « fleurons québécois » qu’elles présentent au public, ces grandes entreprises sont dans les faits des chevaux de Troie pour des multinationales de l’hébergement qui voient le « marché » québécois de la vieillesse comme un nouveau Klondike en Amérique du Nord.
Derrière Cogir, Groupe Sélection et Groupe Maurice se trouvent notamment Ventas et Welltower, deux importants fonds de placement immobilier états-uniens, Revera, une multinationale canadienne récemment dénoncée dans un rapport pour ses pratiques d’optimisation fiscale agressives, ainsi que Batipart, un groupe immobilier établi au Luxembourg, un paradis fiscal notoire.
Notre étude a également permis de montrer que les grandes chaînes de RPA actives au Québec ont développé un modèle d’affaires caractérisé par des structures de propriété ultra-complexes typiques des entreprises financiarisées : le réseau d’entreprises impliquées dans la propriété d’une seule résidence peut compter plus de 30 organisations, pour la plupart des coquilles vides sans salarié.e.s qui servent essentiellement à faire transiter des flux financiers.
Des recherches menées au Royaume-Uni – où sont également actives les multinationales nommées plus haut – ont démontré que ce type de structures juridiques est associé à des pratiques d’optimisation fiscale, à des techniques de financement à haut risque et à des stratégies d’affaires qui permettent la ponction rapide de profits, au détriment des services aux résidant.e.s et des contribuables qui contribuent à financer ces entreprises.
Loin de décliner, les grandes chaînes de RPA qui mettent ce modèle de l’avant sont en expansion très rapide au Québec, leurs actifs ayant dans certains cas doublé, voire triplé en quelques années seulement. Et ces transformations majeures du secteur des soins de longue durée sont activement soutenues par l’État québécois, qui finance généreusement une industrie bel et bien florissante.
En effet, des données inédites recueillies en vertu de dizaines de demandes d’accès à l’information nous ont permis de calculer que depuis 2007, ce sont près de 5 milliards de dollars qui ont été empochés par l’ensemble des RPA du Québec par l’entremise du crédit d’impôt pour le maintien à domicile des aîné.e.s, auxquels se sont ajoutés les quelque 200 millions dépensés au cours des dernières années par les établissements publics du réseau de la santé et des services sociaux en achats de places d’hébergement et de services à domicile auprès de ces entreprises.
Pendant que les services à domicile publics souffrent d’un important sous-financement chronique et que des milliers de personnes sont en attente de services, le gouvernement continue de financer des entreprises milliardaires qui, pour la seule année 2021, recevront 529,2 millions de dollars par l’intermédiaire du crédit d’impôt susmentionné, ce qui équivaut à près du tiers du budget total du ministère de la Santé et des Services sociaux pour les services à domicile. Dans ce contexte, peut-on vraiment affirmer, comme le fait le porte-parole des propriétaires de RPA, que « les 140 000 personnes qui y résident actuellement y évoluent parce qu’elles ont choisi ce milieu de vie » ?
Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 16 juin 2021 de La Presse+.