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Médecins québécois et goulag (2e partie)

19 juillet 2017


Il y a deux semaines, j’écrivais un billet qui portait sur une clinique de Montréal-Nord qui peine à recruter des médecins de famille et sur un représentant des omnipraticiens qui invoquait le spectre de lUnion soviétique pour illustrer ce que serait la situation des médecins québécois si lon devait les assigner à certaines zones où les besoins sont plus criants. Ce texte a beaucoup fait réagir et je tiens à pousser la réflexion un peu plus loin dans ce deuxième billet.

On m’a d’abord reproché de ne pas avoir mentionné les « PREM » et les « PEM », soit les Plans régionaux deffectif médicaux et les Plans deffectifs médicaux.

Il s’agit dans les deux cas de mécanismes instaurés par le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) en 2004 pour s’assurer – du moins théoriquement – que les médecins travaillent dans des régions ou des établissements où les besoins sont les plus grands.

Pour pratiquer dans une région donnée, un médecin de famille doit obtenir « un avis de conformité au PREM » (ou en langage simplifié : « un PREM »). Les PEM concernent essentiellement les médecins spécialistes et sont attribuées en fonction des établissements plutôt que des régions.

Si un médecin de famille pratique sans avoir obtenu préalablement un PREM pour la région où il s’est installé, il sera sanctionné. À l’inverse, des médecins peuvent être dispensés de l’obligation d’obtenir un PREM dans certains cas (ex : trois ans de pratique en région isolée ou encore 20 ans de pratique dans le réseau public).

À la vue de ces contraintes, certains médecins plaident que la responsabilité des régions mal desservies revient au MSSS et non aux médecins.

Il faut admettre avec les médecins qu’une partie de la responsabilité revient bel et bien au ministère, et même désormais plus directement au ministre, depuis qu’il a entrepris de s’arroger des pouvoirs sans cesse plus grand. Ce pouvoir, et cette responsabilité, s’observe par exemple lorsque le ministre Barrette annonce 35 PREM supplémentaires – après la période d’inscription habituelle – et que ces nouveaux postes seront accordés aux médecins qui décident de rejoindre une super-clinique. Ainsi, plutôt que de répondre aux besoins de la population, le mécanisme actuel semble répondre aux caprices du ministre. Rappelons d’ailleurs que le ministre Barrette a dû reculer en janvier dernier après avoir voulu favoriser arbitrairement l’installation de médecins dans sa circonscription.

Qui plus est, l’allocation des PREM par région est opaque. On sait que des départements régionaux de médecine générale (DRMG) sont responsables de l’évaluation des besoins, que la Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ) est consultée, qu’un comité paritaire de gestion des effectifs médicaux (COGEM) se prononce sur les possibles dérogations, puis que le dernier mot revient au ministre de la Santé. Mais on ne sait pas grand-chose d’autre de ce qui guide ces tractations.

Il semblerait que ces attributions de postes et les nominations de médecins soient si hasardeuses que certains médecins ont surnommé l’ensemble du processus «  Loto-PREM »…

Mais de là à présenter les médecins comme des victimes ou des acteurs du réseau sans responsabilité vis-à-vis de la distribution régionale des effectifs, il y a un très grand pas à ne pas franchir.

D’abord, notons que les PREM n’existent que depuis 2004. Si on les a créés, c’est qu’il y avait un problème et que l’on a compris qu’on ne pouvait pas compter sur une répartition « naturelle » des médecins qui conviendrait aux besoins de la population. Autrement dit, l’expérience passée a montré que lorsqu’on laisse les médecins libres de choisir leur lieu de pratique, certaines régions – notamment les régions plus défavorisées – ne font pas suffisamment partie des préférences des médecins.

Ensuite, il est inutile de chercher une intervention du Collège des Médecins – censé protéger le public – ou encore de l’une des grandes fédérations médicales pour dénoncer que des populations se trouvent négligées par le fonctionnement actuel. Manifestement, ces regroupements de médecins ne s’en émeuvent guère et leurs revendications consistent plutôt à simplement échapper aux contraintes.

Les Fédérations médicales ne s’indigneront pas non plus du fait que le transfert de ressources des CLSC vers les GMF réduise considérablement la capacité du système public d’assurer des soins globaux aux populations défavorisées.

Comme ma collègue Anne Plourde l’a montré dans une note publiée récemment, la mission d’un CLSC a une portée populationnelle tandis que celle le GMF se limite à ses membres. La transition actuelle des CLSC vers les GMF affecte les quartiers défavorisés et sert les intérêts de médecins qui se retrouvent à la tête de nouvelles installations privées.

Fait intéressant, les Médecins pour un régime public (MQRP) ont d’ailleurs consacré leur rapport annuel cette année à l’étude de ce modèle de « médecine entrepreneuriale ».

Enfin, soulignons que

L’avis de conformité au PREM ne comporte pour le médecin qu’une seule condition : le respect d’un seuil minimal de 55 % de ses journées (et non de ses revenus) de facturation accomplies dans cette région. Les 45 % restants peuvent donc être facturés dans une ou plusieurs autres régions sans que le médecin de famille n’ait à entreprendre de démarches auprès des autres DMRG pour obtenir un avis de conformité. (tiré du « Guides des Résidents 2014 » de l’Association médicale canadienne)

En d’autres termes, des médecins pourraient consacrer une partie de leurs heures en-dehors de leur « port d’attache ». On ne demanderait peut-être pas à un médecin en Abitibi de compléter ses heures en Gaspésie, mais peut-être pourrait-on voir des médecins rattachés à la Couronne montréalaise venir compléter leurs heures en donnant un coup de pouce dans les quartiers défavorisés ?

Un médecin m’a aussi fait remarquer qu’il pourrait être pertinent de davantage sélectionner des étudiant-e-s en médecine en fonction des quartiers d’où ils proviennent.  Ce faisant, on pourrait accroître les chances qu’une fois formé, le médecin se désintéresse de zones moins bien nanties s’il en est lui-même issu.

Il n’en demeure pas moins qu’on revient au même point que dans le premier billet : tous ces échafaudages bureaucratiques ont été créés avec l’objectif de mieux répondre aux besoins des populations sans remettre en question le statut de travailleur autonome des médecins.

Alors, j’insiste à nouveau sur cette idée : les médecins n’appartiennent pas à une espèce de caste supérieure et ils devraient accepter le même statut que les autres travailleuses et travailleurs de la santé (et que la plupart des travailleuses et des travailleurs en général, d’ailleurs).

Fait amusant, cette petite controverse aura eu le mérite de me faire explorer davantage la médecine soviétique. Je suis tombé sur ce compte rendu fort intéressant de différents ouvrages sur la médecine telle qu’elle se pratiquait dans un pays comme l’URSS.

Bien que tout n’y soit pas obscur, on y apprend par exemple que sous Brejev, un jeune psychiatre

Semën Gluzman, contesta le diagnostic d’irresponsabilité émis par l’institut Serbskij à propos de Pëtr Grigorenko, général dégradé, interné en hôpital psychiatrique, parce qu’il soutenait le mouvement des droits civiques et les revendications des Tatars de Crimée. Pour avoir dénoncé l’expertise fallacieuse de ses collègues, Gluzman fut arrêté en 1972 puis condamné à plusieurs années de camp.

Vous croyez que j’insiste trop sur une simple boutade ?

C’est que les médecins ont la fâcheuse manie de souvent s’imaginer aux portes du goulag. Deux ans avant l’arrestation de Gluzman par Brejnev, au Québec, l’éminent cardiologue Pierre Grondin menace de quitter la province si l’on instaure une assurance-maladie publique et universelle. Comme on l’entend dans cet épisode de Tout le monde en parlait (à 12 minutes), il affirme que la loi proposée par le gouvernement québécois est plus rigide « que le régime soviétique ».

L’extrait vaut vraiment le détour, ne serait-ce que pour la moue de Claude Castonguay…

Par ailleurs, j’ai fait quelques calculs et conversions et je me suis aperçu que dans les années 80, un médecin soviétique gagnait en moyenne l’équivalent de… 7000$ en dollars canadiens actuels. En URSS, les cols bleus gagnaient plus que les professionnels, semble-t-il.

En somme, ce n’est pas très intelligent ni très utile pour le débat de comparer le système de santé québécois à l’URSS. Il est peut-être temps que les médecins rompent avec cette habitude.

Il est évident que, comme quiconque, les médecins ont leur mot à dire sur l’organisation du système sociosanitaire québécois. Mais il est urgent qu’ils lâchent du lest et qu’ils reconnaissent qu’ils figurent parmi travailleurs les plus privilégiés de notre société en termes de statut, de pouvoir et de rémunération. Certains médecins détruisent la crédibilité de la profession en entier lorsqu’ils s’expriment comme s’ils étaient persécutés.

Ceux-là devraient voir comment un peu d’humilité leur coûtera au final bien moins cher qu’une révolution prolétarienne….

(Ce texte a été rédigé en collaboration avec Anne Plourde)

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