Échec des CLSC ou abandon du ministère de la Santé et des Services sociaux?
16 mars 2016
Dans une entrevue accordée sur les ondes de Radio-Canada, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, justifiait le transfert d’activités et de ressources importantes des CLSC vers les Groupes de médecine de famille (GMF) en évoquant « l’échec » du « concept initial du CLSC ». Les propos du ministre semblent suggérer que les CLSC sont les principaux responsables de cet « échec », qu’ils n’ont en quelque sorte pas su livrer la marchandise, d’où la nécessité de recentrer la première ligne sur les GMF.
Un retour sur l’histoire des CLSC permet de constater l’abandon de ceux-ci par le ministère plutôt que leur échec. Ce rappel historique est d’autant plus pertinent que nous assistons peut-être à la mise à mort définitive (pourtant mainte fois annoncée) de ce modèle unique et novateur.
Les CLSC, un gain syndical et populaire
Précisons d’abord que la création des CLSC en 1971 est un gain du mouvement syndical et populaire. Dès 1966, les principales centrales syndicales du Québec réclament, dans un mémoire conjoint soumis à la Commission Castonguay-Nepveu, la création d’un réseau de polycliniques de première ligne intégrant les services de santé ainsi que les services sociaux et organisées sur la base d’une pratique médicale de groupe et multidisciplinaire. Durant les années suivantes émergent, à l’initiative de comités de citoyen.ne.s, plusieurs cliniques populaires qui mettront de l’avant des pratiques novatrices de gestion démocratique et de prévention de la maladie axées sur l’action communautaire.
Le modèle initial des CLSC reprendra plusieurs de ces revendications et innovations. On prévoyait à l’origine la création d’un réseau complet d’établissements publics de première ligne intégrant l’action communautaire aux services médicaux et sociaux courants (curatifs et préventifs). Tel que mentionné dans un billet récent, il est intéressant de souligner que cette réforme avait parmi ses objectifs principaux de mettre fin à l’hospitalo-centrisme du réseau, objectif que le ministère évoque aujourd’hui pour justifier sa nouvelle réforme.
En effet, les CLSC, destinés à devenir la principale porte d’entrée du réseau, devaient être le vecteur d’une transformation du système socio-sanitaire : par des pratiques nouvelles de travail d’équipe et de gestion participative et locale permettant un enracinement des établissements dans leur milieu, on espérait favoriser un changement de culture au sein d’un réseau dominé par les administrations hospitalières et les intérêts des professionnel.le.s (notamment des médecins).
Qu’est-ce qui explique que cette « mission première du CLSC […] ne s’est pas réalisée », pour reprendre les propos du ministre?
Les causes d’un « échec » : le rôle du ministère
Il est reconnu que les médecins ont joué un rôle important dans cette évolution. Toutefois, les médecins ne sont toutefois pas les seuls responsables de cet « échec ». Le manque de volonté politique du ministère et de ses ministres successifs est aussi en cause. Si le ministère a pu vouloir éviter un nouvel affrontement avec les médecins (la crise suscitée par l’adoption de l’assurance-maladie était récente), il est également clair que les CLSC ont rapidement perdu la faveur du ministère et d’une partie importante de la classe politique : dès 1974, on décrétait un moratoire sur la création de nouveaux CLSC et on lançait une « opération-bilan » pour évaluer leur pertinence.
Le modèle des CLSC sera dans les années suivantes l’objet de fréquentes remises en question et ce n’est qu’au prix de sacrifices importants quant à leur mission originelle que les CLSC pourront perdurer. Le ministère abandonne très tôt le projet de faire des CLSC la principale porte d’entrée du réseau et on commence dès le milieu des années 1970 à les concevoir comme des établissements « complémentaires » aux cliniques médicales privées développées par les médecins, désormais reconnues comme partie intégrante de la première ligne. De même, il remet rapidement en question l’autonomie des CLSC, restreignant d’autant la capacité des populations locales à définir démocratiquement les orientations et les priorités de « leur » CLSC.
Considérant la reconnaissance internationale acquise par ce modèle novateur, on peut s’interroger sur les motifs qui expliquent ces désaveux répétés. Outre un préjugé favorable pour le secteur privé, la raison principale de l’abandon du modèle se trouve dans le fait que les CLSC ont depuis leur fondation été des organisations qui « dérangent ».
En effet, leur caractère démocratique et l’accent mis sur l’action communautaire permettra à plusieurs CLSC de devenir durant leurs premières années d’existence des lieux d’organisation et de mobilisation populaires. Ils seront investis par des gens issus des milieux populaire, syndical et militant qui mettront de l’avant une conception de la santé inspirée de celle développée dans les cliniques populaires.
Dans plusieurs CLSC, « faire de la prévention » signifiera mobiliser les populations pour agir sur les causes sociales de la maladie (pauvreté, inégalités sociales, accès au logement, environnement, conditions de travail, etc.). De nombreux groupes de pression et de défense des droits verrons le jour sous l’impulsion ou avec l’aide des CLSC. Bien sûr, une telle conception de la santé est difficilement compatible avec la remise en question des acquis sociaux mise de l’avant par tous les gouvernements depuis la fin des « trente glorieuses ».
Le discours et les réformes menées actuellement par le ministre Barrette s’inscrivent clairement dans la continuité de ses prédécesseurs. La question qui se pose maintenant est de savoir s’il reste encore au sein des CLSC suffisamment de forces vives pour leur permettre de se relever de ce nouvel assaut.