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Salaire minimum : le discours et la méthodologie en vase clos du Conseil québécois du commerce de détail

21 Décembre 2016

  • Minh Nguyen

La semaine dernière, le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD) a publié un rapport de recherche affirmant qu’une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure ferait chuter les marges de profits du commerce au détail et mettrait en péril 9000 entreprises.

Soulignons que le rapport en tant que tel, incluant ses résultats détaillés et sa méthodologie, n’ont jamais été rendus publics. Si l’on cherche à intervenir dans l’espace public et, de surcroît, à influencer les décisions politiques, c’est la moindre des choses de rendre ces informations accessibles : de jouer franc jeu et de publier le tout. Fort heureusement, nous avons tout de même réussi à mettre la main sur l’étude. Jetons-y donc un coup d’œil.

Bas salarié·e·s ou salaire minimum?

Sur le plan méthodologique, l’étude s’avère problématique sur certains points importants.

Dans la première partie de l’étude, le CQCD trace le portait des 210 200 personnes au Québec qui gagnent le salaire minimum, affirmant que ce sont principalement des revenus d’appoint. Le CQCD insiste sur le fait que ce sont essentiellement des travailleuses et travailleurs « jeunes, peu scolarisés et en situation d’emploi temporaire » qui reçoivent le salaire minimum.

Toutefois, une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure n’affecterait pas que ces individus, mais bien tous ceux qui gagnent un salaire horaire sous cette barre, soit 971 000 personnes au Québec. (À titre indicatif, le Québec compte présentement environ 3,5 millions de salarié·e·s.) Or, la population qui gagne un bas salaire dans son ensemble diffère de celle qui ne gagne que le salaire minimum.

Nous n’avons pas d’études concernant la totalité des personnes qui gagnent moins de 15 $ de l’heure. Toutefois, le seuil du bas salaire se situait en 2015 à 13,60 $ l’heure. Luc Cloutier-Villeneuve de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a justement analysé en avril dernier la population qui occupait les emplois à bas salaire en 2015. On dénombrait alors 733 700 bas salarié·e·s au Québec. L’étude couvre donc les trois quarts des personnes qui verraient son salaire augmenter en cas de hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure.

Le rapport de l’ISQ dresse un tableau des bas salarié·e·s du Québec (pages 6 à 8) qui diffère de celui évoqué par le CQCD. En effet, plus de la moitié (53 %) des bas salarié·e·s ont plus de 25 ans, près de trois sur cinq (59 %) ont entrepris des études collégiales ou universitaires et près des deux tiers (64 %) ne sont plus aux études. De plus, dans 77 % des cas, l’emploi est permanent, et 61 % des bas salarié·e·s occupent leur poste depuis plus d’un an. Si les personnes qui gagnent le salaire minimum sont principalement des jeunes occupant un emploi passager, ce n’est pas le cas de l’ensemble des bas salarié·e·s.

Les personnes qui ont rédigé l’étude du CQCD ne connaissaient peut-être pas celle de Cloutier-Villeneuve? Impossible : cette dernière est citée dans la troisième partie (pour calculer les hausses minimales de salaire dans l’industrie du commerce au détail). Pourquoi alors avoir fait le portrait sociodémographique des personnes gagnant le salaire minimum plutôt que tous ceux et celles gagnant un bas salaire, sachant que, si ni l’un ni l’autre des groupes ne représente l’ensemble des personnes qui bénéficieraient d’une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure, le deuxième en comprend davantage que le premier?

Un salaire d’équilibre?

Le CQCD met de l’avant un concept problématique pour estimer les effets macroéconomiques d’une hausse du salaire minimum : le salaire d’équilibre. En gros, il s’agit du point où l’offre et la demande de travail se croisent, où il n’y a ni chômage ni pénurie de travailleurs et travailleuses pour ce salaire précis. Il arrive toutefois que le salaire d’équilibre se situe sous le seuil de pauvreté.

Comment conjuguer salaire d’équilibre et salaire minimum si le premier peut maintenir les personnes qui le reçoivent dans la pauvreté? Le CQCD soutient qu’« [i]déalement, le salaire minimum doit être assez élevé pour protéger le plus grand nombre de travailleurs possible, tout en restant assez faible pour minimiser son impact sur le chômage ». Nous considérons que l’existence même du salaire minimum est une reconnaissance implicite du rapport inégal entre capital et travail.

Le salaire fait plus que négocier l’offre et la demande dans le « marché » de l’emploi. C’est notamment un arbitrage entre les conditions de vie des salarié·e·s et la rentabilité des entreprises. Les conditions dans lesquelles le salaire se négocie constituent en conséquence une variable institutionnelle dont on doit absolument tenir compte dans l’établissement d’un salaire minimum.

Il n’y a par exemple aucun salaire minimum en Suède. Malgré tout, le taux de personnes qui occupent des emplois à bas salaire y est d’environ 7 % alors qu’au Québec ce taux tourne autour de 20 %. Mais comment est-ce possible? Eh bien, le taux de syndicalisation de la Suède frôle les 70 %, presque deux fois plus élevé que celui du Québec, qui tourne autour de 36 %. Les planchers minimaux sont négociés collectivement par secteur et par industrie.

Le débat concernant le salaire minimum doit tenir compte de telles variables institutionnelles, ce que le salaire d’équilibre ne permet pas en considérant l’offre et la demande comme des variables désincarnées. La vie, les institutions et les normes sociales doivent être incorporées dans toute analyse économique sérieuse.

Le verrou Fortin

Le rapport du CQCD reprend les thèses du verrou Fortin, qui conviennent que, lorsque le salaire minimum dépasse un certain seuil par rapport au salaire moyen (entre 45 % et 47 %), chaque point de pourcentage qui s’ajoute mène à la perte de 8000 emplois. En effet, il soutient que, dans bon nombre de pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), on constate une corrélation significative entre un salaire minimum qui se situe au-dessus du seuil de 45 % du salaire moyen et un plus haut taux de chômage . Cette affirmation est soutenue par la figure suivante.

Le calcul qui sous-tend cette affirmation est cependant d’une grande faiblesse méthodologique. Le CQPD croise les deux variables évoquées ci-dessus (le taux de chômage et le ratio du salaire minimum par rapport au salaire moyen), mais ne prend pas en compte les contextes institutionnels de ces pays. Par exemple, le chômage en Espagne s’explique par le fait que le secteur immobilier, qui tirait l’économie espagnole, a connu une bulle qui a éclaté et qui a supprimé plusieurs postes et non pas par la présence d’un salaire minimum élevé.

Dans le graphique suivant, le CQCD soutient que le taux de chômage des 15-24 ans (le groupe le plus susceptible d’être affecté par une hausse du salaire minimum selon le modèle du CQCD) et la hausse du salaire minimum sont liés.

Ce graphique donne lieu à deux interprétations contradictoires. Le rapport du CQCD met l’accent sur le fait que les deux courbes montent en même temps et baissent en même temps. À l’IRIS, nous voyons plutôt le contraire. Le chômage, particulièrement au début des années 1990, est haut alors que le ratio est bas. Jusqu’au milieu de la décennie, il baisse alors que le ratio est à la hausse. À partir de 2010, le chômage est à nouveau à la baisse tandis que le salaire minimum se maintient au-dessus de son seuil critique (indiqué par l’ombrage rosé dans la portion supérieure du graphique). À l’IRIS, nous considérons donc que ce graphique démontre tout le contraire de ce que le CQCD avance.

Hausse du salaire minimum et fermeture de PME?

L’argument phare du CQCD, celui qui a circulé dans les médias, c’est que le quart des entreprises canadiennes dans le commerce au détail ne sont pas rentables. Elles risqueraient donc de fermer si le salaire minimum augmentait.

Soit, mais à quelle étape de leur développement se situent ces entreprises? Bon nombre d’entreprises non rentables sont en début de vie. Leurs propriétaires s’abstiennent donc d’embaucher trop de salarié·e·s, cherchant plutôt à faire le plus possible par eux-mêmes ou par elles-mêmes.

En ce sens, le modèle que le CQCD met de l’avant dans le tableau suivant et qui a été cité dans leur document ne tient pas la route.

En gros, le CQCD a pris les intrants et sortants de l’ensemble des entreprises dans le commerce de détail et a réduit ça à l’échelle pour une PME qui a un chiffre d’affaire de 500 000 $ par année. Le hic, c’est que toute chose n’est pas égale par ailleurs dans un tel scénario. Cette vision comptable de l’économie n’éclaircit en rien la réalité.

Une entreprise dont le chiffre d’affaires annuel atteint les 15 millions de dollars gère sa masse salariale différemment d’une entreprise en démarrage qui n’est pas rentable ou dont le chiffre d’affaires est négligeable. Le cas type pour le commerce de détail dans le tableau ci-haut est moins dramatique qu’il ne le parait à premier coup d’œil. Oui, l’entreprise n’encaisse que 10 000 $ de profits par année tout en versant 60 000 $ en salaires. Cependant, il est probable qu’une part importante de la masse salariale soit versée à l’entrepreneur lui-même ou l’entrepreneure elle-même, le temps que son commerce fructifie. En ce sens, la baisse des sommes encaissées par le propriétaire suite à une hausse du salaire minimum doit être calculée par rapport au salaire de l’entrepreneur·e et ajouté aux profits de l’entreprise. Autrement dit, si dans le tableau ci-haut, le CQCD présente une baisse de profit de 16 000 $ à 10 000 $ suite à une hausse du salaire minimum, on dirait que l’effet n’est pas viable pour l’entreprise. Cela dit, la réalité est beaucoup plus nuancée; si l’on prend en considération le salaire de l’entrepreneur·e, ajouté au profit, on se rend compte qu’il ou elle encaisse une somme qui lui permette de continuer et de faire fructifier son capital et que la hausse du salaire minimum ne renvoie à qu’à une légère réduction des inégalités dans le partage de la richesse produite par les gains de productivité.

Conclusion

Nous sommes d’accord que la hausse du salaire minimum ne doit pas être prise comme une finalité en soi. Elle doit faire partie d’une politique intégrée qui prend en considération plusieurs facteurs. L’étude de CQCD occulte le fait que cette proposition vise une transition vers un autre type d’économie.

Le paradigme actuel relègue plus de 20% de salarié·e·s à la catégorie des bas salaires, les condamnant à l’exclusion sur le plan socioéconomique. Une hausse du salaire minimum forcerait le marché à trouver un autre point d’équilibre, à quitter cette économie où il est nécessaire de maintenir des travailleurs et travailleuses dans la pauvreté.

Il va de soi qu’on ne passe pas d’une économie à une autre sans qu’il y ait un choc. L’IRIS a déjà estimé qu’une hausse du salaire minimum pourrait mener à la perte de 6000 à 20 000 emplois. Toutefois, ce choc n’est que l’effet immédiat estimé sur le marché du travail.

La hausse du salaire minimum doit permettre de stimuler la demande. Les travailleurs et travailleuses qui bénéficieront de l’augmentation auront plus d’argent dans leurs poches à dépenser dans le commerce de détail. À moyen terme, l’économie trouvera un nouvel équilibre.

Bien sûr, rien n’empêche l’État d’accompagner les petites et moyennes entreprises (PME), les personnes qui perdraient leur emploi et tous ceux et celles qui subiraient les conséquences immédiates d’une hausse du salaire minimum. À long terme, toutefois, tout le monde en sort gagnant : meilleure redistribution de la richesse, meilleurs chiffres d’affaires pour le commerce de détail (comme les salarié·e·s au bas de l’échelle auront accès à plus d’argent) et plus grande marge de manœuvre pour les travailleurs et travailleuses peu qualifiés.

En somme, l’étude du CQCD n’ajoute que très peu au débat puisqu’elle est construite sur des mauvaises catégorisations (portrait des personnes gagnant le salaire minimum plutôt que celui des bas salarié·e·s), sur des croisements binaires décontextualisent les phénomènes économiques (évacuation des institutions et des normes dans les calculs), sur des modèles comptables incomplets qui n’éclairent en rien les phénomènes de distribution de gains de productivité dans les PME et sur une vision à très court terme et incomplète des phénomènes économiques qui concernent ce débat. Pour élever le débat, il faut des méthodes de recherche ouvertes et qui éclairent le réel. Manifestement, ce ne sont pas là des choses qui inquiètent le CQCD qui s’en tient à une recherche et un discours en vase clos en vue de maintenir le statu quo à tout prix.

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