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Le « verrou Fortin » n’est pas une fatalité

19 octobre 2016


Pierre Fortin a accordé une entrevue à Radio-Canada dans laquelle il se positionne contre la hausse du salaire minimum à 15$ l’heure. La vidéo et la transcription ont été publiées hier soir et circulent sur Internet depuis.

L’éminent économiste soutient que la mesure la plus pertinente pour déterminer le salaire minimum est son rapport au salaire moyen. Fortin soutient que, si le salaire minimum dépasse le seuil des 50 % du salaire moyen, une perte de 8 000 emplois résultera de chaque augmentation d’un point de pourcentage de ce ratio. Suivant cette logique, une hausse immédiate du salaire minimum à 15 $ l’heure ferait perdre 100 000 emplois.

Tout d’abord, le chiffre de 100 000 emplois pose problème. Il sert à marquer les esprits avant tout et non à donner un portrait fidèle des réels impacts d’une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure. Le professeur émérite mentionnait lui-même en septembre 2010 que de faire monter le ratio « salaire minimum sur salaire moyen » de 45 % à 46 % nous coûterait collectivement la « destruction » de 8 000 emplois, alors que ce ratio est stable à 47 % depuis la fin de l’année 2010. Autrement dit, nous aurions dû perdre déjà plus de 15 000 emplois selon les calculs de l’économiste. Ce qui, faut-il le préciser, ne s’est pas avéré.

Et il faut utiliser les bons termes lorsque l’on parle de l’impact du salaire minimum sur l’emploi. Fortin affirme que cela « détruira des emplois » et que la hausse à 15$/h constitue une sorte de « bombe atomique » qui diminuera effectivement le nombre total d’emplois offerts au Québec. Or, la réalité est tout à fait différente : l’emploi pour la quasi-totalité des groupes d’âge au Québec suit une tendance croissante depuis 2009[1]. Certes, le salaire minimum peut ralentir la croissance d’emplois dans certains secteurs; il n’en reste pas moins que les emplois créés ensuite offriront généralement de meilleurs salaires qui feront vivre décemment des dizaines de milliers de personnes.

Pour ce qui est du lien entre décrochage scolaire et hausse du salaire minimum, il faut noter qu’il n’y a pas de consensus dans la littérature scientifique à ce sujet. Certains auteurs soulignent une incidence négative sur la formation alors que d’autres notent le contraire. Cela dit, le lien que Fortin fait entre décrochage scolaire et hausse du salaire minimum est douteux dans sa logique même.

D’un côté, Fortin dit que la hausse du salaire minimum détruira 100 000 emplois pour les jeunes sans qualification et, de l’autre côté, il dit qu’elle augmentera le taux de décrochage scolaire parce que les jeunes lâcheront l’école pour aller travailler. Si on suit la logique prévisionniste de Fortin, pourquoi ces jeunes lâcheraient-ils l’école pour aller travailler s’il y a moins d’emplois pour eux? Bref, il y a une contradiction dans son raisonnement à ce niveau.

À l’inverse, d’un point de vue théorique, nous pouvons aussi bien affirmer qu’une hausse du salaire minimum permettra aux étudiant·e·s d’obtenir un salaire équivalent pour un nombre d’heures travaillées moindre, ce qui leur laissera la possibilité de consacrer davantage de temps à leurs études. Cela aura donc comme résultat de favoriser la persévérance scolaire. Bien que théorique, ce raisonnement a cependant la prétention de ne pas être contradictoire dans sa logique interne.

Dans un autre ordre d’idées, selon Xavier Leloup de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Montréal comptait 125 820 travailleurs et travailleuses pauvres en 2012. C’est une hausse de 30 % par rapport à 2001. Forcément, les personnes pauvres ont tendance à dépenser moins, ce qui entraîne une baisse de la demande effective. Or, c’est précisément le problème le plus pressant de notre économie en ce moment : la demande effective tend à baisser avec le temps parce que le pouvoir d’achat d’une majorité de salarié·e·s stagne, voire diminue, et ce, depuis plusieurs années.

Depuis 2014, nous soutenons qu’une augmentation du salaire minimum jusqu’à l’atteinte du salaire viable permettrait véritablement de se sortir de la pauvreté. Nous croyons toutefois également qu’elle doit impérativement s’accompagner d’une aide gouvernementale pour les petites entreprises dont les chiffres d’affaires sont plus modestes.

Dans le scénario que nous préconisons, le gouvernement subventionne l’augmentation du salaire minimum pour les PME en plus grande difficulté pendant quelques années. Après un certain temps, l’économie se stabilisera : les travailleurs et travailleuses pauvres auront vu leur pouvoir d’achat s’améliorer concrètement, ce qui exercera une pression à la hausse sur la demande effective. Cette croissance de la demande se traduira alors nécessairement par une augmentation du chiffre d’affaires des PME. Sur le long terme, tout le monde en sortira gagnant.

En somme, le «verrou Fortin» n’est pas une fatalité économique. C’est une manière de concevoir notre économie qui provient des limites paradigmatiques du XXe siècle. Or, ces limites sont plus symboliques qu’objectives. Au bout de la ligne, se défaire du verrou Fortin est nécessaire pour élargir nos horizons conceptuels en vue de repenser une économie qui est plus inclusive, juste et solidaire.


[1]                                Voir l’évolution du taux d’emploi pour les différentes catégories d’âge grâce à Statistique Canada, CANSIM, Tableau 282-0002. En analysant l’emploi pour les plus petites Toutes tranches d’âge fournies, on remarque que seul le taux d’emploi pour les 25 à 29 ans suit une tendance clairement négative depuis 2009. Les taux d’emploi de toutes les autres tranches d’âge sont stables ou augmentent entre 2009 et 2015.

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