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Royaume-Uni : échec du programme d’aide financière aux étudiant.e.s

4 août 2014

  • Eric Martin

Dans la série « L’IRIS vous l’avait bien dit »…

Ces dernières années, les défenseurs des hausses de frais de scolarité ont souvent cherché à rassurer l’opinion publique en utilisant l’argument des prêts et bourses. Certes, étudier deviendrait beaucoup plus cher, mais les impacts négatifs sur les moins nantis seraient, prétendaient-ils, neutralisés par un bon système d’aide financière. C’est souvent le Royaume-Uni, avec son système de remboursement proportionnel au revenu (RPR), qui était brandi comme modèle à suivre. Or voici, nous apprend le Figaro que ce système est au bord «de l’effondrement ».

Quand le Québec s’inspire du RPR britannique

En 2008, comme nous le soulevions ici l’économiste Claude Montmarquette, consulté par le gouvernement, défendait le RPR comme mesure permettant «d’accroître les montants de prêts ou l’endettement des étudiants. En d’autres termes, si une contribution financière supérieure est demandée aux étudiants, le RPR est le système qui facilite cette décision ». En 2009, Yves-Thomas Dorval, président, Conseil du patronat du Québec, proposait une « différenciation des droits de scolarité selon les niveaux d’étude et les secteurs disciplinaires, afin de mieux refléter les différences dans les coûts de formation et dans les rendements ultérieurs». Par exemple, le coût de la formation d’un médecin devrait être haussé pour refléter non seulement ce que ça coûte de former le médecin, mais aussi ce qu’il obtient comme «rendement» sous la forme de son salaire futur.

Conscient que cela risquait de faire hurler ceux qui n’auraient pas les moyens de payer les nouveaux frais très élevés, M. Dorval proposait de reprendre l’idée de M. Montmarquette et de copier-coller au Québec le RPR britannique, un système permettant d’étaler la dette étudiante sur 25 ans et de la rembourser en fonction du salaire : «Le gouvernement devrait s’assurer néanmoins de maintenir les conditions garantissant un accès universel aux études universitaires en accompagnant la libéralisation des droits de scolarité d’ajustements au Régime d’aide financière aux études et en examinant la possibilité de mettre en place un nouveau système de remboursement des prêts étudiants, et notamment le système de remboursement proportionnel au revenu, comme il en existe au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande ».

Or, en 2008, l’IRIS avait déjà montré, citant l’exemple britannique, que ces systèmes de RPR servaient à « décharger sur l’individu une plus grande part du coût des institutions d’enseignement, sans pour autant être accusés d’endetter excessivement la jeunesse» et qu’ils étaient inspirés des thèses néolibérales de Milton Friedman, favorable à une dénationalisation (privatisation) du financement des universités. En mars 2012, nous avions aussi mis en garde contre l’explosion de l’endettement étudiant aux USA, où la dette étudiante dépassait celle des cartes de crédit de tous les Américains et prenait les allures d’une nouvelle bulle spéculative. Tout le travail de l’IRIS visait à montrer que les politiques de hausse de droits de scolarité et de RPR inspirées de la Grande-Bretagne n’étaient pas, au plan socio-économique, des mesures souhaitables au Québec.

Cela n’a pas empêché l’idée d’être reprise en avril 2012 lors de la grève étudiante, alors que la ministre Line Beauchamp avait cherché à calmer le jeu en instaurant un mécanisme de remboursement proportionnel au revenu (RPR), en droite ligne avec les idées de MM. Montmarquette ou Dorval. Or, le journal français le Figaro nous apprend maintenant, ô surprise, que le modèle britannique qui a servi si longtemps d’étoile polaire aux élites économiques québécoises est aujourd’hui en train de sombrer.

L’échec du RPR en Grande-Bretagne

Rappelons que l’Angleterre a abandonné la gratuité scolaire et a augmenté ses frais de scolarité à 9 000 livres, c’est à dire plus de 16 500$ dollars canadiens par année. Les étudiant.e.s n’ont d’autre choix que de faire des emprunts élevés. Plus tard, ils n’arrivent pas à les rembourser. De plus, le mécanisme de collecte n’est pas efficace, de sorte qu’au final, l’État perd beaucoup d’argent. Selon le Figaro, « la part de la dette publique concernant les prêts étudiants pourrait atteindre 380 milliards d’euros » mais «près de la moitié des étudiants ne parviennent pas à […] rembourser [les prêts ]» si bien que « L’existence du système de prêt tel qu’il existe aujourd’hui est «menacée» » selon un rapport parlementaire.

Il faut savoir que l’étudiant.e n’a pas à rembourser tant qu’il n’a pas atteint un salaire d’un certain seuil (21 000 livres annuellement). Après 30 ans, la dette est annulée. Résultat : près de 40% des prêts étudiants ne sont pas remboursés, si bien que « sur chaque livre sterling empruntée, l’État perd 45 cents », un trou dans les finances publiques qui pourrait atteindre « un total de 330 milliards de livres sterling en 2044. Une part du problème tient de l’inefficacité du mécanisme de collecte à la sortie. Mais la plus grande difficulté vient du faitqu’on prête à l’entrée sans trop regarder la capacité de rembourser des candidat.e.s: « les contrôles effectués apriori sont insuffisants, spécifiquement sur les capacités des étudiants à rembourser leur emprunt» .

Les autorités universitaires en sont venues à remettre en question l’existence même du système : «Il est clair pour nous que le système est insoutenable, coûteux pour les étudiants et de mauvaise valeur pour les contribuables» a déclaré Sally Hunt, secrétaire général de l’Union des Universités et Collèges, alors qu’elle appelait le gouvernement a « reconsidérer le système de prêt ».

Comme c’est généralement le cas pour les mesures néolibérales importées par nos élites depuis la Grande-Bretagne ou les USA, le RPR est un échec patent, tout comme les hausses de frais de scolarité qu’il sert à justifier. On pourrait bien sûr essayer de mettre en place de meilleurs contrôles à l’entrée (et ainsi prêter à moins de gens (mais alors, comment iraient-ils à l’université qui coûte au-dessus de 15 000 par an?), ou encore engager des shylocks plus persuasifs pour faire la collecte. Ce serait encore refuser de voir l’éléphant dans la pièce, à savoir que l’abandon de la gratuité scolaire était une mauvaise idée, que le RPR est un mauvais gadget à remiser, et que la gratuité reste, hier comme aujourd’hui, la meilleure politique pour garantir l’universalité d’accès à l’éducation. Des gens qui ne peuvent pas payer pour entrer dans une université parce qu’elle est trop chère ne peuvent pas plus payer soudainement parce qu’on amortit la chose comme une hypothèque pour déguiser un prix digne de l’extorsion en vente à tempérament du type «étudiez maintenant et payez plus tard». Et le résultat est là: les gens sont endettés, incapables de payer et l’État doit casquer. Le RPR devait être la panacée. Where’s the beef? Si c’est au final l’État qui paye, aussi bien s’économiser toutes ces entourloupes et mettre en place la gratuité scolaire financée par l’impôt progressif. C’est peut-être trop simple pour certain.e.s.

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