Les apparences trompeuses des comparaisons interprovinciales de revenus
25 août 2025
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Les comparaisons interprovinciales des revenus des ménages au Canada présentent une image incomplète et déformée de la situation. En réalité, les ménages québécois sont moins démunis que certains l’imaginent. Leur revenu réel disponible (après impôt), quand on prend en considération les différences régionales de prix, ainsi que les dépenses publiques pour la consommation personnelle, les situe devant l’Ontario et la Colombie-Britannique, réputées plus riches. En revanche, l’Alberta – et, de manière plus surprenante, les provinces atlantiques – s’en tirent mieux que le Québec à ce chapitre.
C’est le constat qui se dégage d’une étude de Statistique Canada publiée le 31 juillet, qui est passée complètement sous le radar médiatique. Cette étude d’envergure, qui porte sur l’année 2021, procède à divers ajustements des revenus nominaux afin de mieux refléter la réalité. Sans doute la qualité des données est-elle perfectible, mais le cadre méthodologique s’avère solide.
En particulier, et pour la première fois, Statistique Canada a mis au point des parités de pouvoir d’achat (PPA) pour les provinces et territoires. L’examen des données pour les territoires (Yukon, Territoires du Nord-Ouest et Nunavut) est laissé de côté dans le présent texte en raison des caractéristiques de ces régions éloignées et isolées qui entraînent un gonflement particulier des prix et des coûts. Les économistes réclamaient ces statistiques depuis des lustres. Celles-ci servent à comparer les prix relatifs d’un même panier de biens et services entre divers États. Par exemple, selon l’étude, un habitant du Québec doit dépenser 0,93 $ pour des biens et services équivalents à ce qui coûte 1,00 $ en Ontario et 1,07 $ en Colombie-Britannique, en raison des différences de prix. Le pouvoir d’achat au Québec est donc 7 % plus élevé que le revenu nominal, comparé à celui de l’Ontario. L’indice comparatif du niveau des prix pour les grandes villes fournissait déjà une approximation de ces différences, mais le nouvel exercice repose sur des bases beaucoup plus larges.
En plus de corriger le revenu disponible par habitant selon les PPA, en prenant l’Ontario comme point de référence, l’étude incorpore au revenu disponible les transferts en nature des gouvernements. En effet, entre le tout à l’État et le tout au privé, les sociétés financent de manière collective à des degrés divers une variété de services qui se retrouveraient autrement dans la consommation personnelle en l’absence de l’intervention de l’État par l’intermédiaire de l’impôt. On pense à l’éducation, la santé, les garderies, et plusieurs autres services. C’est ce qui s’appelle les transferts en nature des gouvernements. Les données à ce sujet sont produites régulièrement dans les Comptes économiques répartis pour le secteur des ménages (en espérant que les chiffres de Statistique Canada reflètent correctement les multiples mesures du Québec en matière d’assurance-médicament, assurance-automobile, garderies à tarif réduit, aide financière aux étudiants, etc.). Pour éliminer ces distorsions dans les comparaisons de consommation personnelle de formations sociales différentes, les dépenses publiques dans ces domaines peuvent être imputées aux ménages en tant que revenus.
Qui plus est, Statistique Canada développe des PPA pour les dépenses publiques provinciales en prenant uniquement les salaires des employé·e·s du secteur public comme référence. Les dépenses autres que salariales et les investissements n’ont pas été considérés. Ainsi, si la PPA publique du Nouveau-Brunswick est de 0,87 $ comparé à l’Ontario, cela reflète des salaires plus faibles. Pour le Québec, l’étude estime la PPA publique vis-à-vis l’Ontario à 0,90 $.
L’inclusion de ces montants affecte sensiblement le portrait d’ensemble. Ramené par habitant, et corrigé pour tenir compte des PPA publiques, le revenu disponible des ménages est majoré de montants qui varient de 9 845 $ en Alberta à 14 675 $ au Manitoba, comparativement à 12 333 $ au Québec. Cela propulse aux premiers rangs les provinces atlantiques, Terre-Neuve-et-Labrador se hissant en tête du classement pour le revenu disponible par habitant ajusté, tandis que la Colombie-Britannique et l’Ontario se retrouvent en queue de peloton.
Cet exercice de grande envergure dissipe bien des préjugés et fait ressortir on ne peut plus clairement les effets redistributifs de l’intervention de l’État par le truchement de la fiscalité, en tenant compte des écarts de prix régionaux.