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Reculer 40 ans en arrière avec l’invisibilité du genre

30 juillet 2014

  • FF
    Francis Fortier

Depuis la crise économique de 2008, il n’y a qu’un seul mot sur les lèvres des dirigeants politiques et économiques de par le monde : austérité. Le Québec ne fait pas exception à la règle qui prévaut dans les économies dominantes. Ce n’est un secret pour personne, le dernier budget du Québec a mis les pierres d’assise d’un plan d’austérité pour les prochaines années et ce, même si le ministre des Finances Carlos J. Leitão se fait plus timide que certains dirigeants européens tant au niveau de la forme que du fond. C’est évident que les politiques qui sont anticipées pour le Québec ne seront pas aussi virulentes que celles appliquées en Grèce par exemple. Il n’en demeure pas moins que les mesures d’austérité partagent plusieurs points communs.

Toutes ces politiques se mettent en place sous couvert de l’inévitabilité, elles reposent sur des prémisses d’une vision économique néolibérale et elles n’épargneront personne. Ce dernier élément qui se retrouve le plus explicitement dans la maxime rhétorique, pour ne pas dire populiste, du «tout le monde doit se serrer la ceinture», est probablement l’aspect le plus pernicieux et le plus régressif des politiques d’austérité. En d’autres termes, elles tentent, et dans une certaine mesure réussissent, à s’implanter en prétextant être neutres. Elles sont mises en place sans considération des disparités sociales existantes au niveau socio-économique qui, souvent, se développent et se maintiennent par l’entremise de relations de pouvoir genrées ou encore racialisées.

Ce billet veut exposer en partie les problèmes engendrés par l’invisibilité du genre dans les mesures d’austérité, plus spécifiquement d’expliquer ce que Bakker et Brodie nomment le «degendering» des politiques sociales. D’emblée, on peut présenter ce phénomène comme un retrait de la question de genre dans l’édification des politiques. Ensuite, on peut se questionner sur quelle est la rupture engendrée par ces dernières et quelles sont les conséquences qui peuvent être appréhendées par un tel processus politique?

L’invisibilité du genre dans les politiques d’austérité

Sans croire que c’est la panacée, plusieurs mesures instaurées au Québec offrent un rempart aux inégalités genrées observées tant sur le marché du travail que dans la sphère privée avec certaines divisions des tâches. Par exemple, une politique sur l’équité salariale, les garderies à 5$ ou encore un congé parental pour le conjoint qui dure plus d’une semaine. On peut aussi penser à une plus grande réceptivité de l’analyse différenciée selon les sexes pour la mise en place de certaines politiques. Il ne faut pas être naïf et naïve non plus et croire que le gouvernement a, du jour au lendemain, reconnu la problématique des disparités socio-économiques genrées. Ces politiques sont plutôt le reflet de luttes de mouvements féministes. Elles ont amélioré la situation, mais on est encore loin de la coupe aux lèvres. Prenons simplement le cas de l’équité salariale, encore aujourd’hui, le retard est important, un homme gagne en moyenne 3$ de l’heure de plus qu’une femme.

C’est donc dans un contexte de prévalence à la fois de disparités et de relations de pouvoir genrées que s’insèrent des politiques qui font l’économie de cette question. Les mesures d’austérité sont une continuité des politiques néolibérales de par la priorité qu’elles accordent aux résultats macroéconomiques et, surtout, car elles se fondent sur les dictats d’efficience de marché théoriquement égalitaire.

À partir de ces deux constats, Bakker et Brodie expliquent le phénomène de «degendering» des politiques sociales. Le principe est assez simple : il y un retrait de la question de genre dans les politiques sans toutefois que soient disparus les effets néfastes importants. Plusieurs auteures parlent déjà pour l’Europe d’un «recul du progrès observé au cours des dernières années», notamment en ce qui concerne les salaires et le taux d’emploi…

Quelles sont les conséquences du phénomène de l’invisibilité du genre?

Puisque les politiques d’austérité n’épargnent personne, il est difficile, voire impossible, de faire une liste exhaustive de toutes les répercussions préjudiciables qu’elles engendrent. Toutefois, il est possible de déterminer deux grandes catégories.

La première est associée directement au marché du travail. Par exemple, il est évident que les femmes seront les plus touchées par les coupures de postes dans la fonction publique. Celles-ci représentent plus de 60% des employé.e.s du secteur. De plus, les écarts salariaux entre les hommes et les femmes sont plus importants dans le privé que dans le public, et ce, même à la suite de la Loi sur l’équité salariale. Par conséquent, une plus grande place du privé dans l’économie québécoise va avoir des impacts réels sur l’iniquité salariale.

La seconde catégorie est justement liée à la tendance des politiques néolibérales et, par ricochet, à l’austérité qui mène à vouloir privatiser. La privatisation ne veut pas simplement dire soumettre un secteur à l’économie privée. Dans le cas des politiques néolibérales, cela renvoie aussi à transférer au privé la prise en charge de personnes dont les enfants et les personnes malades. Et comme les rôles genrés traditionnels sont encore très présents dans nos sociétés, je vous laisse deviner à qui reviendra la tâche.

Ne pas revenir en arrière

Sous couvert de neutralité politique, les mesures d’austérité ont un potentiel de recul extrêmement important. Le Québec est encore loin d’une mise en place de l’austérité comme en Europe. Cependant, cela ne veut pas dire  qu’il ne faut pas apprendre des erreurs commises. Il existe des groupes qui font déjà front commun pour minimiser les impacts de l’invisibilité du genre des politiques néolibérales, mais nous devons toutes et tous garder en tête qu’aucune politique ne peut prétendre à une neutralité lorsqu’elle a le potentiel de détruire plus de 40 ans de progrès social.

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