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Qu’est-ce que l’extractivisme?

12 février 2013


À l’IRIS, on parle de plus en plus d’extractivisme, bien que ce mot demeure pour le moment peu connu. Il proviendrait du Brésil et aurait d’abord été utilisé pour désigner l’exploitation des ressources ligneuses de la forêt amazonienne. Or, au Brésil comme ailleurs en Amérique latine, l’extractivisme désigne aujourd’hui un modèle de développement économique qu’il n’est pas inutile de bien saisir au moment d’étudier la trajectoire économique du Québec.

Définition

En gros, « extractivisme » vient d’extraction. On retire une ressource (minérales, pétrolifères, agricoles, animales, sylvicoles, etc.) du milieu naturel, puis on la vend sur les marchés, habituellement, internationaux. L’État, par la perception de redevances ou par l’effet de retombées bénéficie de ce modèle économique même s’il n’est pas forcément l’acteur central de l’activité extractive. L’économie générale du pays est gagnante car le PIB croît au fur et à mesure que des ressources jusqu’alors inexploités sont intégrées dans le processus économique.

En ce sens, l’extractivisme revient aux notions fondamentales de l’économie. Alors que ces dernières décennies ont vu se multiplier des formes complexes de financiarisation telles que la titrisation des dettes ou des hypothèques, l’extractivisme est littéralement « primaire » : « Revenons aux matières premières, propose-t-il, tirons des ressources de la nature et vendons-les au plus offrant. Nous avons ces ressources, on serait bien fou de ne pas les exploiter ».

Critique

L’extractivisme dépend de l’économie financière. En fait, les ressources qu’il se propose d’exploiter deviennent pertinentes qu’à partir du moment où les marchés internationaux annoncent des prix avantageux pour une denrée. Évidemment, quand les marchés chutent, les espoirs de développement d’une région ou d’un pays disparaissent aussitôt.

L’extractivisme procède donc à un double processus d’extraction : celui qui consiste à tirer une ressource du sol et celui propre à l’exportation de la ressource en dehors du pays producteur. Le dynamisme de l’économie est alors fondé sur ce duo extraction/exportation. D’une certaine façon, il s’agit de la suite de la promotion de la croissance basée sur l’exportation (export-led growth) qui, dans les décennies 1980 et 1990, encourageait des pays à se cantonner dans un secteur de l’économie désignée comme avantage comparatif, par exemple l’industrie manufacturière de base ou le textile . La croissance basée sur l’exportation se faisait sans souci pour le développement d’une structure industrielle permettant de diversifier l’économie et de remplacer les importations. L’extractivisme simplifie encore davantage cette approche puisqu’il ne considère pas le développement d’une industrie nationale et se borne à identifier ce qui se vend le plus cher sur les marchés internationaux avant de l’extraire et de l’exporter.

Bien sûr, tout ce développement se fait sans réflexion sérieuse à propos de l’environnement qui nous entoure. Selon la dynamique extractiviste, les ressources sont existantes et les acheteurs sont existants. On vend les premières aux seconds le plus rapidement possible et on dégage un profit. C’est la seule équation qui est recevable. Ne parlez pas de durabilité : l’avenir tout court en est exclu.

Le néo-extractivisme

L’extractivisme a pris un nouveau visage en Amérique latine suite à l’élection d’une série de gouvernements progressistes. Ce nouvel extractivisme nous permet de comprendre ou d’anticiper les reconfigurations de l’économie québécoise actuelle. L’uruguayen Eduardo Gudynas du Centro Latino Americano de Ecología Social (CLAES) a publié dix thèses (ou en version anglaise) sur le néo-extractivisme qui sont passablement éclairantes :

  1. Les nouveaux gouvernements progressistes continuent ou accentuent l’extractivisme.
  2. Les nouveaux gouvernements progressistes changent néanmoins les modalités de l’extractivisme en faveur d’un néo-extractivisme avec finalités sociales.
  3. Les nouveaux gouvernements progressistes confient un rôle nouveau à l’État dans le néo-extractivisme.
  4. Le néo-extractivisme est fonctionnel dans le cadre de la globalisation, et subordonne l’Amérique latine à une dynamique internationale.
  5. Le néo-extractivisme fragmente le territoire par la création ou le maintien d’enclaves d’exploitation/exportation.
  6. Les gouvernements progressistes reproduisent les processus productifs orientés vers la compétition et l’augmentation de la rentabilité en fonction de critères classiques d’efficience incluant l’externalisation des impacts sociaux et environnementaux.
  7. Les impacts socio-environnementaux néfastes demeurent et parfois empirent et les mesures annoncées pour les contrer sont inutiles voire nuisibles.
  8. L’État accapare une plus grande part de l’excédent et une partie de cet argent est destiné aux programmes sociaux qui génèrent une légitimité pour le gouvernement et pour l’industrie extractive.
  9. Le néo-extractivisme est perçu à la fois comme un moteur fondamental de la croissance économique et une contribution-clé pour combattre la pauvreté à l’échelle nationale.
  10. Le néo-extractivisme est le nouveau visage d’une version contemporaine et sud-américaine du développementalisme. Cette vision est l’héritière des idées classiques de la modernité, et maintient la foi dans le progrès matériel.

Ces dix thèses nous donnent des prises intéressantes pour évaluer les nouvelles initiatives de développement du Nord québécois, des ressources pétrolières de la Gaspésie et de Old Harry. Surtout lorsque que ces projets nous sont présentés en annonçant qu’ils permettront de financer les services sociaux.

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