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Quelques questions supplémentaires pour MM. Godbout et Montmarquette

29 avril 2014


Vendredi dernier, Luc Godbout et Claude Montmarquette ont publié leur rapport sur l’état des finances publiques. Un premier coup d’œil et quelques échanges avec mes collègues m’ont mené à faire ce billet et cette entrevue. Durant toute la fin de semaine, les écrits de MM. Godbout et Montmarquette ont continué de me trotter dans la tête, pour finalement me rendre compte que j’avais encore beaucoup de questions et de doutes quant à leur document. Ces questions sont un peu pointues, mais mises ensemble, elles font surgir en moi plusieurs doutes sur le résultat final auquel parviennent les deux économistes.

La diminution des revenus

Le rapport fait état de données reçues du Conseil du Trésor et du Ministère des Finances qui ne sont pas encore publiques. Il faut donc croire les économistes sur parole, mais comme nous ne doutons pas de leur sincérité, considérons les données qu’ils nous transmettent comme exactes pour l’année 2013-2014. Que nous disent-ils? Que le Québec a connu une diminution des revenus prévus de 480 M$, surtout causée par la baisse de l’impôt des sociétés (373 M$ et 41 M$ pour les cotisations au Fonds des services de santé – aussi appelé la taxe sur la masse salariale) à laquelle s’ajoute une série de petites diminutions de revenus (TVQ, ressources naturelles, etc.). On nous annonce aussi une réduction de 120 M$ des montants transférés par Loto-Québec, celle-ci est cependant compensée par une hausse de revenus d’Hydro-Québec de 300 M$. C’est donc, au final 300 M$ de moins dans les coffres de l’État (voir à ce sujet les p.16-17 du rapport).

La question qui me chicotte – entre autre grâce à un commentaire Facebook de Jeanne Émard, dont le blogue est toujours aussi intéressant à lire – c’est ce que nos deux économistes prévoient en 2014-2015, c’est-à-dire : presque la même chose. Ils maintiennent que la diminution des revenus de 480 M$ et le 120 M$ de moins de Loto-Québec, mais retirent la croissance de revenus d’Hydro-Québec tout en ajoutant 115 M$ de nouveaux revenus à cause d’une entente avec le fédéral (voir le tableau 4 de la p. 20). Nulle part on trouve d’explications sur pourquoi ces diminutions de revenus sont maintenues ainsi. Pourtant, ces choix sont très discutables.

–       La diminution des impôts venant des entreprises. Comme je le mentionnais dans mon précédent billet, MM. Godbout et Montmarquette n’expliquent à aucun endroit ce qui, selon eux, a provoqué cette diminution. À l’IRIS, nous avons notre petite idée sur la question. Ce serait, selon nous, les mesures d’austérité qui provoquent la stagnation et la baisse d’investissements et d’activités des entreprises que connait en ce moment le Québec. Qu’importe à la limite ce que nous en pensons, il demeure qu’il est surprenant de les voir adhérer à l’idée que la croissance du PIB passera de 1,2% en 2013 à 1,9% en 2014 et à 2,1% en 2015 (p.28) sans que cela ait d’effet sur l’activité économique des entreprises ni sur leurs contributions fiscales. Voilà qui remet en question le 414 M$ de pertes prévues.
–       On n’explique pas non plus pourquoi Loto-Québec verrait à nouveau ses revenus être plus bas l’an prochain. En fait, le Ministère des Finances prévoyait une hausse de 24 M$ et la société d’État a obtenu l’an dernier la possibilité d’étendre la vente d’alcool aux tables de jeux, justement dans le but d’accroître ses profits.
–       À l’inverse, pourquoi ne pas attribuer des revenus supplémentaires à Hydro-Québec en 2014-2015? D’abord, il semble que le gouvernement avait grandement sous-estimé les revenus d’Hydro-Québec en 2013-2014. Dans son dernier budget, il les haussait de 142 M$ par rapport à ses prévisions de novembre et voilà qu’on les hausse à nouveau de 300 M$. Les prévisions actuelles de MM. Godbout et Montmarquette mettent les revenus tirés d’Hydro-Québec de 342 M$ inférieurs l’an prochain par rapport à cette année. Pourtant, Hydro-Québec vient de se faire accorder une hausse de 4,3% de ses tarifs par la Régie de l’énergie.

Je ne prétends pas que les prévisions des auteurs du rapport sont erronées, mais j’affirme qu’elles sont discutables. Comme elles ne viennent avec aucun commentaire ou argument pour les justifier, les deux économistes ne nous donnent aucune information nous permettant de vérifier la solidité de leur évaluation.

L’augmentation des dépenses

J’ai exprimé dans mon précédent billet mon malaise avec l’épouvantail de 3,2 G$ en dépenses supplémentaires mis de l’avant dans les médias pour 2014-2015. Le rapport est évidemment beaucoup plus nuancé que ce qu’on a pu lire dans les journaux. Cependant, en conférence de presse, M. Montmarquette n’a pas eu peur de verser dans le catastrophisme en martelant que la situation était terrifiante. D’un naturel plus modéré, M. Godbout a effectivement reconnu en entrevue qu’il s’agissait des demandes des ministères et que le Conseil du Trésor n’avait pas l’habitude de tout accepter. Leur rapport indique également que le Conseil du Trésor a déjà trouvé 1,8 G$ à couper de ce 3,2 G$, il reste donc 1,4 G$ de différence. Voilà que la taille de l’épouvantail vient de diminuer de moitié.

Nous continuons de penser à l’IRIS que réduire les dépenses de l’État ainsi est une mauvaise idée, mais un gouvernement peut-il y parvenir? L’expérience de 2012-2013 tend à prouver que oui. Le gouvernement est passé alors d’une demande de 5,5% des ministères si on se fie à la moyenne sur 9 ans (présentée au graphique 1, p.21) pour un résultat de 1,2 %. On se demande d’ailleurs pourquoi utiliser une moyenne sur 9 ans et non pas celle depuis la crise, les chiffres seraient bien différents. Donc, passer de 6,1% à 2,0% en 2014-2015 alors que la moitié de la somme est déjà trouvée par le précédent gouvernement apparaît soudainement beaucoup moins compliqué. Je répète que je ne considère pas pour autant que ce soit une bonne idée.

Au final, je ne comprends pas pourquoi MM. Godbout et Montmarquette, s’ils souhaitent un débat raisonné sur les finances publiques, laissent circuler ce chiffre de 3,2 G$ pour les dépenses supplémentaires de 2014-2015. À mon avis, il est plus nuisible qu’aidant.

Les solutions

Comme on le voit, on pourrait tracer un tout autre portrait de l’état des finances publiques en se fondant sur des arguments tout aussi légitimes que ceux de MM. Montmarquette et Godbout et ce, tant sur les dépenses que sur les revenus. Faudra-t-il aller chercher de l’argent tout de même pour équilibrer le budget? Peut-être, surtout si l’État continue d’intervenir très modérément dans l’économie.

La pire idée dans ce contexte serait de se priver d’une partie des sources de revenus que sont Hydro-Québec et la SAQ simplement pour plaire aux agences de notation. Voilà une bonne façon, au contraire, de s’assurer d’autres problèmes budgétaires à venir en diminuant plus encore nos revenus. Par contre, l’idée de couper dans les crédits d’impôt inefficaces aux entreprises, mise de l’avant pas les deux économistes, n’est pas mauvaise. L’étude de mes collègues Francis Fortier et Bertrand Schepper publiée en janvier dernier montrait qu’on pourrait aussi aller chercher 900 M$ dans les crédits d’impôt aux particuliers.

Bref, je ne suis vraiment pas certain que nous ayons une meilleure idée des finances publiques suite à la publication de ce rapport. Nous avons plutôt eu droit à une petite hystérie collective qui justifiera par la suite le gouvernement, peu importe ce qu’il fera. S’il coupe beaucoup et revient sur des engagements, il pourra dire qu’il n’a pas eu le choix. S’il coupe juste un peu, il pourra nous dire que ça aurait pu être bien pire. Ce rapport vient donc aider M. Leitão à préparer son budget, non pas parce qu’il est mieux informé de l’état des finances publiques (ces informations, son ministère et le Conseil du Trésor les avaient déjà), mais simplement parce qu’il a désormais plus de marge de manœuvre politique.

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