Qu’est-ce que le racisme systémique?
4 juin 2020
Les manifestations se multiplient aux États-Unis depuis que George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, a été tué par un policier de Minneapolis lors d’une intervention filmée par une passante puis diffusée sur les réseaux sociaux. Cet événement s’ajoute à une longue liste de bavures policières qui témoignent de la persistance dans ce pays d’une discrimination à caractère racial dont sont particulièrement victimes les personnes noires.
Des manifestations ont été organisées à plusieurs endroits dans le monde en solidarité avec la communauté afro-américaine. Ce fut le cas notamment à Toronto et à Montréal, où les manifestant·e·s ont par ailleurs voulu souligner que les Afrodescendants du Québec et du Canada étaient aussi victimes de racisme. Plusieurs chroniqueurs et politiciens insistent depuis pour dire qu’on ne peut faire une telle comparaison et que, même s’il y a des personnes racistes chez nous, on ne peut en conclure qu’il y a du racisme systémique.
Bien qu’il serait pertinent de s’attarder aux raisons politiques qui peuvent motiver un tel déni, nous nous contenterons dans ce billet de définir ce qu’est le racisme systémique avant de présenter quelques exemples de son incarnation au Québec et quelques-unes des mesures qui pourraient contribuer à l’éliminer.
Définir le racisme systémique
Rares sont ceux qui vont nier l’existence de comportements racistes dans notre société, soit le fait que des personnes traitent différemment d’autres personnes sur la base de la couleur de leur peau, de leur origine ethnique présumée ou de leurs croyances religieuses. On reconnaît ainsi aisément que le racisme, qui peut être défini comme une idéologie selon laquelle il existe une hiérarchie entre les groupes humains, entraîne de la discrimination « lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre [les droits et libertés d’une personne]. »
Le racisme systémique renvoie à l’organisation de la société et aux structures qui reproduisent des inégalités fondées sur un processus de racialisation. La Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) le définit plus spécifiquement comme « [u]ne production sociale d’une inégalité fondée sur la race dans les décisions dont les gens font l’objet et les traitements qui leur sont dispensés. L’inégalité raciale est le résultat de l’organisation de la vie économique, culturelle et politique d’une société. Elle est le résultat de la combinaison de ce qui suit : la construction sociale des races comme réelles, différentes et inégales (racialisation); les normes, les processus et la prestation des services utilisés par un système social (structure); les actions et les décisions des gens qui travaillent pour les systèmes sociaux (personnel). » Le racisme systémique induit ainsi des comportements discriminatoires qui ont pour effet de perpétuer les inégalités vécues par les personnes racisées notamment en matière d’éducation, de revenus, d’emploi, d’accès au logement et aux services publics.
Une réalité bien de chez nous
Comme en témoignent les quelques exemples présentés ici, le racisme systémique est bel et bien présent au Québec et se manifeste entre autres par une discrimination pratiquée à l’égard de groupes minoritaires. En effet, qu’il s’agisse de l’accès au logement, des interpellations policières ou de l’accès au marché du travail, les personnes noires, autochtones et racisées subissent des discriminations de manière disproportionnée par rapport au reste de la population.
Logement: Les personnes qui se voient refuser l’accès à un logement pour des motifs discriminatoires basés sur leur origine ethnique ne peuvent faire une plainte auprès de la Régie du logement du Québec, celle-ci n’ayant pas d’autorité tant qu’un bail n’est pas signé. Ces personnes peuvent se tourner vers la CDPDJ, qui peut interpeller le propriétaire afin qu’il respecte ses obligations en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, mais ne peut pas l’obliger à le faire. Or, près du tiers des plaintes reçues à la CDPDJ pour discrimination dans le cadre de la recherche d’un logement concernaient l’origine ethnique ou la couleur de la peau. Comme les délais pour une audience en cas de refus sont longs, les personnes victimes de discrimination ont toutefois tendance à abandonner leurs démarches judiciaires en cours de route.
Relations avec la police: Le profilage racial est dénoncé depuis longtemps au Québec. Un comité d’enquête formé par la CDPDJ après la mort d’Anthony Griffin en 1987 dénonçait la discrimination et le racisme dans l’exercice des fonctions policières. En 2019, un rapport du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) a montré que la probabilité moyenne de se faire interpeller par le SPVM variait en fonction de l’appartenance raciale. Les personnes noires et autochtones se font interpeller entre 4 et 5 fois plus que les personnes blanches. Les femmes autochtones ont quant à elles 11 fois plus de chances de se faire interpeller que les femmes blanches. Le constat saisissant de ce rapport est ainsi que les personnes noires et les femmes autochtones se font interpeller de manière disproportionnée par rapport à la taille de leur population.
Emploi: Plusieurs obstacles entravent aussi l’accès à l’emploi pour les personnes noires, autochtones et racisées, dont la non-reconnaissance de l’expérience professionnelle et des diplômes acquis à l’étranger pour les personnes immigrantes, ainsi que la discrimination à l’embauche. Ces difficultés sont plus grandes au Québec que dans le reste du Canada et c’est aussi chez nous que l’on retrouve l’écart entre le taux de chômage des personnes immigrantes et des natifs le plus élevé au pays.
Des études s’intéressant à la discrimination à l’embauche ont entre autres démontré que le nom qui apparaît sur le curriculum vitae a une incidence sur la probabilité d’obtenir un emploi au Québec. Les personnes qui ont des noms à consonance africaine, arabe ou latino-américaine subissent un traitement différentiel et discriminatoire même lorsqu’elles ont les mêmes qualifications que les candidats avec des noms natifs.
Comment y remédier?
Dans la foulée des manifestations des derniers jours et pressé par les partis d’opposition, le gouvernement s’est engagé mardi à présenter un plan de lutte contre le racisme et la discrimination. En attendant que ce plan voie le jour – aucune échéance n’a été mentionnée et aucun député n’a été attitré à ce dossier -, voici quelques mesures qui pourraient en faire partie.
Le gouvernement doit commencer par reconnaître l’existence du racisme systémique au Québec et donner le mandat à un organisme de faire enquête afin de cerner les contours et l’ampleur du phénomène, comme l’a fait la ville de Montréal. Une telle consultation pourrait servir de base dans l’élaboration du plan de lutte contre le racisme, comme ce fut le cas par exemple en Ontario.
Les différents ministères et organismes devraient recueillir et partager des données sur les caractéristiques démographiques telles que l’origine ethnoculturelle afin d’avoir l’information nécessaire pour concevoir des politiques qui s’attaquent aux problèmes vécus par les personnes racisées. Il s’agit d’ailleurs d’une des recommandations de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (Commission Viens) qui pourrait être étendue aux personnes racisées.
En tant qu’employeur, Québec pourrait aussi montrer l’exemple et revoir son programme d’accès à l’égalité en emploi pour la fonction publique afin de favoriser l’embauche d’un plus grand nombre de personnes autochtones et issues des communautés culturelles, et ce à tous les échelons et dans l’ensemble des secteurs de l’administration publique.
En clair, ce n’est qu’en reconnaissant l’existence du racisme systémique que le gouvernement pourra lutter efficacement contre ses diverses manifestations. Il en va du respect des droits et libertés de tous les Québécois·es, peu importe leur origine et leur statut.
Ce billet a été modifié le 29 novembre 2021 pour corriger certaines erreurs qui s’y étaient glissées et qui ont été soulevées par la Commission des droits de la personne dans un rapport daté d’août 2021.
3 comments
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lES FRANCOPHONES du Québec sont bafoués depuis des centaines d’années, alors qu’on nous répondais à Montréal “No ENGLISH no JOB”. La racisme existe autant pour les franciphones du Québec que pour les autoctones et les noirs ici. On peut se plaindre aussi. S.v.p. soyez juste.
je n’adhère pas à votre définition du racisme systémique. Pour moi, la loi sur les indiens est une exemple de racisme systémique tout comme la ségrégation vécue aux USA ou l’apartheid en Afrique du Sud. Ici on peut voir des imbéciles racistes j’en conviens par contre plus souvent influencés par l”ignorance, la peur de la différence ou le rejet de celle-ci mais pas nécessairement par la pensée d’une supériorité par rapport à une autre.
Quant à la discrimination positive que vous prônez, elle n’est pas mieux, on pourrait alors de racisme systémique pour ceux qui en sont victimes. Plusieurs Québécois, blancs et francophones l’ont déjà vécue lorsqu’on leur répondait que des postes étaient réservés à des communautés ”racisées”, ethniques etc…
Pour moi la solution serait d’appliquer les lois correctement, poursuivant les auteurs de discrimination (et de racisme) en emploi ou dans la sélection des candidats par exemple. À mon sens, cela rallierait le plus de gens et éliminerait plusieurs inégalités. Seul la compétence devrait primer.
Vous vous êtes trompées dans vos sources, en plus de confondre le “racisme systémique” avec la “discrimination systémique”. C’est ce que l’on peut lire dans le Document de réflexion sur la notion de « racisme systémique » récemment publié par la CDPDJ, dont voici un extrait de la page 59:
“Dans un billet du 4 juin 2020 intitulé « Qu’est-ce que le racisme systémique ? », Wissam
Mansour et Julia Posca de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques proposent
cette définition du racisme systémique qu’elles attribuent à tort à la Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse : (…)
Comme on le sait toutefois, cette définition est non pas celle du racisme systémique, mais bien celle de la discrimination systémique que la Commission reprenait notamment dans son mémoire à l’OCPM en novembre 2019. Cette méprise est à notre avis symptomatique du glissement, voire de l’équivoque, régulièrement perceptible dans l’utilisation interchangeable dans les prises de position des concepts de racisme systémique et de discrimination systémique, le premier servant ainsi bien souvent d’équivalent au second.”
Comment voulez-vous que les non-initiéEs s’y retrouvent?
https://cdpdj.qc.ca/storage/app/media/publications/document_reflexion-racisme-systemique.pdf