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Prix des denrées alimentaires – Quand la finance (se) fait patate

16 avril 2012


Tout juste avant la crise économique de 2008 eut lieu une autre crise qui fut rapidement éclipsée par les évènements spectaculaires qui ont suivi l’effondrement du marché immobilier américain. La crise alimentaire de 2007 permet pourtant d’expliquer nombre d’évènements récents, notamment le déclenchement des soulèvements populaires dans les pays d’Afrique du Nord.

Si la fluctuation du prix des denrées alimentaire de base est moins imposante ces dernières années qu’elle ne l’a été en 2007, ces produits continuent pourtant à coûter de plus en plus cher. Nous tenterons de voir dans ce billet quelles peuvent être les causes et les conséquences de cette hausse.

Des prix à la hausse

Nous apprenions récemment que l’inflation que connaît le Québec était en partie le reflet de la hausse du prix des aliments. Ceux-ci représentant une part importante (16%) du panier de service à partir duquel est mesuré l’Indice des prix à la consommation (IPC), une hausse de leur prix a un impact direct sur l’inflation, mais aussi sur la vie quotidienne des ménages, qui voient ainsi des dépenses incompressibles croître souvent bien plus rapidement que leurs salaires.

Le Québec n’est pas seul dans cette situation, la France, par exemple, semble subir les mêmes pressions sur les prix des aliments. Mais le pays le plus touché en ce moment par cette tendance est immanquablement la Chine. Depuis 2007, les prix des aliments croissent rapidement dans l’Empire du milieu. Pour 2010 seulement, on recensait une hausse de 11% pour tous les aliments et de 62% pour les légumes en particulier.

Les causes selon l’OCDE

Dans un rapport de 2008 qui tentait de cerner les causes de la crise alimentaire, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) identifiait une série de causes à cette crise la crise de 2007. Les facteurs désignés alors comme étant à l’origine de la crise ne sont pas sans rappeler ceux qu’on prétend être responsable de la hausse actuelles du prix des denrées alimentaires en Chine.

La croissance du prix du pétrole est désignée comme la toute première cause de la flambée de prix. On souligne ensuite la croissance de la demande pour les produits céréaliers, entre autre sous l’effet des biocarburants. Enfin, on mentionne les variations de température font fait la vie dure aux agriculteurs.

Après avoir lancé ces hypothèses, le rapport de l’OCDE s’empresse de nous persuader, graphiques prévisionnels à l’appui, que le prix des denrées atteint un pic et qu’il redescendra bien vite. Les situations les plus graves sont conjoncturelles, tout va se résorber, etc.

Prenons l’exemple d’un graphique présenté dans ce rapport, celui sur le prix du blé. Voici ce que prévoyait l’OCDE en 2008.

Leurs prévisions annoncent un scénario somme toute peinard : dès 2009 retour à un prix nominal comparable à 2006 mais qui, en terme réel sera en baisse. Tout devait donc rentrer dans l’ordre.

Voyons voir la réalité maintenant.

Source : www.indexmundi.com à partir des données de la Banque Mondiale.

Alors oui, l’OCDE avait correctement anticipé un retour au niveau de 2006, bien qu’il fut moins rapide que prévu. Le problème, c’est que les prix redécollent aussitôt plutôt que de se stabiliser. Se pourrait-il donc qu’un autre phénomène que la température et les prix de l’essence puissent expliquer cette tendance à la hausse qui se maintient?

D’autres causes?

La revue Possibles offre à cet égard une analyse intéressante. Publié en octobre 2010, dans le bref creux du prix des denrées, il prévoit (à l’inverse de l’OCDE) que les prix remonteront. Pourquoi? À cause du modèle agricole lui-même. Les pays qui voient leur population croitre le plus rapidement (les pays en voie de développement) sont ceux où l’investissement dans l’amélioration de l’agriculture ont été les plus bas. Ils ont souffert largement des modèles de développement liés à l’exportation qui ont déstructuré leurs systèmes agricoles nationaux. Comme le rappelle l’auteur de l’article :

« Selon les chiffres de la CNUCED, le secteur agricole était plus productif il y a cinquante ans qu’il ne l’est aujourd’hui, en particulier dans les pays les moins avancés. En termes de rendement, la croissance annuelle des cultures céréalières dans nombre de ces pays est passée de 3 à 6 % dans les années 80 à seulement 1 à 2 % en 2008 (CNUCED, 2008). »

Ces pays sont alors forcés d’acheter leur nourriture ailleurs pour la consommer, ce qui crée une pression à la hausse sur les prix.

Frederick Kaufman identifie pour sa part une autre cause structurelle de la hausse de prix des denrées alimentaires de base : la finance. La mise en place d’indices boursiers favorisant l’achat de produits agricoles dans une perspective de rendement y est directement mise en relation avec la hausse des prix. Alors qu’il était précédemment protégé contre la spéculation d’acteur financier voulant investir dans le seul but de réaliser un rendement à court terme ou de stabiliser d’autres transactions moins sûres, l’ouverture du marché des denrées de base eut un effet incroyable sur la taille, en particulier au moment de la conjoncture incertaine ayant suivie la crise de 2008.

« Concrètement, en 2003, le marché à terme des matières premières ronronnait encore à 13 milliards de dollars. […]Au cours des 55 premiers jours de 2008, les spéculateurs ont investi 55 milliards de dollars dans les marchés de matières premières et en juillet, c’est 318 milliards de dollars ébranlaient les marchés. […] Le prix du blé dur roux de printemps, généralement compris entre 4 et 6 dollars le boisseau de 60 livres, a battu tous les records et le contrat à terme sur le blé a atteint jusqu’à 25 dollars. Ainsi, le prix des denrées alimentaires dans le monde a enregistré une hausse de 80 % entre 2005 et 2008 et ne cesse d’augmenter depuis. »

Les conséquences

Ces changements importants ont évidemment des conséquences terribles sur les populations les plus vulnérables. La Revue internationale de politique de développement constatait que, contrairement aux objectifs fixés par les pays développés de réduire le nombre de personnes sous alimentées dans le monde, celui-ci était passé de 848 million en 2005 à 963 à la fin de 2008 à cause de la crise alimentaire et rien ne laissait croire que les choses allaient s’améliorer : « Selon les estimations de la FAO rendues publiques en octobre 2009, la tendance se poursuit et, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, plus d’un milliard de personnes souffrent de la sous-alimentation ».

Lorsqu’on évoque aujourd’hui les ravages du laissez-faire économique en matière d’aliments, on parlera davantage des menaces qui accompagnent les modifications génétiques qu’ils subissent. Malheureusement, les « vieux » problèmes de la bouffe, la malnutrition et la famine affectent de plus en plus d’êtres humains. La crise alimentaire de 2007 a confirmé, une fois de plus, que le libre-marché et la dérèglementation ne permettent pas de répondre à des besoins vitaux de la population mondiale.

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