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Les prévisions des ministres des Finances : Yves Séguin le meilleur, Eric Girard le pire

14 mars 2023

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6min

  • Guillaume Hébert

Chaque année, le dépôt du budget du gouvernement est un événement couru de la vie politique. Et pour cause : le budget est un moment qui nous renseigne sur l’état des finances publiques et l’utilisation des ressources du Trésor à travers l’action des ministères et des organismes de l’État. Les projections qu’on y trouve sont instructives certes, mais on s’aperçoit aussi qu’elles sont de plus en plus imprécises au fil des ans. Voyons qui ont été les meilleurs et les pires « prévisionnistes » parmi les ministres des Finances du Québec depuis la fin des années 1990.

Trop souvent, la documentation gouvernementale apparaît trompeuse. En effet, le dépôt d’un budget est un moment hautement médiatisé et par conséquent le plan budgétaire ressemble parfois davantage à un exercice de relations publiques qu’à un réel exercice de transparence. Cette obsession des communications aux dépens des débats démocratiques traverse d’ailleurs tout l’appareil étatique et il suffit d’ouvrir le rapport d’une commission parlementaire des années 1960 pour voir comment on a depuis verni la documentation gouvernementale tout en appauvrissant son contenu.

En outre, au fil des années, différentes réformes comptables ainsi que des lois visant à limiter l’action gouvernementale (comme Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations) ont eu pour effet de rentre le budget plus opaque.

Des budgets de plus en plus imprécis

Quant aux projections comprises dans le budget déposé par le gouvernement en début d’année, elles sont de plus en plus imprécises. Nous avons comparé la taille estimée du surplus ou du déficit en proportion du budget total aux résultats observés a posteriori pour chaque exercice budgétaire depuis 1998-1999. Par exemple, si pour un budget de 100 milliards de dollars, le gouvernement avait prévu faire un surplus de 2 milliards de dollars (donc 2%), mais qu’il réalise finalement un surplus de 4 milliards de dollars (donc 4%), alors l’écart entre la prévision et le résultat est de 2 points de pourcentage. Le graphique 1 montre l’écart entre les prévisions du ministère des Finances au moment du dépôt du budget et les résultats réels pour l’exercice en question au moment de la publication des comptes publics, environ 20 mois plus tard, et ce peu importe si cet écart révèle une amélioration ou une dégradation du solde par rapport à ce qui était prévu.

Au tournant des années 2000, les ministres des Finances visaient des budgets à l’équilibre et l’exercice se soldait fréquemment par un léger déficit, soit une différence inférieure à un point de pourcentage comparativement à ce qui avait été prévu. Entre l’exercice 1998-1999 et 2012-2013, il n’est arrivé seulement qu’à trois reprises que l’écart entre le solde budgétaire et ce qui était prévu soit de plus de 2 points de pourcentage. C’est ainsi que Yves Séguin (2003-2005), premier ministre des Finances sous Jean Charest, s’est avéré être celui qui a réalisé les projections de solde budgétaire les plus précises avec une moyenne de 0,85 % d’écart. Monique Jérôme-Forget (2007-2009) occupe le deuxième rang (1,17 %) et est suivie, à égalité (1,55%) sur le troisième échelon du podium, par Pauline Marois (2002-2003) et Michel Audet (2005-2007).

Il semble que les résultats obtenus par ces ministres s’expliquent moins par une clairvoyance exceptionnelle que par la stabilité de la conjoncture économique de l’époque. En effet, après la Grande Récession de 2008-2009, les choses se gâtent et les projections deviennent de plus en plus imprécises. Ainsi, entre l’exercice 2012-2013 et celui de 2021-2022, l’écart entre la prévision du ministre et les résultats réels n’aura été que deux fois inférieur à 2 points de pourcentage.

C’est durant les années d’austérité du gouvernement libéral de Philippe Couillard que les projections sont devenues de plus en plus imprécises. Fait ironique, cette dégradation s’est donc produite lors du passage aux finances du ministre Carlos Leitão (2,13 %) que l’agence Bloomberg avait pourtant affublé du titre de « deuxième meilleur prévisionniste au monde »…

Autre ironie : ce n’est pas parce que l’état des finances publiques se détériorait que Carlos Leitão se gourait de plusieurs milliards année après année. Au contraire, le gouvernement baignait dans les surplus (ils atteignirent un cumulatif de 25 milliards de dollars entre 2014-2015 et 2018-2019, avant versement au Fonds des générations). Ces surplus étaient dus à plusieurs facteurs, dont la reprise économique aux États-Unis, mais leur accumulation remettait totalement en question la pertinence de la cure d’austérité que l’on avait fait subir aux Québécois·es, qui plus est pour un déficit somme tout marginal.

Depuis l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec, les projections sont devenues plus imprécises encore. Bien entendu, les perturbations liées à la pandémie y sont pour quelque chose. Le ministre Girard a battu un record d’imprécisions lors de l’exercice 2021-2022 – l’année 2 de la COVID – avec un budget qui s’est avéré 12 milliards au-dessus de ce qui avait été prévu lors du dépôt du budget. En effet, plutôt qu’un déficit de 9 milliards de dollars, le gouvernement s’est retrouvé avec un surplus de 3 milliards de dollars, avant les versements au Fonds des générations.

Évidemment, personnaliser ces « performances » relève avant tout de la boutade puisqu’un ministre ne réalise pas ces projections seul. Il a un puissant ministère derrière lui. Il n’en demeure pas moins que l’inexactitude croissante des prévisions semble témoigner d’une instabilité grandissante de l’économie. Mais comme les résultats, plus que se détériorer, sont souvent bien meilleurs que ce qui était prévu, on peut se demander si ces imprécisions ne révèlent pas aussi une volonté croissante des gouvernements d’obscurcir le portrait des finances publiques pour restreindre les demandes de la population…

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3 comments

  1. La prudence en matière de prévisions économiques est maintenant perçue comme une manière d’obscurcir le portrait des finances publiques pour restreindre les demandes de la population. C’est vrai qu’à gauche toute il y a toujours matière à dépenser plus, il n’y a qu’à taxer davantage ceux qui en ont les moyens. À ce que je comprends de la situation é économique du Québec, on a encore une dette considérable, des changements climatiques à notre porte qui commanderont des dépenses considérables pour s’y adapter, toutes les classes d’actifs sont dans une bulle spéculative qui menacent l’économie mondiale, une population mondiale qui croît sans cesse, un système capitaliste qui accélère l’épuisement des ressources de la planète et détruit progressivement la diversité des espèces. Mais ça ne demande pas d’être prudent avec les prévisions économiques. Un peu de réalisme et moins d’idéologie serait apprécié de l’IRIS.

  2. Considérons une seule rubrique: le BS corporatif.
    D’ailleurs for bien cachée, elle représente à elle seule le quart des dépenses de l’état.
    Son élimination verrait le coût des biens et services augmenter, alors que les impôts des citoyens seraient réduits de 25%.
    Une conséquence n”est pas à une différence à son train de vie qu’on assisterait, mais bien à une augmentation du pouvoir du portefeuille du citoyen.

    Une autre conséquence rend beaucoup plus difficile aux corporations commerciales et financières de participer à la vie politique. Libéré de ce biais, les décisions de l’état se révéleraient être beaucoup plus au service du bien-être des citoyens.

    Si nos ministre étaient choisis dans la population plutôt que parmi les députés élus, nos gouvernements seraient nettement plus efficaces.
    À commencer par les députés qui auraient tout leur temps dédié à étudier les projets de lois.

  3. Il faut aussi se rappeler que la mesure Soutien aux enfants, mise en place en 2005, était le fait d’Yves Séguin. La mesure s’inspirait d’ailleurs fortement d’une proposition que l’économiste Ruth Rose avait élaborée à la demande de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ). Cette mesure a notamment améliorer les revenus de milliers de familles monoparentales à faible revenu et leur a permis de quitter l’aide sociale.

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